Gouvernance

« Allier l’humain et le numérique pour réussir sa transformation »

Par Patrick Brébion, publié le 16 juin 2021

Société internationale spécialisée dans l’immobilier d’entreprise, Colliers avait déjà largement rationalisé et modernisé son système d’information et lancé plusieurs innovations avant la crise. La DSIN a profité du contexte pour accélérer le mouvement.

Entretien avec Malika Pastor, DSIN de Colliers

Quelles sont les principales activités de Colliers et les contraintes particulières, notamment réglementaires, que vous rencontrez ?

Colliers est l’un des leaders mondiaux dans les services immobiliers et la gestion d’investissements avec un chiffre d’affaires de 3,3 Md$. Nous comptons 18 000 collaborateurs dans le monde répartis dans 67 pays. Nos activités visent le secteur privé comme le public et couvrent toute la chaîne de valeur immobilière : transactions, conseils et gestion de projets. Nous devons respecter de nombreuses contraintes réglementaires, bien sûr différentes selon les pays. En Europe, l’une d’entre elles nous impose d’avoir des mandats dématérialisés, incluant une signature électronique probante, dans un registre immatériel accessible pendant dix ans. Nous devons également respecter la réglementation Know Your Client (KYC) à travers un processus permettant de vérifier l’identité des clients pendant cinq ans.

Plus globalement, nous devons maîtriser les risques imposés par les régulateurs pour les marchés financiers, la cybersécurité… comme le Cloud Act et NYDFS aux ÉtatsUnis, NIS, DSP2, le RGPD et le Cybersecurity Act en Europe, et bien d’autres lois et réglementations selon les implantations géographiques.

Comment la crise sanitaire actuelle impacte-telle ces activités et les projets IT ?

Nous sommes clairement dans une période de transition. Certaines entreprises devraient à l’avenir repenser leurs bureaux tant en termes d’espace que d’aménagement.
Avant cette crise, le taux d’occupation moyen des sièges sociaux en France était au-dessous des 64 %, du fait de la mobilité des commerciaux, des congés, des maladies… Avec la montée en puissance du télétravail, les entreprises vont chercher à optimiser ce taux, tout comme leurs locaux. Ce qui se traduira par un accroissement du nombre de transactions et de projets pour nous.
La crise nous a également amenés à réviser nos priorités et a révélé de nouvelles opportunités business.
Par contre, le télétravail a peu impacté l’activité de la DSI. J’avais initié depuis trois ans une stratégie de mobilité pour les collaborateurs basée sur un environnement de travail numérique, central et collaboratif, un programme baptisé Smart & Digital Workplace as a service. Nous étions prêts lors du premier confinement.
Le contexte a toutefois accéléré une partie des projets déjà initiés en termes de dématérialisation et d’automatisation, qui s’avèrent indispensables pour gagner en agilité et en flexibilité.
Les flux documentaires sont aujourd’hui dématérialisés avec un objectif quasiment atteint de paperless, favorisant ainsi la réduction de notre empreinte environnementale, un point sur lequel je suis sensible.
Globalement, la crise nous a amenés à optimiser nos processus internes sur toute la chaîne et à améliorer ainsi l’efficacité opérationnelle globale.

A-t-elle changé votre façon d’aborder la question de la sécurité ?

Là encore, nos contraintes réglementaires se traduisaient déjà avant la crise par une culture forte en matière de sécurité. Nos plans de continuité d’activité sont soumis à des contrôles fréquents et des radars permettent d’anticiper les scénarii catastrophes. Notre cybersécurité repose sur une approche hybride. Au niveau mondial, la surveillance s’appuie sur un SOC externe, en complément de SOC locaux, qui restent internes. La crise a surtout renforcé les mesures destinées à sensibiliser et à former les collaborateurs au cyber-risque. Nos collaborateurs ont accès à une plateforme d’e-learning privée en plusieurs langues, qui propose une variété de cours en vidéo, tutoriels, jeux et questionnaires sur le « code de conduite » à adopter lors du travail à distance. Parallèlement, des campagnes de phishing sont régulièrement organisées. Détail surprenant, les millenials ne sont pas plus sensibilisés sur les risques numériques que leurs aînés. Mais toutes ces actions améliorent les comportements et les résultats dénotent une maturité croissante des utilisateurs. Les directions ne sont pas oubliées. Lors de ma prise de fonction, j’avais offert un guide de sensibilisation à mes dirigeants.

Plus globalement, où en êtes-vous en termes de transformation digitale, en particulier pour la relation client ?

Le contexte actuel du « remote business » nous amène à adapter les offres de services.
La priorité est de faire disparaître les contraintes physiques et temporelles, voire sanitaires, qui encadrent notre exercice professionnel quotidien en B to B. Comme une partie des clients peuvent seulement être rencontrés à distance, les commerciaux et consultants utilisent des outils adaptés.
Toutes nos activités, stratégies de vente, actions marketing … se basent, au moins partiellement, sur le numérique. Le déploiement d’une solution de signature électronique probante couplée à un archivage sécurisé a simplifié les processus contractuels. Les transactions peuvent donc aujourd’hui être totalement dématérialisées.
Plus innovantes, après un « proof of value » concluant, plusieurs solutions reposant sur de l’IA sont en production. La première analyse les documents commerciaux et les baux pour les classer et en extraire les données les plus pertinentes. Un bail comporte souvent des centaines de pages et reste la plupart du temps complexe à analyser. Par exemple, un même groupe peut être à la fois propriétaire et locataire. Automatiser l’identification et l’extraction des informations pertinentes apporte un avantage sensible.
Nous proposons aussi un service digital destiné à explorer et analyser la capacité et la densité des espaces de travail, afin qu’ils respectent les mesures de distanciation physique. Il est particulièrement utile pour faire des recommandations et apporter du conseil à nos clients.
Nous avons par ailleurs fait appel à une solution fintech pour optimiser la gestion et l’accès aux portefeuilles de biens immobiliers, et mis en place une plateforme privée contenant des fichiers en 3D permettant à nos clients d’accéder aux visites virtuelles de certains actifs immobiliers qui nous sont confiés.
Forts de ces expériences, un constat s’impose. L’humain doit être au cœur des préoccupations, non seulement partie prenante, mais impliqué comme pivot dans la transformation digitale. Je considère que tout projet doit se réaliser avec l’humain, avec un focus collectif pour les collaborateurs et plus collaboratif pour les clients. Autre constat, cette transformation est indispensable pour assurer la résilience de la société à moyen et à long termes. Dans le but d’accélérer ces mutations, nous avons un partenariat clé basé sur un programme baptisé PropTech Accelerator, destiné à identifier rapidement les start-up susceptibles d’intégrer notre écosystème.

Comment voyez-vous l’avenir des objets connectés dans vos activités ?

L’IoT est au cœur du smart building et de la smart city, et c’est bien sûr l’une des composantes majeures pour le smart office.
Dans l’immobilier tertiaire, il est d’abord mis en œuvre pour optimiser la performance énergétique.
Il apporte également de nouveaux services. Nous utilisons déjà des applications sur mobile permettant d’accéder à nos bureaux, de visualiser en temps réel les espaces protéiformes disponibles et de les réserver, de prendre l’ascenseur, d’imprimer, d’ouvrir son casier…
Ces innovations reçoivent de la part de nos clients et prospects un accueil très positif.
Le phygital sous-tend toutes ces applications. Il s’agit de repenser en profondeur et d’anticiper les usages en matière d’espaces de travail afin de les optimiser et de les adapter aux besoins numériques, de maximiser les interactions hybrides. Je parle de « digital workplace in workspaces », un environnement de travail conceptuel, numérique et ubiquitaire adapté à différents espaces de travail physiques. Baptisé 41LM, notre nouveau siège France, le pilote pour le groupe, va proposer dès l’été un écosystème grandeur nature comprenant plusieurs innovations numériques interconnectées illustrant cet environnement. Ce n’est qu’un début. Le développement de la 5G va intensifier la tendance et va se concrétiser notamment par des bureaux ultra-connectés, à la base de nouveaux services.

Dans ce contexte foisonnant, comment pilotez-vous la DSI ?

Comme toujours, la DSI, dans une posture bimodale, assure à la fois le run, pour garantir l’excellence opérationnelle et l’adaptabilité, et le change, pour favoriser l’innovation et l’agilité.
La nouveauté tient à l’accélération de ce dernier volet. La transformation se traduit notamment par le recours à un nombre croissant de fournisseurs de services numériques. Ce qui implique une surveillance pointilleuse du respect des niveaux de services contractés avec ces partenaires. Une approche « zero trust » à tous les stades s’avère payante.
Le SI urbanisé est également impacté dans son ensemble. Il s’ouvre, s’étend et devient plus vulnérable. Une partie de la réponse consiste à standardiser et à maîtriser une architecture centralisée sur laquelle viennent s’appuyer les différentes briques existantes tout comme les nouveaux services. Une autre partie de la réponse consiste à penser « security by design ». Sur le terrain, nos SI sont connectés, dès que cela est possible, via des API à des plateformes hébergées en mode cloud sur des infrastructures ultra-sécurisées. Cette architecture permet d’imbriquer toutes les briques interopérables, ce qui décloisonne les activités de toute l’organisation.
L’utilisation de la data fait également l’objet d’une attention particulière. L’objectif est d’en exploiter la valeur et de la comprendre pour nous éclairer sur les nouveaux enjeux des organisations en termes de modes et de lieux de travail. Ce, en respectant les contraintes réglementaires à travers une démarche de « privacy by design ».
L’aspect financier est également un facteur à prendre en compte pour maintenir l’allure de notre trajectoire. Je finance 100 % des investissements de cette transformation, une condition pour être garante et responsable de son succès.
Dernier grand volet, la réussite de la transformation ne s’évalue pas seulement à l’aide de critères quantitatifs, comme la rentabilité, mais aussi sur la base d’indicateurs clés qualitatifs comme la performance. Il est plus que jamais important et opportun de se concentrer davantage sur les usages que sur les moyens : la transformation digitale aujourd’hui se veut avant tout expérientielle.

Comment trouvez-vous les ressources humaines pour mener à bien tous ces chantiers ?

De manière générale, j’anticipe qui seront nos collaborateurs demain et comment ils travailleront pour conseiller au mieux nos collaborateurs et clients. Je cherche toujours un équilibre entre les compétences internes et externes.
À mon sens, il faut également s’entourer de collaborateurs avec des compétences mixtes. Par exemple, un architecte doit avoir à la fois des connaissances en environnement on-premise et en environnement multi-cloud.
La guerre du recrutement des talents, notamment dans le domaine de la data, est bien réelle. Une raison de plus pour faire grandir ses collaborateurs, permettant par là-même de développer l’organisation en termes de maturité technologique.
Une autre piste est d’encourager les femmes à nous rejoindre. Je soutiens toutes les actions concourant à favoriser la visibilité, la parité et l’égalité hommes/femmes dans les métiers du numérique, comme celles de French Women CIO et de Femmes@numérique. Mesdames, le secteur de la tech a besoin de vous !

Propos recueilli par Patrick Brébion, Photos de Mélanie Robin


Parcours de Malika Pastor

Depuis 2017 : Directrice des systèmes d’information et du numérique, Colliers 
  2011-2016 : Directrice des systèmes d’information, Knight Frank 
  2000-2010 : Responsable informatique Europe, ZS Associates 
  1998-2000 : Responsable micro & réseaux, Dunlop Tyres SA 
  1997-1998 : Ingénieure informatique, EDF

Formation

CentraleSupélec : Master2 en génie industriel, sciences de l’entreprise
D.E.F.I : Diplôme européen d’études supérieures en informatique


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