Retours d'expériences

Ben Fried, DSI de Google : « Ma méthode : dire oui à tous les projets »

Par La rédaction, publié le 28 juin 2012

Ben Fried est aux commandes du système d’information de Google depuis quatre ans. Une position où il observe avec passion la transformation des relations entre la technologie, l’entreprise et les utilisateurs.

Etes-vous un DSI comme les autres ?

Ben Fried: En fonction de l’entreprise où il est en poste, chaque directeur informatique est différent. Aujourd’hui, ma mission est de fournir aux 30000 salariés de Google les technologiques dont ils ont besoin pour être performants. En ce sens, je suis semblable à mes pairs. Ma particularité est d’utiliser beaucoup de produits Google, même si leur développement n’est pas dans mon périmètre. C’est donc passionnant d’être le DSI d’une société qui conçoit de nouveaux outils et de nouvelles façons de travailler. Dans notre métier, l’une des difficultés est de pousser à l’adoption de nouvelles technologies. Chez Google, c’est plus facile parce ce que ce sont les produits maison.

Avant Google, vous avez passé quatorze ans à la direction informatique d’une banque. Comment avez-vous vu évoluer votre métier ?

Ce que j’avais commencé à voir dans mon précédent poste était la transformation  des besoins utilisateurs et l’apparition de la consumérisation de la technologie. A mes débuts, le rôle du DSI était de choisir avec soin des outils et de les imposer. Cela avait du sens, car la technologie était très chère. Le DSI ne devait pas se tromper. Le grand changement réside dans l’essor de la microinformatique et la révolution d’internet. Les nouvelles générations, nées avec l’ordinateur, n’ont plus besoin qu’on leur en explique le fonctionnement. N’ayant pas, chez eux, de département informatique ou de help desk, ces jeunes gens ont appris à gérer leurs équipements.

Pourquoi insistez-vous sur la nécessité d’un nouveau contrat social entre la DSI et les utilisateurs ?

La consumérisation des technologies de l’information entraîne un changement majeur du contrat social. Auparavant, le DSI sélectionnait la technologie et il devait for mer les salariés à s’en servir. Aujourd’hui, je laisse ceux-ci choisir eux-mêmes les outils avec lesquels ils seront le plus productifs. Ce n’est plus l’entreprise qui impose ses choix. Attention, cela ne signifie pas qu’ils viennent avec leurs propres matériels. Ils nous indiquent ce qu’ils veulent (Mac, Windows, Linux, Chrome, etc.) et les logiciels dont ils ont besoin (Microsoft Office, OpenOffice, etc.), et nous leur fournissons la configuration demandée. Et si quelqu’un veut néanmoins travailler avec son équipement personnel, il y a évidemment des règles précises à respecter en matière de sécurité.

Quel est l’avantage d’avoir équipements informatiques en libre-service ?

Cette façon de faire se révèle beaucoup plus économique. Aujourd’hui, ce qui coûte cher, ce n’est pas l’achat d’un ordinateur, mais sa maintenance. Même dans les sociétés les plus performantes, la facture du support d’un poste de travail sur une année est plus élevée que son coût d’acquisition. Nous constatons au quotidien que les employés assurent très bien la maintenance de leurs propres équipements. Par ailleurs, et c’est très important, la satisfaction du collaborateur, grâce à ce système de libre-service, est très élevée chez Google. Au final, nos coûts de maintenance sont beaucoup plus bas que ceux d’autres entreprises de taille similaire. D’ailleurs, ceux-ci augmentent moins vite que la croissance de Google. C’est la preuve que notre modèle fonctionne et qu’il est de plus en plus efficient.

Vous insistez, dans ce nouveau contrat, sur la nécessité de la transparence. Que vous voulez dire ?

Nous offrons aux salariés l’autonomie de choisir eux-mêmes leurs équipements (unité centrale, clavier, moniteur, etc.). Evidemment, tout est enregistré pour vérifier que personne ne trahit cette confiance. Tous les mois, nous transmettons aussi à chacun ce que nous coûtent les matériels choisis. Cette transparence a rendu chacun plus responsable de l’intérêt de l’entreprise

Quel est votre bilan personnel du cloud computing ?

Mon avis est qu’il faut mettre le maximum d’applications sur le nuage. Prenons l’exemple de la messagerie. La plupart des DSI sont en fait aujourd’hui des fournisseurs de messagerie. Cela leur prend beaucoup de temps et d’énergie. Quand la messagerie fonctionne, le directeur informatique n’en est jamais remercié. En revanche, si cela ne marche pas, cela peut lui attirer beaucoup d’ennuis. Pour ma part, je suis juste un utilisateur de messagerie – de Gmail, évidemment –, et n’ai pas à me soucier de la manière dont elle fonctionne. De façon plus globale, je conseille aux DSI de remettre en question toutes les solutions hébergées en interne pour lesquelles ils ne seront jamais remerciés et qui ne procurent pas à l’entreprise un avantage compétitif.

Pourquoi le cloud révolutionne-t-il le métier de DSI ?

Le nuage, c’est la liberté d’innover. Longtemps, le DSI était celui qui disait « non ». Cette attitude était justifiée. Les technologies étaient chères, particulièrement sur la durée avec des coûts de maintenance se prolongeant sur des années. Il fallait être prudent. Aujourd’hui, nous pouvons essayer des choses sans avoir besoin de nouvelles plates-formes matérielles. Si cela ne marche pas, pas de problème, nous avons payé pour voir, mais le dossier est clos. A la direction informatique de Google, nous sommes évidemment de grands utilisateurs de Google App Engine (plate-forme de conception et d’hébergement d’applications web de Google – NDLR). J’ai pu réaliser que je n’avais plus de soucis d’administration de systèmes, d’équilibrage de charge, de mises à jour…toutes ces choses qui donnent des migraines aux DSI. Parce que nous mettons le maximum d’applications dans le cloud, mes équipes et moi passons plus de temps à analyser les technologies qui seront utiles à Google, celles qui permettront à l’entreprise de se distinguer de ses compétiteurs.

Nous acquérons beaucoup de technologies à l’extérieur. En général, ce sont des logiciels verticaux ou métier. Certains sont en mode cloud, d’autres non. Notre ERP, par exemple, est un produit du marché. Mais nous concevons aussi beaucoup d’applications en interne. Nous développons certainement beaucoup plus que la plupart des DSI. Aujourd’hui, Le rôle du DSI est de bien comprendre les spécificités de son entreprise, ce qui la rend spéciale et compétitive. Chez Google, nous avons des façons de travailler très particulières, et c’est cela qui fait notre originalité. Pour coller à ces besoins spécifiques, nous créons donc nos propres logiciels. C’est ainsi que nous avons développé notre propre outil de gestion des ressources humaines parce que notre gestion des compétences et des carrières est différente de celle qui a cours ailleurs. Autre exemple: nous avons conçu en interne notre propre système de visioconférence. Il est aujourd’hui déployé à 6 000 exemplaires et Google est le plus grand utilisateur non militaire de visioconférence dans le monde. Nous ne fournissons plus de téléphone aux salariés. Si vous en voulez un, on vous le donne mais l’équipement standard, c’est le softphone, et en interne, tout le monde utilise la visioconférence.

Quels sont les cauchemars du directeur informatique de Google ?

Des cauchemars classiques de DSI (rires). Comme beaucoup de mes pairs, l’un de mes principaux challenges est d’avoir de bonnes relations avec les métiers de l’entreprise et de bien comprendre leurs besoins, d’autant que les salariés de Google sont très exigeants. Je passe aussi beaucoup de temps à me soucier des problèmes de sécurité. Est-ce que j’ai bien tout prévu? La gestion des changements est une autre problématique. Cette année verra l’arrivée d’une nouvelle version de Microsoft Windows, de Mac OS, de Linux et de Chrome Desktop. Je dois organiser ces changements et préparer mes équipes. Enfin, il y a le recrutement. Trouver des ingénieurs qui ont la passion de la technologie, et les retenir, c’est difficile pour toutes les organisations.

Comment va évoluer le métier de DSI ?

Le métier continuera à être cet assemblage subtil de recherche de l’innovation, de bonne compréhension des besoins de l’entreprise et de maîtrise des technologies. L’évolution majeure est qu’il est de plus en plus facile d’opérer des changements dans les organisations. Quand j’observe mes enfants devant leurs ordinateurs, cela ne leur pose aucun problème de changer d’interface ou d’utiliser une nouvelle fonctionnalité. En entreprise, ce type de changements reste douloureux et compliqué. Grâce au cloud, les informaticiens seront de plus en plus libérés des contraintes physiques, des problématiques de datacenters, de serveurs et de réseau. Cela leur laissera beaucoup plus de temps pour l’innovation.

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