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Les six courants qui redessinent l’ingénierie logicielle en 2025 et au-delà

Par Laurent Delattre, publié le 08 juillet 2025

Copilotes qui codent, agents qui causent Dev, portails qui s’auto-configurent : l’IA prend le manche du développement logiciel. Découvrez les 6 tendances mises en avant par Gartner qui métamorphosent l’ingénierie logicielle et redessinent les priorités des DSI en 2025 et au-delà.

Les DSI ont rarement eu à manœuvrer dans un écosystème aussi mouvant. Le paysage de l’ingénierie logicielle, notamment, connaît une transformation sans précédent. Dans son nouveau rapport, Gartner prévient : « Les outils et technologies activés par l’IA transforment fondamentalement la manière de concevoir et de livrer le logiciel », souligne Joachim Herschmann, VP Analyst chez Gartner.

Alors que l’intelligence artificielle s’intègre dans chaque aspect du développement, Gartner a identifié six tendances stratégiques majeures qui redéfinissent la façon dont les équipes créent, déploient et maintiennent leurs applications. Ces tendances influencent – ou devraient influencer – les feuilles de route des DSI pour naviguer dans cette révolution et positionner leurs organisations vers un succès à long terme.

Tour d’horizon, exemples concrets à l’appui, des six tendances que les directions IT ne pourront pas ignorer.

1. L’ingénierie “IA-native”, ou quand le code s’écrit (presque) tout seul

Gartner anticipe qu’en 2028, 90 % des développeurs d’entreprise travailleront avec un assistant de code IA, contre moins de 14 % début 2024. Cette transformation n’est pas qu’une simple amélioration – c’est une refonte complète du cycle de vie du développement logiciel.

Le terrain leur donne déjà raison : chez plusieurs grands comptes observés par Opsera.io par exempel, 80 % des licences GitHub Copilot achetées sont effectivement utilisées.
Cursor est l’une des stars du moment et sa solution se distingue par sa fonctionnalité Composer qui permet des refactorisations à l’échelle du projet entier, avec une latence d’autocomplétion remarquablement faible.
Windsurf, qui mise sur la personnalisation et l’explicabilité pour les entreprises, et Tabnine, qui privilégie la sécurité avec des options de déploiement flexibles pour les industries réglementées, sont des jeunes pousses en vogue qui illustrent bien la transformation profonde qui s’opère dans l’univers de la création logicielle.
Google a lancé son projet « Jules » récemment ainsi que Gemini CLI, OpenAI a lancé Codex CLI , Anthropic a lancé Claude Code et AWS vient d’absorber CodeWhisperer dans Amazon Q Developer, un copilote conversationnel branché sur toute la pile AWS. Même le français Mistral AI est de la partie avec son Mistral Code.
Résultat : le rôle de l’ingénieur glisse vers l’orchestration, le design système et la revue de qualité, tandis que les tâches répétitives (tests unitaires, refactoring, rédaction de documentation) s’automatisent. Le défi pour les DSI ? Mettre en place des garde-fous de sécurité, former les équipes au prompt engineering et revoir les métriques de productivité, faute de quoi la magie tournera vite en “shadow AI”.

2. Des applications et agents bâtis sur les LLM

« Au moins 55 % des équipes logicielles développeront des fonctionnalités basées sur des LLM d’ici 2027 », insiste Gartner. Les grands modèles de langage transforment l’ingénierie logicielle en permettant aux applications d’interagir de manière intelligente et autonome.

L’offre s’industrialise : l’API Assistants v2 d’OpenAI, lancée en mars 2025, fournit un socle d’agents avec recherche Web, file search et exécution contrôlée de code. Côté frameworks, LangChain ou CrewAI se taillent la part du lion grâce à leurs abstractions pour la mémoire, le raisonnement outillé et les workflows complexes. Des alternatives comme LlamaIndex offrent une approche plus simple pour construire des applications RAG, tandis qu’AutoGen de Microsoft propose une architecture en couches avec des API de haut et bas niveau. SmolAgent de Hugging Face introduit le concept innovant de CodeAct, où les agents raisonnent avec des extraits de code plutôt que du texte.
Les éditeurs métiers suivent aussi : SAP Joule injecte des “AI agents” dans S/4HANA et SuccessFactors pour automatiser rapprochement de factures ou staffing de projets, ServiceNow Now Assist rédige des articles de support et remplit des tickets RH en langage naturel, tandis que Salesforce Einstein GPT s’appuie sur son Trust Layer pour protéger les données client tout en générant offres et scripts d’appel.

Pour embarquer ces services, les DSI doivent repenser la gouvernance : politiques de contenu, logs d’audit sur les prompts, contrôle des dépenses GPU et, surtout, mesure du ROI business plutôt que le simple taux d’appels API. « Construire avec succès des applications et des agents basés sur les LLM exige que les leaders en ingénierie logicielle repensent leurs stratégies », souligne Joachim Herschmann. Cela implique aussi, et comme précédemment, d’investir dans la montée en compétences, d’expérimenter avec les sorties GenAI et de mettre en place des garde-fous solides pour gérer les risques.

3. Platform Engineering : l’IA arrive dans les portails développeurs

L’ingénierie de plateforme GenAI exploite les approches établies d’ingénierie de plateforme pour aider les développeurs à découvrir, intégrer et utiliser en toute sécurité les capacités GenAI dans leurs applications. Gartner prédit que 70% des organisations disposant d’équipes de plateforme incluront des capacités GenAI dans leurs plateformes de développement internes d’ici 2027.

Pour cela il faut notamment des plateformes internes où les développeurs peuvent facilement explorer et utiliser des fonctionnalités IA. Avec des portails comme Backstage qui s’est enrichi de plug-ins IA pour générer du « boilerplate » ou documenter une API.

Mais le portail n’est que la vitrine : des orchestrateurs tels qu’Humanitec fournissent la couche qui connecte les outils, les infrastructures et les workflows nécessaires au déploiement d’applications, tout en permettant aux développeurs de s’auto-servir via une interface, une API ou une ligne de commande. La GenAI vient ici enrichir l’ingénierie de plateforme avec des assistants intelligents capables de générer des configurations, de proposer des architectures optimisées, de détecter des anomalies ou encore de suggérer des améliorations dans les workflows

« En rendant les capacités d’IA facilement détectables via des portails de développement en libre-service, en hiérarchisant les fonctionnalités en fonction des besoins des développeurs et en intégrant des pratiques de gouvernance et de sécurité robustes, les DSI peuvent s’assurer que leurs équipes créent des applications innovantes conformes aux normes organisationnelles » confirme les analystes du Gartner.

4. “Talent Density” : quand la culture compte autant que le cloud

Selon Gartner, point de doute, la densité de talents – autrement dit la concentration de profils hautement qualifiés – devient le différenciateur n° 1. Ce concept, popularisé par Reed Hastings de Netflix, va au-delà du simple recrutement de talents individuels pour créer des équipes où chaque membre apporte une valeur exceptionnelle.

« Pour rester compétitives, les organisations doivent dépasser les pratiques de recrutement traditionnelles et se concentrer sur la construction d’équipes à haute densité de talents », explique Joachim Herschmann. Les DSI doivent cultiver une culture d’apprentissage continu et de collaboration pour attirer et retenir des professionnels qualifiés capables de s’adapter et de grandir avec les besoins métier évolutifs.

Les entreprises adoptent plusieurs stratégies pour augmenter leur densité de talents : des processus de recrutement rigoureux évaluant les compétences et le potentiel, des packages de compensation compétitifs (les meilleurs talents attendent des salaires au sommet du marché), et une marque employeur claire mettant en avant les valeurs et la vision de l’entreprise. Des scale-ups comme ClassDojo promettent par exemple « le travail de votre vie » à des ingénieurs recrutés aux quatre coins du globe. Pour les DSI, cela signifie investir dans la formation continue aux LLM, pratiquer la mobilité interne sur des projets IA et mesurer la valeur par impact produit, non par heures facturées. L’IA automatisant les tâches routinières, la barre d’entrée monte : pensée systémique, design produit et gouvernance deviennent les compétences critiques.

C’est d’autant plus crucial que de nouveaux défis pointent à l’horizon : 37% des managers préféreraient utiliser l’IA plutôt que d’embaucher un employé de la génération Z, et la part de nouveaux diplômés décrochant des rôles chez les “Magnificent Seven” (Alphabet, Amazon, Apple, Meta, Microsoft, NVIDIA, Tesla) a chuté de plus de moitié depuis 2022 ! Ces tendances vont s’aggraver, à n’en pas douter.

5. Essor des modèles GenAI ouverts : flexibilité et personnalisation

Gartner estime que 30 % des dépenses GenAI en 2028 iront vers des modèles « open weight » adaptés à des domaines métier. L’écosystème explose : Outre les incontournables modèles LLama 3 de Meta et ceux très populaires en Europe de Mistral AI (qui servent de fondation à nombre de solutions IA open source), les modèles ouverts se multiplient à l’instar des Phi-4 de Microsoft, des Gemma de Google, des Granite d’IBM, etc. La plateforme phare de l’IA ouverte, Hugging Face, hébergent ainsi aujourd’hui plus de 120.000 modèles ouverts !

Les DSI y gagnent sur tous les fronts : un fine-tuning simplifié et sur site, un contrôle des données total, des coûts divisés par deux à trois. Mais cette liberté s’accompagne d’obligations : mise en œuvre d’un pipeline MLOps maison, d’audits de biais, et contrats de support…
Les frameworks comme Ollama facilitent le déploiement local de ces modèles ouverts, permettant aux organisations de maintenir un contrôle total sur leurs données. LlamaCPP de Georgi Gerganov permet d’exécuter des modèles sur du matériel standard en implémentant l’architecture LLaMA en C/C++ efficace. Pour les entreprises, des solutions comme OpenRouter permettent de basculer facilement entre différents modèles open source et propriétaires. Les Custom Inference Endpoints de Hugging Face offrent un déploiement rapide avec des garanties de performance, tandis que des plateformes comme Replicate simplifient l’hébergement et la mise à l’échelle des modèles.

La clé du succès de ces modèles ouverts, c’est la personnalisation. Les modèles ouverts sont par définition aisément personnalisables, « fine-tunables », et déployables aussi bien sur site, à l’edge que dans le cloud.
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6. Green Software Engineering : conjuguer IA et sobriété

« Construire des applications intelligentes est énergivore », rappelle Gartner. Impossible donc de parler LLM sans parler carbone. « Alors que les organisations construisent et achètent plus de logiciels dans le cadre d’initiatives numériques, l’augmentation de l’empreinte carbone des charges de travail intensives en calcul peut être en contradiction avec leurs objectifs de durabilité », avertit Herschmann. « La construction d’applications intelligentes avec GenAI rend les pratiques d’ingénierie logicielle verte essentielles. »

La Green Software Foundation a développé la spécification Software Carbon Intensity (SCI) en collaboration avec l’ISO, fournissant une méthode standardisée pour calculer le taux d’émission carbone d’un système logiciel. Des frameworks comme AI Verify étendent désormais leurs critères pour inclure des considérations environnementales dans l’évaluation de l’IA responsable.

De leur côté, les hyperscalers tentent de plus en plus de pousser l’adoption de leurs chips maison (AWS Graviton et Inferencia, Google IronWood TPU et Axion, Microsoft Cobalt100 et Maia100) pour justement réduire la consommation des IA.

En guise de boussole

Ces six tendances stratégiques ne sont pas des évolutions isolées mais des forces interconnectées qui redéfinissent l’ingénierie logicielle. Les organisations qui agissent maintenant sur ces tendances positionneront leurs équipes pour un succès durable dans un paysage technologique en évolution rapide. Chaque tendance – IA-native, agents, plateforme, talents, open LLMs, green AI – trace une route vers un même cap : rendre l’ingénierie logicielle plus rapide, plus intelligente et plus responsable.
Mais cette transformation doit être équilibrée avec des considérations de durabilité, des pratiques de recrutement intelligentes et une infrastructure de plateforme robuste qui démocratise l’accès aux capacités IA.
Pour les DSI, le défie réside dans « où » et « à quel rythme » suivre ces tendances et investir. Ceux qui sauront articuler ces six leviers dans une feuille de route cohérente, alliant gouvernance, culture et innovations concrètes, transformeront le tsunami GenAI en avantage durable assure Gartner.

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