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Bruno Bonnell : “Les robots vont nous rendre plus compétitifs et créeront de l’emploi”

Par La rédaction, publié le 03 mai 2013

[INTERVIEW] Pour ce visionnaire, fondateur de la société Robopolis, la robotique va changer nos vies. Et la France a toutes les cartes en main pour devenir un leader de cette industrie.

Au rayon des aspirateurs, dans les magasins Darty, de drôles de soucoupes à roulettes font un tabac. Commercialisés entre 400 et 600 euros, ces robots-aspirateurs gèrent de manière autonome la corvée de nettoyage domestique. En France, il s’en est vendu l’an dernier plus de 100 000. La société chargée de leur distribution dans l’Hexagone et dans six autres pays européens s’appelle Robopolis.

Bruno Bonnell croit ainsi dur comme fer à l’arrivée imminente de ces robots dans notre vie. Au point d’avoir créé un syndicat professionnel, Synorobo, et un salon, Innorobo, dont la troisième édition s’est tenue à Lyon du 19 au 21 mars, attirant 15 000 visiteurs venus admirer les quelque 300 robots français, mais aussi japonais, coréens ou américains.

Bruno Bonnell est-il un utopiste loufoque ou un génial précurseur ? Une chose est sûre, l’homme n’a pas usurpé sa réputation d’entrepreneur visionnaire. En 1983, il a à peine 25 ans quand il lance Infogrames, devenu Atari, une entreprise mythique du jeu vidéo qu’il dirigera pendant plus de vingt ans. En 1995, il s’illustre également en fondant Infonie, le premier fournisseur d’accès Internet français. Aussi, lorsque, avec des accents de prophète, il annonce la “ robolution ” imminente, on a tendance à l’écouter.

Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à la robotique ?

Bruno Bonnell : Un chemin logique. Après le micro-ordinateur dans les années 80, la téléphonie mobile dans les années 90, Internet dans les années 2000, nous vivons l’ère du smartphone et du big data. La continuité de cette chaîne du numérique sera, vers 2020, l’avènement de la robotique. Avant de quitter Atari en 2007, j’avais d’ailleurs présenté un plan stratégique pour ouvrir deux nouveaux fronts dans le jeu vidéo : le on line et la robotique. Robopolis était à l’époque une petite boutique de robots, que j’avais achetée en 2006, comme quelqu’un qui aime les gâteaux achèterait une pâtisserie. Je n’avais pas d’autre intention que de m’en servir comme territoire d’observation. Puis, remercié, je m’y suis intéressé de plus près. Il y avait déjà un intérêt pour certains produits, notamment le robot-aspirateur.

N’est-il pas un peu tôt pour parler de décollage de la robotique domestique ?

B.B. : Le rapport satisfaction/prix des robots commence à être assez bon pour que ces machines ne soient plus vues comme des gadgets, mais bien comme des outils d’aide à la vie quotidienne. A 400 euros, un robot-aspirateur devient accessible. Nous en avons d’ailleurs vendu 100 000 en 2012. De même, les tondeuses-robots que nous comptons commercialiser en dessous de 1 000 euros s’alignent sur les prix de tondeuses traditionnelles sophistiquées. De plus, ce que font les robots est maintenant de très bonne qualité.

Peut-on faire un lien avec l’émergence des objets connectés ?

B.B. : C’est une évolution fondamentale. Dès lors que l’intelligence de l’objet passe par la connexion à Internet, de nombreux marchés s’ouvriront. C’est un moment de rupture. Mais il fallait pour cela que nous ayons chez nous les box Wi-Fi pour assurer la connectivité. Grâce à cela, la domotique, que je rebaptiserais bien robotique domestique, prendra son essor.

Parmi les robots présentés à Lyon lors du forum Innorobo, quels sont les plus remarquables ?

B.B. : Je pense à Rosa, l’un des cinq seuls robots au monde autorisé à opérer des humains. Mais aussi à Navia, la voiture sans chauffeur d’Induct, qui, depuis peu, circule en tests à Lyon.

L’assistance aux personnes âgées n’est-elle pas le marché sur lequel la robotique se développera en priorité ?

Autre exemple : une société américaine a développé Healthspot, une cabine munie de matériel médical qui autorise le patient à effectuer lui-même quelques examens de base et à consulter un médecin en téléprésence. Voilà un objet connecté et intelligent. Aujourd’hui déjà, une machine pourrait assurer de manière autonome plus de la moitié des diagnostics médicaux standards. Je fais le pari que nous aurons des distributeurs automatiques de santé, et bien d’autres “ devices ”, pour améliorer notre confort de vie.

Et qu’en est-il de l’environnement professionnel ?

B.B. : De plus en plus d’objets seront aussi connectés au sein de l’entreprise. Avec les téléphones et les tablettes, on ne perçoit aujourd’hui que la partie émergée de l’iceberg, mais de nombreux autres objets de notre environnement professionnel prendront une forme d’autonomie et de communication. Nous avons beaucoup entendu parler, par exemple, des robots facilitant le télétravail, comme Jazz, mais ils restent très chers. Alors qu’aujourd’hui débarquent des robots de téléprésence “ de table ”, à l’image du projet Botiful qui coûte 200 dollars et qui est pilotable à partir de Skype !

Ce genre d’objet, financé par crowdfunding (financement participatif), simplissime, est emblématique de ce que nous n’envisageons pas actuellement et qui se banalisera dans nos bureaux demain. Dans un autre registre, je suis persuadé que les fauteuils de bureaux de demain seront bardés de capteurs qui agiront sur nous pour mieux gérer notre stress au travail. Nous comptons sur la capacité naturelle de notre corps à récupérer de tout en permanence. Or, c’est impossible. A 50 ans, quand vous arrivez en réunion après huit heures d’avion, vous êtes crevé. Cela semble pour certains de la science­fiction, mais le sujet du stress au travail peut, par exemple, être traité par la robotique.

L’arrivée des robots ne posera-t-elle pas des problèmes de sécurité ?

B.B. : La sécurité constitue un enjeu crucial. D’une part, à cause du hacking. Le piratage informatique reste, dans beaucoup de cas, une plaie d’argent, non mortelle. Mais en robotique et avec les objets connectés, cela pourrait se révéler excessivement dangereux. Imaginez que quelqu’un prenne le contrôle d’un réseau de voitures automatiques ou de machines dans une usine. Un autre risque est de voir un robot prendre demain une décision autonome et blesser quelqu’un. Il y a dans ce contexte un grand vide juridique. L’arrivée des robots nous oblige donc à repenser notre environnement. Selon moi, à terme, le robot sera une personne morale et aura une responsabilité civile.

Ces évolutions ne sont-elles pas susceptibles de détruire des emplois ?

Les robots peuvent-ils participer à la réindustrialisation de la France ?

B.B. : Je préfère parler de néo-industrialisation. Il convient de sortir de cette nostalgie de l’usine et d’aller chercher des territoires de croissance qui ne soient pas des répétitions de notre histoire. Je nous vois plus avec des entreprises de biotech, de green tech et de robotique que de pétrochimie et de sidérurgie. Je crois en la France comme une Californie de l’Europe, un centre d’innovation et de création de valeur par la recherche et les usages. Que des inventions françaises soient fabriquées ailleurs, ça ne me gêne pas.

Quels sont, justement, les atouts de la France pour devenir un leader en robotique ?

B.B. : Nous formons les jeunes à l’informatique de façon remarquable. Nous bénéficions de centres de recherche d’exception en numérique et en robotique, et de sociétés de services informatiques référentes. Nous sommes “ 01 natifs ”. Paradoxalement moins dans l’usage que certains pays, parce que nous sommes plus lents à démarrer. Il faut, bien sûr, que les PME françaises se robotisent, il n’y a pas de débat. En Allemagne, on dénombre trois fois plus de robots industriels qu’en France. Deux fois plus en Italie. Mais dans la conception et la conceptualisation, nous sommes très bien placés.

Le financement ne pose-t-il pas problème ?

B.B. : Comme dans tout nouveau secteur, les start up et les PME de robotique ont du mal à trouver des capitaux. Et, à la différence de l’informatique, les besoins en investissements sont importants. Il faut acheter des machines, fabriquer des moules, faire des tests… Il ne suffit plus de vouloir pour fonder une entreprise. C’est pour cela que j’ai créé le fonds Robolution Capital : 60 millions d’euros que nous allons commencer à investir avant l’été dans une vingtaine d’entreprises, en majorité jeunes, avec des tickets allant de 300 000 euros à 3 millions.

Comment donner envie aux jeunes d’aller vers la robotique ?

B.B. : Comme on donnait envie à l’époque dans le domaine du logiciel. Il est intéressant de voir que, dans les écoles d’ingénieurs et les universités, les anciens clubs d’électronique, devenus des clubs informatiques, se sont aujourd’hui transformés en clubs de robotique. Les geeks du jour ne sont déjà plus sur Internet, mais sur les objets communicants et les robots. Ce sont les métiers du futur.

Pensez-vous que la France soit un pays intéressant pour développer une entreprise innovante ?

B.B. : La France est un des pays où il est le plus facile d’entreprendre. A l’époque d’Atari, j’étais présent dans 52 pays, je parle donc en connaissance de cause. J’invite les entrepreneurs à se rendre en Californie, en Corée, en Allemagne, et à sortir leur business plan. Ils verront qu’aux Etats-Unis, tout doit être cautionné avec votre argent ou votre maison ; qu’en Corée, si vous n’êtes pas coréen, c’est compliqué administrativement. Tandis qu’en Allemagne, il est fortement conseillé de s’associer avec un grand groupe.

En France, l’environnement est favorable, les aides sont diverses et variées, la formation accessible… Reste la question de la fiscalité, qui n’est pas idéale. Mais ce sont deux choses différentes. Ceux qui vont s’installer à l’étranger me font de la peine. Au risque de paraître vieux jeu, nous avons un devoir de reconnaissance vis-à-vis du territoire sur lequel nous avons étudié et été soignés. Pourquoi, au lieu de jouer les vierges effarouchées, les entrepreneurs, qui font le plus beau métier du monde, ne participent-ils pas à la vie de la cité et n’essaient-ils pas de faire avancer les choses ?

Bio

1958 : naissance à Alger.
1983 : fonde Infogrames, qui rachète Atari en 2000.
1996 : crée Infonie.
1999 : monte la chaîne Game One TV.
2007 : Président de Robopolis.
2010 : publie le livre vive la robolution.
2012 : crée le fonds d’investissement Robolution Capital.

[INTERVIEW] Bruno Bonnell présente la dernière édition d’InnoRobo

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