Green IT

Comment devenir un bon élève de la sobriété numérique en 9 cas d’école

Par Marie Varandat, publié le 04 juillet 2023

Chaque année, depuis 2009, nous publions un dossier sur le sujet de la green IT en nous appuyant sur des études scientifiques et des conseils d’expert. Cette année, nous avons décidé de laisser parler les organisations qui se sont emparées du sujet de la sobriété numérique.

Sommaire

Semaine 1 – Saint-Etienne Métropole : un exercice d’équilibriste

Tiraillé entre des utilisateurs qui veulent des équipements modernes, des contraintes budgétaires et des impératifs de sécurité, le DSI de la Métropole a choisi de focaliser ses ressources sur des projets à fort impact. 

Semaine 2 – Pour Bouygues, la mesure est essentielle

Pour le groupe multi-services, la compréhension du sujet ou l’absence d’indicateurs de suivi ne doivent pas freiner l’action, car les leviers de réduction de l’empreinte du numérique sont connus.

Semaine 3 – LVMH structure ses initiatives au niveau groupe

Le groupe de luxe s’est saisi depuis plusieurs années de la question de l’environnement. Sa DSI a lancé un programme pour porter la bonne parole et étendre les bonnes pratiques dans les filiales. 

Semaine 4 – Randstad recycle ses données

Lancé depuis des années dans une démarche de rationalisation de la data et des coûts associés, le groupe d’intérim a initié un projet pour optimiser l’usage des données. La démarche s’inscrit aujourd’hui au cœur de sa stratégie de numérique responsable.

Semaine 5 – Bordeaux Métropole décline sa stratégie avec méthode

En 2021, les élus de la métropole ont voté sept « ambitions numériques ». Le numérique responsable en est un fondement. Depuis, la DGNSI concrétise cette priorité dans toutes ses actions. 

Semaine 6 – La démarche systémique et globale de MACS

Le DSI de la Communauté de communes Maremne Adour Côte Sud (CCMACS) a misé sur la formation de ses collaborateurs pour porter le sujet dans tous les projets et adopter ainsi une démarche systémique et globale qui interroge les besoins réels.

Semaine 7 – Agence du Numérique en Santé : un EcoScore pour les applications de e-santé

Pour rejoindre le catalogue des services proposés sur le portail « Mon espace santé » de l’ANS, les éditeurs doivent se plier à un protocole de mesure de l’impact environnemental de leurs applications.

Semaine 8 – Banque de France : contenir l’impact environnemental de l’accroissement du SI

Mise en place dès 2019, la démarche numérique responsable de la Banque de France est aujourd’hui très structurée. Grâce à la mesure, la banque centrale peut identifier les axes de progrès à réaliser.

Semaine 9 – Grenoble Alpes Métropole : avancer pas à pas en structurant la démarche

La collectivité Grenoble Alpes Métropole s’est engagée très tôt dans des initiatives écoresponsables.En chemin, elle a aussi découvert l’importance d’une démarche structurée, inscrite sur le long terme…


À l’aune de leur expérience, force est de constater que la green IT est une question difficile qui ne se limite pas à la seule réduction de l’empreinte environnementale du numérique. C’est pourquoi nous préférons désormais parler de « numérique responsable », exercice qui consiste à trouver les meilleurs compromis entre réduction de l’empreinte environnementale du numérique et développement économique et social de nos sociétés résolument numériques. Ainsi que vous pourrez le constater à travers les huit témoignages de ce dossier, le sujet est pour le moins vaste et complexe…

Entre des utilisateurs récalcitrants, des méthodes à affiner, une économie circulaire naissante et des impératifs concurrentiels et sociétaux, les DSI ont du mal à trouver la recette miracle pour contenir l’empreinte environnementale du numérique. Les démarches sont souvent embryonnaires, mais revèlent une véritable volonté d’intégrer la composante dans leur stratégie.

Sobriété numérique : des équilibres difficiles à trouver

À l’horizon 2030, si rien n’est fait pour réduire l’empreinte environnementale du numérique et que les usages continuent de progresser au rythme actuel, le trafic de données sera multiplié par six et le nombre d’équipements sera supérieur de près de 65 % par rapport à 2020, notamment du fait de l’essor des objets connectés. L’empreinte carbone du numérique en France augmentera ainsi d’environ 45 %, la consommation des ressources abiotiques (métaux et minéraux) d’environ 14 % et la consommation énergétique (en phase d’usage) de 5 %. Si ces chiffres issus du dernier rapport remis au gouvernement par l’Ademe et l’Arcep se concrétisaient, la France s’engagerait clairement sur une pente contraire aux engagements pris dans le cadre de l’Accord de Paris. Plus prosaïquement, au rythme actuel, l’essor du numérique est insoutenable pour la planète.

Une équation complexe

Cette consommation tous azimuts n’est toutefois pas dénuée de sens ainsi que le rappelle le rapport : « Le numérique constitue un puissant facteur d’évolution de la société, tant au plan économique et social que dans la vie quotidienne de nos concitoyens et dans l’évolution des services publics. Tout l’enjeu est de combiner le développement du numérique selon les besoins de la société et de l’économie avec une nouvelle exigence environnementale. » Autrement dit, si la problématique environnementale du numérique se résumait à réduire son empreinte, la solution serait simple : arrêtons les datacenters, les applications et les services… et surtout les écrans et les smartphones qui coûtent si cher à la planète !

Mais alors que la visioconférence augmente le poids du numérique, elle réduit dans un même temps les déplacements en voiture, en avion ou en train, qui sont tout aussi polluants et consommateurs de ressources. Et pendant que les bâtiments se dotent de technologies intelligentes qui alourdissent le bilan environnemental du numérique, leur consommation énergétique diminue grâce à elles. On pourrait multiplier les exemples longtemps pour démontrer à quel point l’empreinte du numérique relève d’une équation complexe entre dépenses environnementales d’un côté et économies de l’autre. Et même avec une balance négative, le numérique revêt de tels enjeux concurrentiels et remet tellement en cause certains modèles économiques que la lutte semble parfois perdue d’avance, ainsi que le souligne Delphine Lescarcelle-Evin, directrice à la DGSI et responsable du projet stratégique de Sobriété numérique à la Banque de France : « Le sens de l’histoire fait que le système d’information ne cesse de croître. Toute notre démarche consiste à contenir l’impact environnemental de ces évolutions. »

DSI de la Communauté de communes Maremne Adour Côte Sud, Fabien Zaccari a opté pour une approche radicalement différente : « Il faut arrêter de raisonner en silo ! Le numérique responsable doit être une démarche systémique et globale qui interroge à chaque fois le besoin pour trouver la solution qui coûte le moins cher à la planète. » Engagé de longue date dans une lutte contre le gaspillage numérique, Fabien Zaccari n’hésite pas pour autant à implémenter une IA coûteuse en ressources « parce que le service rendu vaut la dépense environnementale ».

Une sobriété numérique qui relève de la DSI

Malgré les indéniables composantes économique, sociétale et business de l’équation complexe de la réduction de l’empreinte environnementale du numérique, la stratégie relève de la DSI, estiment la plupart des entreprises interrogées dans le cadre de ce dossier. La raison est simple : « La responsabilité de l’action est portée par la DSI parce qu’elle a le savoir du système d’information et les moyens en termes d’inflexion dans les orientations à prendre pour réduire l’impact du numérique. La RSE n’a pas les leviers pour mener ces actions, ce qui ne veut pas dire que nous ne nous coordonnons pas », explique Delphine Lescarcelle-Evin.

En pratique, la plupart des entreprises et des organisations ont nommé un responsable chargé de la question du numérique responsable. Émanant de la DSI, il travaille en collaboration étroite avec les instances chargées du développement durable. Son profil est technique car il a besoin d’une connaissance transversale du système d’information, pour identifier et mesurer les leviers d’action. Dans les plus grandes organisations, une équipe centrale pilote l’action en s’appuyant sur des relais distribués dans toute l’entreprise. C’est notamment le cas à la Banque de France, mais aussi chez LVMH où l’application des bonnes pratiques relève désormais de la responsabilité des CTO de chaque entité du groupe.

Dans tous les cas, les responsables du numérique travaillent en concertation avec la direction générale, faute de quoi elles n’ont pas « la capacité et la légitimité à mobiliser les ressources de toute l’organisation pour avancer », souligne Delphine Lescarcelle-Evin. De plus, si la responsabilité relève de la DSI, l’empreinte du numérique n’en reste pas moins un sujet d’entreprise qui impacte chaque collaborateur dans ses usages, de l’utilisateur lambda qui doit nettoyer sa boîte mail au développeur qui doit concevoir des services « frugaux », sans oublier le client qu’il va aussi falloir responsabiliser sur ses usages…

Accompagner des collaborateurs récalcitrants

C’est pourquoi toutes les entreprises investissent énormément dans la sensibilisation et la formation. Ce volet est d’autant plus fondamental que, comme le souligne une étude réalisée par Veritas Technologies, en collaboration avec OpinionWay, « 74 % des Français sont conscients de l’impact écologique de leurs activités numériques professionnelles, mais 51 % persistent dans des habitudes peu vertueuses pour l’environnement au nom du professionnalisme ». Et le constat est d’autant plus alarmant que les générations Y et Z, pourtant identifiées comme les générations « climat », ne font guère mieux : si 43 % des salariés français de plus de 50 ans ont des milliers d’e-mails non lus dans leur boîte de réception, ce chiffre monte à 49 % chez les moins de 35 ans.

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Ces problèmes comportementaux touchent aussi le matériel. Chez Bouygues et d’autres groupes similaires, seulement un tiers environ des utilisateurs ont accepté des téléphones reconditionnés. Malgré tout, leurs directions se veulent confiantes : avec la sensibilisation, le nombre augmentera. Il n’en reste pas moins que l’acculturation des collaborateurs constitue un frein aujourd’hui dans toutes les organisations : il faut transformer les usages, responsabiliser, et faire accepter l’idée qu’un ordinateur portable reconditionné n’est pas un signe de dévalorisation du poste ou du collaborateur. La tâche est d’autant plus ardue que les problématiques sont souvent mal cernées. Ce que souligne l’étude réalisée par l’institut Opinea pour le Groupe ATF en novembre dernier : si l’achat de matériel reconditionné est entré dans les habitudes de plus d’un Français sur deux (56 %), seulement 13 % le font pour des raisons liées à l’environnement (contre 55 % pour le prix et 27 % pour la garantie), et seulement 2 % s’inquiètent du sourcing du matériel. Or, un équipement qui fait l’aller-retour entre la France et l’Inde pour être reconditionné n’a clairement pas le même impact environnemental qu’un matériel reconditionné en local.

Composer avec un marché qui manque encore de maturité

Cette transformation des usages est complexifiée par un marché matériel et logiciel encore trop inadapté aux stratégies que les entreprises tentent de mettre en place. Malgré l’essor de start-up spécialisées dans le recyclage et le reconditionnement au cours de l’année écoulée, ou encore le renforcement d’acteurs existants, comme Evernex qui vient d’ouvrir le plus grand site de reconditionnement informatique d’Europe, l’économie circulaire est clairement à la traîne. La plupart des DSI ont du mal à trouver du matériel reconditionné, et quand ils le trouvent, il est souvent plus cher que du matériel neuf. À ce stade, s’équiper en matériel reconditionné relève plus du greenwashing que d’un véritable effort écologique, estiment même certains DSI. Quant au recyclage, nombre d’entre eux ont dû nouer des partenariats avec des associations ou des petits acteurs locaux pour mettre en place la récupération du matériel usagé. Dit autrement, la filière n’est clairement pas dimensionnée pour répondre aux besoins.

De plus, qu’il soit reconditionné ou neuf, le matériel reste soumis aux exigences de performance des logiciels. Ne pas appliquer une mise à jour est un risque que certains DSI, comme Fabien Zaccari, sont prêts à prendre pour éviter le gaspillage numérique. D’autres, comme Alexis Bédeneau, DSI Holdings et Applications Groupe de LVMH, préfèrent surdimensionner à l’achat pour garder le matériel plus longtemps. Quelle que soit l’approche, elle souligne l’absence de véritable stratégie chez les éditeurs pour accompagner les entreprises dans la réduction de leur empreinte.

Démystifier les idées reçues sur la mesure et les économies

Enfin, il ressort des différents témoignages des DSI que, si le numérique responsable est souvent synonyme de rationalisation, il ne draine pas systématiquement des économies. À ce stade de maturité des entreprises et du marché, il a même tendance à engendrer un surcoût parce que le matériel durable coûte souvent plus cher, parce qu’il faut former les développeurs à l’éco-conception, parce qu’il faut transformer le système d’information, prévoir les budgets pour sensibiliser les collaborateurs… Autre point important, nous nous sommes beaucoup focalisés au cours de ces dernières années sur la difficulté à mesurer l’empreinte environnementale du numérique. Cette difficulté est bien réelle, et ce malgré des méthodes qui se peaufinent, des prestataires qui en ont fait une expertise, ou encore une myriade d’outils de mesure apparus dans le courant de l’année, sans oublier la sortie de la base de données NegaOctet qui simplifie considérablement la tâche. Reste que peu d’entreprises ont des inventaires à jour de leur parc IT et qu’elles ne savent pas toujours quoi mesurer. Pour autant, la majorité des DSI s’en accommodent. Ainsi que le souligne Marie-Luce Godinot, directrice générale adjointe Innovation, Développement durable, et Systèmes d’information du groupe Bouygues, « il faut rester humble et savoir se contenter d’approximations, ce qui ne doit pas nous empêcher d’agir car on sait déjà, globalement et sans avoir à mesurer, sur quels leviers agir pour réduire l’empreinte ».


Les principales contraintes réglementaires actuelles et à venir

La loi REEN

Votée en novembre 2021, la loi REEN (Réduction de l’Empreinte Environnementale du Numérique) prévoit différentes mesures pour limiter la consommation énergétique et les déchets liés au numérique. Certaines concernent directement les DSI :

2024

Transformation de l’indice de réparabilité (loi AGEC) en indice de durabilité avec de nouveaux critères comme la robustesse, la fiabilité et l’évolutivité des produits. Les smartphones seront tout particulièrement concernés.

2024

Critères de conception durable des sites web fixés par le référentiel général d’éco-conception des services numériques.

2025

Les communes et les intercommunalités de plus de 50 000 habitants doivent élaborer une stratégie numérique responsable.

La loi Grenelle II

L’article 75 de la loi Grenelle II (2010) qui rend obligatoire la réalisation d’un bilan d’émissions de gaz à effet de serre (BEGES) pour les entreprises de plus de 500 personnes (250 dans les DOM), les collectivités de plus de 50 000 habitants, les établissements publics de plus de 250 agents en France métropolitaine, a été modifié par le décret du 1er juillet 2022.

Le BEGES doit désormais inclure le SCOPE 3 (sauf les entreprises avec un chiffre d’affaires ou un bilan consolidé inférieur à 100 M€) et le plan d’action à joindre au bilan est remplacé par un plan de transition, plus exigeant sur le contenu.

La sanction qui était autrefois de 1 500 € en cas de manquement est majorée à 10 000 €, mais peut aller jusqu’à 20 000 € en cas de récidive.

La loi Climat et résilience

Votée en août 2021, la loi Climat et résilience prévoit une « étiquette environnementale » pour afficher l’impact, en particulier sur le climat, des produits. Dans ce cadre, l’Ademe a déposé la marque « Eco-score », utilisée aujourd’hui uniquement dans l’alimentaire, mais avec un champ potentiel multi-sectoriel, comme en atteste son dépôt de marque. Comparable au Nutriscore, l’Eco-score permet d’attribuer une note sur une échelle de A à E et pourrait s’appliquer aux services numériques dès 2025.

Le Pacte Vert

Au niveau européen, le Pacte Vert (European Green Deal) propose un ensemble de mesures visant à engager l’UE sur la voie de la transition écologique avec pour objectif d’atteindre la neutralité climatique à l’horizon 2050. Il doit encore être concrétisé par des réglementations.

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