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Quand Eric Woerth se penche sur les échanges entre SSII françaises et indiennes
Par La rédaction, publié le 13 février 2012
Le député UMP est le coauteur d’un rapport sur la place de la France en Inde. Son analyse présente des partis pris contradictoires, entre protectionnisme et volonté de renforcer les échanges entre nos deux pays.
En mars 2011, la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale confiait aux députés Eric Woerth (UMP) et Paul Giacobbi (PRG) une mission ayant pour « objectif d’étudier la place occupée par la France en Inde et de formuler des propositions visant à la renforcer ».
Publié le 18 janvier dernier, leur rapport laisse parfois pantois devant certains passages relatifs au secteur des nouvelles technologies. L’informatique, apprenons-nous, a attiré 8 % des investissements directs étrangers (IDE), qui s’élevaient à dix milliards d’euros pour les entreprises françaises en Inde sur la période 2008-2010.
Sur le tableau ci-dessous, les entreprises IT figurent parmi les principaux employeurs français du sous-continent avec, dans l’ordre d’importance de leur effectif, Capgemini, Alcatel-Lucent, Steria, STMicro, Orange et Dassault Systèmes. Des entreprises qui sont venues pour « trouver les ressources humaines indisponibles en Europe et répondre à la nécessité de ne pas être distancés par les concurrents mondiaux qui ont fortement recruté en Inde. »
Bien sûr, le recours à une main-d’œuvre à bas coût – « le rapport est de un à quatre en termes de coût salarial par rapport à la France » – n’est pas neutre dans leur choix. Mais l’Inde dispose aussi « de deux autres atouts majeurs pour servir le monde occidental : la langue et le réservoir d’informaticiens. »
Capgemini est l’exemple le plus emblématique pour nos députés. La première SSII française y emploie aujourd’hui 35 000 personnes, « dont un seul Français (sic !) ». Soit le tiers de son effectif mondial. Au-delà du potentiel offshore de l’Inde, Capgemini capterait 1 % du marché domestique, avec « un chiffre d’affaires s’élevant à 25 millions d’euros ». Ce qui valoriserait le marché local à 2,5 milliards d’euros. Près de trois fois moins que les quelque 7 milliards d’euros (hors BPO) avancés par Gartner.
Les deux députés se sont penchés également sur la présence des Indiens en France. Et la balance n’est pas équilibrée. Avec 0,05 % des IDE (229 millions d’euros), l’Inde se positionne seulement au 65e rang des investisseurs étrangers en France en 2010. En cause : « L’image de notre pays en matière de droit du travail et de relations sociales. » A cela s’ajoutent les difficultés qu’éprouvent les groupes indiens à obtenir des visas pour leurs salariés.
Les rapporteurs regrettent cette faible implantation qui limite les contacts entre les deux mondes des affaires, tout en précisant plus loin que « si les barrières qui existent aujourd’hui tombent, il existe un risque non négligeable que les ingénieurs indiens soient recrutés au détriment du personnel qualifié local ». Que doit-on comprendre ?
Notons une autre contradiction dès la ligne suivante : « Il est très coûteux d’envoyer des Indiens sur le terrain européen, et les entreprises cherchent à recruter des Occidentaux pour la partie sur site client des services qu’ils rendent (sic !). Cela concerne plus de 200 000 emplois en France dans le secteur informatique. » Que recouvre ce chiffre de 200 000 emplois ?
Pour fluidifier les échanges, les députés évoquent les instances de coopération entre nos deux pays. Paul Hermelin, directeur général de Capgemini, a pris la présidence du Comité France-Inde du Medef international en mai 2011. Bertrand Collomb, président d’honneur et administrateur du groupe Lafarge, et Narayana Murthy, cofondateur de la SSII Infosys partagent, eux, la tête du Conseil présidentiel franco-indien des entreprises (Indo-French CEOs Forum).
Mais ces lieux de rencontre « ne doivent pas être uniquement composés d’entreprises indiennes dont l’objet est de remporter des marchés au détriment des entreprises françaises ». A cet égard, le rapport estime que le Conseil présidentiel franco-indien « pourrait être un “cheval de Troie” au service des informaticiens indiens pour pénétrer le marché français ».
Il convient donc de trouver un juste équilibre entre une politique plus accueillante à l’égard des investisseurs indiens et la prudence que requiert l’arrivée de groupes désireux de remporter des marchés, voire de procéder à des acquisitions. Même « si de telles opérations d’achat paraissent peu probables dans le secteur informatique ».
L’« affaire Wipro » revisitée par Eric Woerth
Le rapport se conclut par une perle. Lors de la séance de questions-réponses suivant son examen, Eric Woerth livre une anecdote. Azim Premji, patron de Wipro, un entrepreneur qui « a créé, à partir de la modeste entreprise de son père, un géant de l’informatique », lui a raconté « les incroyables déboires qu’il a connus en France ».
« Il avait acheté une entreprise à Sophia Antipolis pour s’implanter en France. Désireux de restructurer l’entreprise, il s’est heurté à l’impossibilité de licencier des délégués du personnel. Malgré les efforts de l’ambassade, à laquelle il a demandé de l’aide en personne, il n’a pas trouvé de solution et a donc choisi d’abandonner ce projet. Il ne reviendra pas avant plusieurs années dans notre pays. »
On garde un tout autre souvenir de « l’affaire Wipro ». La fermeture du site sophipolitain relevait de la volonté de l’entreprise de se désengager, au niveau mondial, de l’activité de R&D, dite de propriété intellectuelle. Elle s’était, par ailleurs, accompagnée d’un scandale politico-médiatique face aux cinq millions d’euros d’aide publique perçue par Wipro au titre du Crédit d’impôt recherche. Pas rancunière, Wipro est, toujours en France, quoi qu’en dise le député. C’est même la SSII indienne qui – aux dernières informations – emploie le plus de salariés français dans l’Hexagone.