Gouvernance

L’accélération des ruptures technologiques

Par Laurent Delattre, publié le 16 avril 2024

Quelle Terre, dominée par quelles technologies, des extra-terrestres partis maintenant de leur lointaine planète pour nous exterminer, trouveraient ils à leur arrivée dans 100, 200 ou 400 ans ?

Le problème à trois corps, la nouvelle série de Netflix qui fait sensation, nous plonge dans un futur pas si éloigné où la Terre se retrouve sous la menace d’extraterrestres. Ces derniers, en route vers notre planète pour exterminer l’espèce humaine, entreprennent un voyage qui durera 400 ans.

Une séquence en particulier m’a interpellé : quand un humain demande la raison de leur venue, les extraterrestres expliquent qu’ils sont bien plus avancés que nous sur le plan technologique, mais que les hommes progressent si rapidement que, dans 400 ans, ils les auront dépassés.

Je me suis alors surpris à penser à l’accélération des ruptures technologiques. Il y a 130 ans, la voiture faisait son apparition ; la première radio, il y a 120 ans ; la première télévision, il y a 100 ans ; la première centrale nucléaire, il y a 70 ans ; Internet, il y a 50 ans ; le premier robot de Boston Dynamics, il y a 15 ans ; le boom des réseaux sociaux, il y a 10 ans ; et désormais l’IA générative.

Les ruptures technologiques deviennent de plus en plus nombreuses et fréquentes. C’est un fait. Les générations se succèdent et j’entends encore mon père me dire : « Je ne comprends plus le monde, ça va trop vite ». Tout comme moi, 40 ans plus tard, qui commence aussi à dire que je ne comprends plus les Gen Z et que le monde perd ses repères.

Que vont nous apporter les prochaines ruptures ? Lorsque de nouvelles technologies apparaissent, elles sont le fruit d’une petite expérience de garage, que l’on s’appelle Steve Jobs, Bill Gates ou Sam Altman. Elles font sensation à leur apparition, puis se développent, conquièrent des adeptes, se diffusent voire se généralisent, et finalement trouvent parfois des champs d’applications insoupçonnés lors de leur intégration dans notre société. Combinées à d’autres inventions, elles ouvrent le champ des possibles et permettent de générer de nouvelles avancées. Le cycle de la création semble infini. Depuis l’âge de pierre, l’âge de fer, l’âge de cuivre, il en a toujours été ainsi. Les technologies engendrent d’autres technologies.

Nous avons, au cours des cent dernières années, fait émerger les sciences numériques à un niveau aussi bouleversant pour l’homme que le fut l’apparition du feu. Leurs applications se comptent par dizaines de milliers et laissent entrevoir dans l’avenir des possibilités de bouleversement de notre monde de façon inimaginable. Les mondes à la Mad Max, où l’homme aura tellement abusé de la technologie qu’il en aura causé sa perte, sont une éventualité.
Ma conviction personnelle est que l’homme sera assez fou pour développer des choses que nous ne trouvons aujourd’hui que dans des films de science-fiction. Sans pour autant courir à sa perte, il dégradera sa qualité de vie. Des univers qui ressemblent fortement à celui de Blade Runner – un monde semi-chaotique, bourré de technologies, de dérèglements climatiques, avec des « Réplicants » – vont apparaître à foison.

Dans la série Le problème à trois corps, ce qui est assez déroutant, c’est que les aliens ne seront là que dans 400 ans. Cela pose la problématique de la responsabilité générationnelle dans nos évolutions. Que laisserons-nous à nos enfants comme héritage technologique ? Sur quoi bâtiront-ils le leur, et que laisseront-ils eux-mêmes à leurs enfants ? L’adaptation de l’Homme, sur l’ensemble de son cycle de présence sur Terre – une centaine d’années désormais –, est-elle compatible avec une accélération des innovations technologiques telle que nous la connaissons ?
L’Homme n’est peut-être pas fait pour accepter de son vivant autant de bouleversements. L’enjeu ultime sera donc de trouver un équilibre entre l’adoption vertigineuse de ces innovations et la sagesse nécessaire pour s’assurer que notre héritage technologique enrichisse l’Humanité, plutôt que de la précipiter vers sa propre obsolescence.

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