Tribune USF : La géopolitique ne peut plus être ignorée par l'IT

Gouvernance

Souveraineté numérique : l’USF alerte sur une dépendance devenue critique

Par Laurent Delattre, publié le 04 juin 2025

Quand un simple ordre venu de Washington peut couper les services d’une institution européenne, la fiction devient réalité et la dépendance, un danger immédiat. L’USF monte au créneau et accuse : continuer à ignorer les menaces géopolitiques, c’est mettre en jeu la survie même de nos systèmes d’information !

“Le bon déroulement de nos processus critiques est-il à l’abri d’un coup de force géopolitique ? “
s’interroge d’emblée l’USF dans une tribune rendue publique ce jour (cf. ci-dessous).
Tout comme le Cigref et Numeum ces dernières semaines, l’USF s’inquiète très ouvertement de l’impact devenu majeur de la géopolitique sur non seulement la stratégie des DSI mais également le fonctionnement actuel de nos infrastructures numériques beaucoup trop dépendantes de technologies et services américains.

Cette tribune tombe juste après “l’incident CPI”. Quelques jours à peine après une prestation du président de Microsoft, Brad Smith, devant les institutions européennes à Bruxelles, promettant que son entreprise contesterait « promptement et vigoureusement » toute demande gouvernementale visant à suspendre ses infrastructures européennes, son entreprise trahissait sa parole et ses promesses en coupant les emails de la Cour Pénale Internationale (CPI) sous l’injonction de l’administration américaine qui réagissait à la décision de la Cour d’ouvrir des enquêtes sur les hauts dignitaires israéliens dans le cadre des opérations militaires à Gaza.

Cette coupure de services a fait d’autant plus parler d’elle qu’elle concrétisait l’alerte formulée par Max Schrems dans son intervention lors du Forum InCyber 2025 : l’hypothèse d’une coupure des services Cloud américains pour un pays européen ou une institution européenne est désormais crédible et n’est clairement plus un scénario de Science-Fiction. Il avait bien raison !

Microsoft a prouvé le bien fondé de cette alerte et détruit la piètre crédibilité des propos de son président en un claquement de doigts !

Une Europe numérique devenue américano-dépendante

Et l’USF de rappeler cette alerte dans sa tribune : « Une cyberattaque massive, un embargo, une panne globale, une action coercitive d’un organisme étranger ou une désorganisation interne de l’éditeur peuvent donc suffire à paralyser toute une organisation.». Leur constat met le doigt là où ça fait mal : la trop grande dépendance européenne aux services numériques européens. Et l’USF de nous interroger : « À quel point sommes-nous vraiment prêts à y faire face ? ».
Et la tribune de l’USF insiste : « Le pire n’est jamais certain, mais ne pas s’y préparer est une faute grave. »

Sur les 170 milliards de dollars dépensés par les entreprises européennes dans les services Cloud en 2024, plus de 120 milliards de dollars le sont auprès de fournisseurs américains !

Ces flux financiers traduisent une dépendance structurelle. Comme le rappelle la tribune, « dans un contexte d’externalisation croissante vers des solutions cloud, principalement opérées par des services américains […] le lien de dépendance au fournisseur devient structurel et critique ». Autrement dit : chaque euro dépensé chez un hyperscaler américain accroît la vulnérabilité opérationnelle de l’entreprise européenne cliente. Sans s’en rendre réellement compte, parce qu’elles excluent la géopolitique de leurs décisions stratégiques IT, les entreprises perdent le contrôle de leur système d’information, devenant otages de leurs prestataires.

L’inquiétude augmente avec l’arrivée de l’IA qui tend aujourd’hui à accroître encore un peu plus notre dépendance aux technologies et services américains.

Convergence de menaces, refragmentation du monde, tensions sino-américaines, conflits armés, cyberattaques, et fragilité des infrastructures critiques rendent la souveraineté numérique plus stratégique que jamais.

Les 5 recommandations stratégiques

Pour l’USF, il est urgent de ne pas écouter les promesses des hyperscalers américains. Elles ne sont tout simplement pas crédibles avec un Donald Trump au pouvoir et une justice américaine soumise au Cloud Act et au FISA.

Bien sûr, l’USF ne s’inquiète pas que des impacts géopolitiques et remet sur le tapis le sujet de la migration Cloud des ERP. « Trop peu d’entreprises prennent la mesure des risques systémiques que cela peut induire. Le sujet n’est pas que technique… Il touche à la continuité d’activité et à la capacité d’agir en temps de crise, c’est un enjeu de survie pour l’organisation » rappellent les auteurs.

Dans sa tribune, l’USF insiste sur cinq leviers prioritaires et engage les organisations à les considérer :
1 – Cloud souverain : Héberger les ERP critiques sur le territoire national/européen avec du personnel local.
2 – Protection des données : Chiffrement de bout en bout avec clés détenues par l’entreprise.
3 – Audit et tests : Vérification régulière des sauvegardes, défenses cyber et plans de continuité.
4 – Environnement de secours : Système de reprise indépendant du fournisseur principal.
5 – Révision contractuelle : Pénalités dissuasives et rééquilibrage des clauses de force majeure.

Derrière cette liste émerge en réalité un principe unique : diversifier les interdépendances pour ne plus être l’otage d’une seule chaîne critique. Les chiffres confirment qu’il y a urgence, les textes européens procurent souvent un cadre, reste à mobiliser la chaîne de décision, du COMEX aux acheteurs, pour transformer le sujet « IT » en réflexe de gouvernance.

Un appel à la mobilisation collective

« Aucune entreprise, ni aucun éditeur, aussi solides soient-ils, ne sont à l’abri d’un événement géopolitique majeur » ajoute l’USF. Sa tribune constitue un signal d’alarme sur la dépendance technologique européenne. Elle ne prône pas un repli technologique mais une approche plus stratégique et résiliente du cloud computing.

L’USF appelle à une mobilisation coordonnée des clubs utilisateurs, acheteurs IT et DSI pour exiger des garanties concrètes des éditeurs et hébergeurs, construire des standards d’exigence communs (et ne pas brader l’EUCS), dialoguer avec les autorités publiques pour faire de la souveraineté numérique une priorité européenne. Selon l’association, la modernisation numérique ne doit pas se faire au détriment de l’autonomie stratégique et de la continuité d’activité. Il est urgent de se mobiliser. Et de conclure « cette dynamique collective ne repose pas sur la peur, mais sur le courage : celui de se doter d’une volonté partagée d’anticipation, de responsabilité et de progrès. Il n’est pas trop tard pour prendre conscience et agir, mais c’est maintenant qu’il faut le faire, avec lucidité et détermination. »


La tribune de l’USF

Face à la montée des risques géopolitiques, le niveau de résilience de nos Systèmes d’Information est-il suffisamment maîtrisé ?

Par les membres du Comité Exécutif de l’USF (association des Utilisateurs SAP Francophones) : Gianmaria Perancin – Président de l’USF, Erwan Le Moigne – Vice-Président Événements, Simon Redondie – Secrétaire générale, Anne-Sophie Guillaume – Trésorière

Refragmentation du monde en blocs rivaux, tensions commerciales sino-américaines, conflits armés en Europe de l’Est et au Proche-Orient notamment …. C’est peu dire que notre monde occidental vit une période de tensions géostratégiques majeures.

Ajoutons à cela le fait que les menaces liées à l’extraterritorialité des lois hors UE (CLOUD Act ou FISA aux ÉtatsUnis, entre autres), les cyberattaques (soutenues de près ou de loin par des puissances étrangères), ou encore la fragilité des infrastructures critiques (câbles sous-marins, datacenters) sont devenues des réalités tangibles, et nous comprenons à quel point les enjeux liés à la souveraineté numérique deviennent stratégiques pour les entreprises européennes. 

Ainsi nous nous interrogeons : le bon déroulement de nos processus critiques est-il l’abri d’un coup de force géopolitique ? Nos Systèmes d’Information sont-ils suffisamment préparés ? Nos organisations sont-elles vraiment conscientes des conséquences d’une rupture de service ou d’une perte définitive de leurs données et de leurs logiciels ? Sont-elles dotées de dispositifs pour se protéger efficacement ?

L’ERP cloud : un levier de modernisation potentiellement porteur d’une fragilité mésestimée

Prenons le cas des systèmes ERP : ils représentent la colonne vertébrale de l’activité de nombreuses entreprises. Facturation, paie, gestion de la production, suivi des ventes, commandes fournisseurs, pilotage financier, transmission des données légales à l’administration… Leur indisponibilité, même temporaire ou partielle, peut avoir des conséquences catastrophiques.

Or, dans un contexte d’externalisation croissante vers des solutions cloud, principalement opérées par des services américains — où qu’ils soient physiquement localisés – le lien de dépendance au fournisseur devient structurel et critique. L’entreprise n’est donc plus en maîtrise de son Système d’Information : en cas de rupture d’accès, elle ne peut qu’attendre et espérer que son prestataire rétablisse le service dans les meilleurs délais. Sans compter que le contrat, généralement rédigé à l’avantage du fournisseur, prévoit souvent des clauses spéciales exonérant ce dernier de ses engagements en cas de crise d’ampleur. Ainsi, si le service ne peut plus être rendu pendant un certain temps pour cause de force majeure et sans possibilité de rétablissement, en règle générale, le contrat autorise simplement le client à le résilier sans contrepartie… même s’il a perdu tout son système et toutes ses données.

Une cyberattaque massive, un embargo, une panne globale, une action coercitive d’un organisme étranger ou une désorganisation interne de l’éditeur peuvent donc suffire à paralyser toute une organisation. À quel point sommes-nous vraiment prêts à y faire face ? Combien de temps une entreprise peut-elle survivre sans pouvoir payer ses collaborateurs ou livrer ses clients ? Sommes-nous suffisamment conscients que la désorganisation engendrée pourrait conduire à la disparition pure et simple de l’entreprise ?

De la promesse à la précaution : faire de la résilience une exigence au cœur des projets numériques

Migrer vers le cloud est un projet souvent justifié par des gains de flexibilité, de performance et d’innovation. Mais trop peu d’entreprises prennent la mesure des risques systémiques que cela peut induire. Le sujet n’est pas que technique, il est surtout stratégique. Il touche à la continuité d’activité et à la capacité d’agir en temps de crise, c’est un enjeu de survie pour l’organisation.

Pour se protéger de ce risque aujourd’hui avéré, cinq leviers prioritaires doivent être considérés :

1 – Se prémunir des lois extraterritoriales – héberger les ERP critiques dans un cloud de confiance (voire souverain) en s’assurant qu’ils soient opérés depuis le territoire national ou européen par du personnel de nationalité française ou a minima européenne ;

2 – Protéger ses données – garantir que les données sont chiffrées de bout en bout, avec des clés détenues uniquement par l’entreprise cliente ;

3 – Vérifier l’exécution des services – auditer le fournisseur et ses sous-traitants, tester régulièrement les sauvegardes et les défenses cyber, et mettre en œuvre des plans de continuité réellement opérationnels ;

4 – Prévoir le pire – disposer d’un environnement de secours qui ne dépend pas d’un opérateur cloud unique, permettant une reprise minimale de l’activité même en mode dégradé ;

5 – Maîtriser l’adéquation de son contrat avec ses besoins – revoir les clauses contractuelles pour obtenir des pénalités dissuasives, réalistes, et mieux équilibrer les clauses des cas de force majeure.

Un défi collectif de mobilisation pour un avenir numérique plus sûr et plus durable

Le pire n’est jamais certain, mais nous estimons que ne pas s’y préparer est une faute grave. Aucune entreprise, ni aucun éditeur, aussi solides soient-ils, ne sont à l’abri d’un événement géopolitique majeur. 

Les clubs utilisateurs des solutions informatiques, ceux des acheteurs IT, la communauté des DSI : tous ont aujourd’hui un rôle central à jouer. Leur voix collective doit peser face aux éditeurs et aux hébergeurs pour exiger des garanties concrètes en matière de résilience. En partageant leurs expériences, en mutualisant leurs réflexions et en construisant ensemble des standards d’exigence, ils sont une force de proposition incontournable. Leur mobilisation doit également s’étendre aux sphères institutionnelles, en entretenant un dialogue exigeant — mais constructif — avec les autorités publiques, afin de faire de la souveraineté numérique une priorité stratégique pour l’Europe.

C’est pourquoi il est aujourd’hui urgent de nous mobiliser, ensemble — utilisateurs, éditeurs, régulateurs — pour bâtir une infrastructure numérique plus résiliente, plus souveraine et mieux préparée aux défis du XXIe siècle. Cette dynamique collective ne repose pas sur la peur, mais sur le courage : celui de se doter d’une volonté partagée d’anticipation, de responsabilité et de progrès. Il n’est pas trop tard pour prendre conscience et agir, mais c’est maintenant qu’il faut le faire, avec lucidité et détermination.



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