Les promesses de Microsoft sur l'IA et l'infrastructure de l'IA

Data / IA

Les 11 commandements d’éthique IA selon Microsoft

Par Laurent Delattre, publié le 27 février 2024

Il est un principe bien compris par les Européens, mais que les Américains semblent encore ignorer délibérément : « les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent ». Dans un grand élan d’humanisme dont il a seul le secret, Brad Smith, le président de Microsoft, s’est évertué à dicter les 11 commandements d’une éthique IA pour son entreprise. Une vision idéalisée sans les bémols que le business au quotidien ne manquera pas, au final, d’imposer…

Drapé de bonnes attentions et auréolé de l’image de pionnier que sa société a acquise par son partenariat avec OpenAI, Brad Smith, président de Microsoft, a pris la plume pour présenter les 11 commandements — les 11 règles de bonne conduite — censés dicter les actions et stratégies de l’éditeur en matière d’éthique de l’IA et d’IA éthique. Ces « 11 principes d’accès à l’IA » doivent régir la manière dont l’entreprise exploitera son infrastructure de centres de données d’IA et ses autres actifs d’IA dans le monde. Officiellement, « Plus que toute autre initiative prise dans l’histoire de notre entreprise depuis sa création, les principes annoncés engagent Microsoft à des investissements plus importants, à des partenariats commerciaux plus nombreux et à des programmes plus vastes pour promouvoir l’innovation et la concurrence ».

Onze principes regroupés selon trois axes : « Fournir un large accès et un soutien aux développeurs d'IA qui créent des modèles et des applications », « Garantir un large choix et l'équité dans l'économie de l'IA », « Assumer nos responsabilités sociétales ».
Onze principes regroupés selon trois axes : « Fournir un large accès et un soutien aux développeurs d’IA qui créent des modèles et des applications », « Garantir un large choix et l’équité dans l’économie de l’IA », « Assumer nos responsabilités sociétales ».

Commandement n°1 : « Nous développons l’infrastructure d’IA de Microsoft pour permettre la formation et le déploiement d’un plus grand nombre de modèles fondation, qu’ils soient propriétaires ou open source, et qu’ils soient petits ou grands »

Décryptage : on ne met pas tous nos œufs dans le même panier et on construit avec Azure des HPC surpuissants pour servir nos propres besoins… et ceux de nos clients.

Microsoft est l’un des plus gros clients de NVidia et AMD en ce moment pour animer ses HPC d’entraînement et d’inférences des IA. Et l’éditeur s’est lancé dans la conception de puces IA avec l’annonce des Maïa-100 et Cobalt-100 en fin d’année dernière et et celle du partenariat avec Intel Foundry mi-février. Des infrastructures qui hébergent les modèles d’OpenAI bien sûr mais aussi ceux de Meta, de NVidia, de Deci, de Hugging Face, de Cohere et de G42. Au passage, Microsoft met aussi en avant son partenariat pluriannuel avec le français Mistral AI qui fait d’Azure le premier partenaire commercial de la startup aux modèles « fondation » si prometteurs.

Commandement n°2 : « Nous mettons des modèles d’IA et des outils de développement à la disposition des développeurs d’applications logicielles du monde entier, afin que chaque pays puisse bâtir sa propre économie de l’IA »

Décryptage : Il ne suffit pas d’héberger des modèles, il faut aussi fournir aux entreprises des services et des outils pour les exploiter simplement. Et ça, ça a toujours été le fond de commerce de Microsoft. L’éditeur connaît très bien les entreprises et très bien leurs besoins. Et il sait aussi très bien leur vendre ce dont elles ont besoin. C’est moins une question de voir chaque pays bâtir sa propre économie de l’IA que de voir les filiales de Microsoft, dans chaque pays, alimenter l’écosystème de l’IA et vendre de l’IA.

Copilot partout, GitHub Copilot pour les devs, OpenAI Services, Azure MaaS (Models as a Service) avec Mistral AI et consorts, Microsoft Fabric, Azure ML, Copilot Studio, Azure AI Studio, le portfolio de Microsoft ne cesse de gonfler… et ce n’est que le début.

Commandement n°3 : « Nous mettons à disposition des API publiques pour permettre aux développeurs d’accéder et d’utiliser les modèles d’IA que nous hébergeons sur Microsoft Azure »

Décryptage : pour que l’IA soit un Business, il faut qu’elle soit simple à consommer. Et les API sont le moyen le plus simple d’exposer et consommer les IA.

Bien sûr tous les créateurs de modèles les exposent déjà via des API. C’est vrai d’OpenAI, de Mistral (avec La Plateforme), d’Anthropic, de Google, d’AWS (avec BedRock), etc. Pas surprenant, dès lors, que Microsoft en fasse aussi un business… Plus étonnant en revanche que Brad Smith en fasse « un principe ». Confusion des genres ?

Commandement n°4 : « Nous soutenons une API publique commune pour permettre aux opérateurs de réseaux d’aider les développeurs de logiciels »

Décryptage : ou comment s’acheter une bonne conduite à bas prix tout en faisant du business.

Le principe paraît quelque peu « hors sujet » ici. Elle est en réalité contextuelle. L’annonce de ces principes a été faite au MWC de Barcelone. Il fallait raccrocher les wagons. Et de rappeler au passage que Microsoft adhère à l’Open Gateway initiative de la GSM Association, et en profite pour lancer la preview publique d’« Azure Programmable Connectivity ». Le service permet aux développeurs d’utiliser les capacités des opérateurs directement depuis Azure sans avoir à développer du code spécifique à chaque opérateur.

Commandement n°5 : « Les développeurs peuvent choisir comment distribuer et vendre leurs modèles, outils et applications d’IA pour le déploiement et l’utilisation sur Microsoft Azure, que ce soit via Azure Marketplace ou directement aux clients »

Décryptage : N’y voyez là rien d’autre qu’un pied de nez à Apple et ses pratiques de l’App Store et une façon pour Microsoft de rappeler qu’elle a bien intégré les messages des DMA et DSA européens auxquels elle ne peut de toute façon pas échapper.

Commandement n°6 : « Nous respectons les besoins des développeurs en veillant à ne pas utiliser d’informations ou de données non publiques issues de la formation, de la construction, du déploiement ou de l’utilisation des modèles d’IA dans Microsoft Azure pour concurrencer les modèles de ces développeurs »

Décryptage : Il ne peut y avoir de business B2B sans respect des propriétés intellectuelles et sans confidentialité/sécurité des données. C’est une évidence. Sans cette règle basique, il n’y aurait simplement pas de business IA dans l’univers B2B. Microsoft le sait pertinemment, mais c’est toujours bon de le rappeler… Au cas où de potentiels clients auraient le moindre doute…

Commandement n°7 : « Nous permettons aux clients utilisant Microsoft Azure de passer à un autre fournisseur de services Cloud en leur permettant d’exporter et de transférer facilement leurs données »

Décryptage : La fameuse réversibilité tant portée par le projet Gaia-X ! On imagine déjà le sourire en coin des DSI qui lisent ce beau principe. La faisabilité est toujours plus théorique que pratique parce qu’on n’adopte rarement qu’un service, mais tout un ensemble bien entremêlé. Et tout transfert est joyeusement facturé par les clouds. Pas dupe, Brad Smith précise d’ailleurs à ce sujet : « Nous reconnaissons que différents pays envisagent ou ont adopté des lois limitant la mesure dans laquelle nous pouvons répercuter les coûts d’une telle exportation ou d’un tel transfert. Nous nous conformerons à ces lois. »

Commandement n°8 : « Nous répondons aux besoins de sécurité physique et de cybersécurité de tous les modèles et applications d’IA qui s’exécutent dans nos centres de données d’IA »

Décryptage : Ce qui est intéressant ici, c’est l’introduction du problème de sûreté physique des infrastructures qui hébergent l’IA. C’est la première fois que le thème est ainsi ouvertement exposé. Même si dans la pratique, le problème de l’IA dans le cloud n’est pas vraiment plus spécifique que n’importe quel autre service cloud. On s’attend d’un prestataire de cloud, et plus encore d’un hyperscaler, qu’il ait pris toutes les précautions nécessaires pour interdire l’accès à ses infrastructures à toute personne non autorisée.

Commandement n°9 : « Nous appliquons une norme solide en matière d’IA responsable afin de maintenir les personnes au centre des décisions de conception de l’IA et de respecter les valeurs durables, notamment l’équité, la fiabilité, la sécurité, la protection de la vie privée, l’inclusivité, la transparence et la responsabilité »

Décryptage : C’est un leitmotiv que l’on retrouve chez tous les acteurs de l’IA et plus encore chez ceux d’Outre-Atlantique. Google rabâche le même discours. Mais tout ça n’aura de sens qu’à l’épreuve des faits, de l’European AI Act et des procès qui se multiplient un peu partout face aux biais et aux dérives de technologies encore bien immatures.

Commandement n°10 : « Nous investissons dans des initiatives visant à diffuser largement les compétences en matière d’IA dans le monde entier »

Décryptage : Les GAFAM se sont presque tous lancés dans une croisade à la formation au numérique et à l’IA. Amazon a initié le concept avec son ambitieux programme « Future Engineer ». Sundar Pichai, CEO de Google, a fait le déplacement en personne en février pour annoncer vouloir former 100.000 professionnels de l’IA dans l’hexagone d’ici 2025. Microsoft a déjà plusieurs initiatives en place en France avec l’école Simplon et a annoncé des programmes massifs de formation en Australie, au Royaume-Uni, en Allemagne et en Espagne. L’écosystème manque de talents, il y a tout à gagner à investir dans la formation.

Commandement n°11 : « Nous gérons nos centres de données d’IA dans le respect de l’environnement et utilisons l’IA pour répondre aux besoins en matière de durabilité environnementale »

Décryptage : Tout beau discours doit forcément, aujourd’hui, comporter son volet « Green IT/IT for Green » et « durable ». Surtout alors que l’IA (avec ses LLM) est tant décriée pour sa consommation énorme de ressources. On sait les clouds américains et européens très sensibilisés à ces problématiques bien plus parce que c’est bon pour leur image et parce que ces bonnes pratiques sont alignées avec la nécessité d’optimiser les infrastructures et réduire la facture énergétique.

Au final, il y a dans l’énoncé de ces principes une certaine candeur « à l’américaine » plutôt risible aux yeux des Européens. D’autant que ces bonnes volontés affichées contrastent toujours avec l’agressivité commerciale de ces géants américains aux pratiques très souvent dénoncées auprès des instances européennes et qui sont d’ailleurs à l’origine de bien de nos réglementations à commencer par le RGPD, le DSA et le DMA. C’est bien de montrer sa bonne volonté au monde, c’est encore mieux de les respecter au quotidien sans pratique déloyale ou abus de position dominante.



À LIRE AUSSI :

Dans l'actualité

Verified by MonsterInsights