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Les méthodes du Lean Product Development appliquées à l’informatique

Par La rédaction, publié le 15 décembre 2014

Franck Vigilant, Christophe Coupé et Alexandre Darche
Vinci Consulting

Impliquant souvent peu de moyens dédiés, les phases amont des projets industriels sont critiques en termes de réussite. En effet, les choix réalisés dans ces phases structurent le produit et engagent les coûts d’un projet. Ces choix sont faits très tôt, alors même que les exigences sur le produit demeurent floues. On sélectionne la solution jugée la plus pertinente, au regard de la connaissance (même partielle) des exigences, des contraintes et des risques. On spécifie une solution technique et on engage la suite du développement, dans une logique d’itérations.
Tout le problème est là. Ce modèle, baptisé Point Based Engineering, assez répandu chez les industriels, génère des modifications du produit, qui sont d’autant plus lourdes qu’on avance dans le projet et qui engendrent des dérives (planning, coût). Pire, le produit peut manquer sa cible, face à des exigences qui ont évolué. On observe aussi des industriels qui abandonnent très tôt des solutions innovantes, car jugées incertaines et à risque, alors qu’elles sont un vecteur clé de la différentiation.

SBCE, UN NOUVEAU MODÈLE DE DÉVELOPPEMENT DE PRODUIT

Le Lean Engineering propose une alternative au modèle classique : le Set Based Concurrent Engineering (SBCE). Cette méthode, issue des pratiques Toyota et théorisée par des universitaires américains, change le paradigme du développement produit. Elle consiste à investir plus dans l’amont pour y explorer un maximum d’alternatives. Elle vise à considérer le produit comme l’intersection de solutions faisables et à différer au plus tard les décisions. On arrive ainsi à sécuriser la convergence technique, à maîtriser les coûts et le planning, à favoriser l’innovation et à être plus flexible aux évolutions d’exigences. Récemment introduit en France, le SBCE commence à se diffuser dans le monde industriel. Bien outillé et abordé de manière pragmatique, il s’avère très efficace.

UN MODÈLE ADAPTÉ À L’INFORMATIQUE

La conception d’une solution informatique complexe présente de fortes similitudes avec la conception d’un produit industriel complexe : les investissements amont sont limités, les choix fonctionnels et techniques sont réalisés tôt et engagent l’avenir (maintenance, infrastructures, licences…). Les équipes informatiques tentent de décider au plus tôt de la solution (notamment le logiciel). Elles veulent réduire au maximum les risques liés à l’innovation. Elles n’hésitent pas à lancer les développements, en réalisant elles-mêmes des choix, alors même que les exigences sont encore floues. Les difficultés rencontrées sont similaires : écart avec les besoins clients, non-respect du budget et du calendrier, correction d’anomalies post-conception…
Le SBCE n’est pas une démarche créée spécifiquement pour la R&D industrielle. C’est une réponse pertinente et efficace pour résoudre des problèmes concrets en phase de conception : comment sécuriser un choix de solution, comment intégrer au mieux les techniques innovantes, comment aligner au mieux le produit sur les exigences clients, comment minimiser les reconceptions ?…
Il a vocation à se déployer partout où les équipes doivent affronter la conception en environnement complexe, l’intégration de techniques innovantes, la multiplicité et la confrontation des équipes et des expertises, la flexibilité des exigences. En particulier, pour la conception de solutions informatiques complexes.

UN EXEMPLE DE MISE EN OEUVRE DU SBCE DANS L’INFORMATIQUE

La démarche SBCE appliquée à l’informatique comprend 4 étapes, animées sous forme d’ateliers, qui visent à clarifier la voix du client et les solutions possibles.
La première étape consiste à exprimer les exigences (métiers, techniques…), les challenges à relever et les contraintes. De quoi les utilisateurs ont-ils réellement besoin ? Quel est le juste niveau de service ? Quelles sont les contraintes à intégrer (par exemple l’alignement avec la roadmap marketing, le regroupement des datacenters, l’externalisation des centres d’appels, la renégociation des contrats d’infogérance, l’obsolescence d’un logiciel, la roadmap des fournisseurs…) ? Cette information est formalisée dans un Concept Paper (au format A3) qui permet d’identifier et de traduire sur une page les données utiles et de focaliser le travail sur les points en suspens (à clarifier, à analyser). Ce Concept Paper sera régulièrement mis à jour et constituera un document de référence du projet.
La deuxième étape consiste à identifier les choix possibles (logiciels, réseaux, bases de données, outillage, supervision, exploitation…) ainsi que leurs compatibilités et incompatibilités. Chaque choix (Trade-off ) est formalisé dans un Knowledge Brief (document concis, standardisé et visuel au format A3) qui va permettre de tracer l’état d’avancement de l’étude et de présenter les résultats. En informatique, le choix rationnel est parfois relayé au second plan : le logiciel est choisi par les métiers sans analyse des informaticiens ; à l’inverse, les équipes informatiques peuvent prendre des options (réseaux, infrastructures, archivage, dimensionnement, niveaux de service) incompatibles avec les besoins métiers. Dans la démarche SBCE, le service délivré aux utilisateurs est le produit de l’intersection de solutions faisables, qui intègrent toutes les dimensions (logiciels, sécurité, ergonomie, réseaux, supervision, ordonnancement, plan de secours…). Chaque Trade-off est suivi et mis à jour tant qu’aucune des solutions possibles pour ce choix n’est validée. L’ensemble des choix et leurs solutions sont présentés sur un Design Tree (au format A3 ou A2) qui permet d’avoir une vision globale des différentes solutions possibles et de leur état d’analyse. Enfin, une matrice de compatibilité entre solutions est établie, afin de visualiser les dépendances et de faciliter les décisions.
La troisième étape consiste à définir un planning de convergence, qui consolide les tâches à réaliser sur chaque Trade-off ainsi que les liens entre les Trade-off et leurs risques associés. L’objectif consiste à caractériser les solutions possibles et définir une logique de clôture des Trade-off. L’intérêt de cette analyse est double : rendre rationnel le choix de la solution, augmenter et capitaliser les connaissances. Ce dernier point est crucial car chaque étude de choix est riche d’enseignements, bien au-delà de savoir si la solution répond ou non aux exigences. Les équipes informatiques sont souvent spécialisées sur un type d’outils, d’infrastructures (les bases de données, les serveurs…). Elles ont naturellement tendance à ne pas s’aventurer au-delà de leur domaine de maîtrise. Le SBCE est ainsi l’occasion d’approfondir des pistes inexplorées qui peuvent s’avérer riches d’enseignements et auraient été spontanément rejetées.
Enfin, la dernière étape vise à piloter la phase de convergence : réaliser les études de chaque choix et clôturer les Trade-off selon le planning validé. Pour réaliser cette étape, des ateliers réguliers sont organisés pendant lesquels les responsables des Trade-off présentent le résultat de leurs travaux, étudient la pertinence globale (coûts, respect des exigences) d’une ou plusieurs configurations et mettent à jour l’ensemble des supports : Concept Paper, Knowledge Brief, Design Tree, planning de convergence, matrice de compatibilité…

Le SBCE est par conséquent une démarche efficace qui conduit les équipes à choisir rationnellement une solution informatique, en accumulant de nouvelles connaissances (réseaux, infrastructures, outils…). Outre sa capacité à faciliter la convergence vers une solution performante, il permet de maîtriser le planning du projet, de mettre les risques sous contrôle et de faciliter les échanges et la communication entre les équipes (informaticiens et utilisateurs).

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