Data / IA
Ignite 2025 : L’ère de la donnée « agentique » sonne la fin des silos transactionnels
Par Laurent Delattre, publié le 20 novembre 2025
L’agentique fait exploser les modèles data classiques en fusionnant bases transactionnelles, analytique instantané et vision sémantique du métier. La donnée devient un carburant continu où agents, IA et workloads se synchronisent sans tuyauterie lourde. Telle est la vision présentée et délivrée par Microsoft lors de son Ignite 2025 avec de nouvelles stars : Microsoft Fabric, Fabric IQ, SQL Server 2025 ou Microsoft HorizonDB for PostgreSQL…
Outre le concept vaseux et purement marketing de « Frontier Firms », qui n’a de sens que pour les pontes de Microsoft, la firme américaine n’avait qu’un autre mot en bouche durant sa conférence Ignite 2025 : « agentique ». Avec des agents dans Microsoft 365, dans Dynamics 365, dans Windows 11, dans Azure et au final une place de plus en plus floue et illisible allouée à l’humain.
Pourtant, derrière tout ce buzz se dessinait aussi un véritable enjeu de DSI : la refondation complète du socle data pour l’ère de l’IA ! Et Microsoft avait beaucoup à dire et démontrer à ce sujet. Avec des annonces à foison.
Microsoft Fabric, Fabric IQ, SQL Server 2025, de nouvelles générations de bases SQL et PostgreSQL managées, des mécanismes de mirroring quasi temps réel et du Zero-ETL… À Ignite 2025, Microsoft a poussé une vision où la donnée n’est plus simplement stockée et historisée, mais structurée pour être consommée, comprise et actionnée en continu par des agents. Une « donnée agentique » qui vise explicitement à faire sauter la frontière entre systèmes transactionnels et analytiques. Avec au passage une volonté forte, celle d’abolir la complexité des pipelines de données traditionnels.
Microsoft Fabric : l’anti-silo transactionnel
Depuis deux ans, Microsoft martèle que Microsoft Fabric doit devenir le point de connexion central du patrimoine data. L’éditeur revendique déjà plus de 28 000 clients Fabric, dont 80 % du Fortune 500, et positionne OneLake comme le « data lake de toute l’entreprise », capable d’agréger données cloud, on-prem et multicloud via shortcuts et mirroring sans ETL traditionnel.
Colonne vertébrale de la Data sous toutes ses formes chez l’éditeur, Microsoft Fabric est une plateforme SaaS unifiée qui rassemble ingestion, stockage OneLake, data warehouse, temps réel, data science et Power BI dans un même modèle de capacité.
À Ignite 2025, l’éditeur la présente désormais comme une « intelligence platform », fondation des
agents IA. Sa pertinence en 2025 tient à la collision de trois tendances : la généralisation de l’IA, l’arrivée des agents autonomes, la persistance de SI éclatés entre SQL Server, PostgreSQL, NoSQL, SaaS et fichiers.
Et Microsoft Fabric répond à ce chaos en offrant un lac unique (OneLake) alimenté par mirroring quasi temps réel des bases transactionnelles et en ajoutant une couche sémantique (Fabric IQ, cf plus loin) qui décrit l’entreprise en concepts métier (clients, commandes, incidents, risques, etc) exploitables aussi bien par la BI que par les modèles et les agents.

En effet, à Ignite 2025, Microsoft a annoncé étendre le « mirroring Fabric », initialement limité à Azure SQL, à l’ensemble de ses bases de données clés : Azure Database for PostgreSQL, Azure Cosmos DB et SQL Server 2016 à 2025. Dit autrement, toutes les bases de Microsoft peuvent désormais répliquer leurs données en quasi temps-réel vers OneLake au format Delta Parquet.
Concrètement, les flux transactionnels issus de ces différents moteurs peuvent être répliqués quasi en temps réel dans OneLake et immédiatement exploités pour l’analytique, la BI, les modèles d’IA et les agents sans pipeline d’extraction-transformation-chargement additionnel. Pour le DSI, cette convergence signifie qu’il est possible de décharger les applications transactionnelles tout en offrant à l’IA un accès immédiat aux données fraîches, sans écrire une seule ligne de code d’intégration.

Poussant la logique jusqu’au bout, Microsoft introduit les « Fabric Databases », déclinaisons SaaS de SQL Database et Cosmos DB directement hébergées dans Fabric. Ces bases partagent la même capacité, la même gouvernance et les mêmes mécanismes de sécurité que le reste de la plateforme, et sont explicitement conçues pour des applications qui doivent travailler simultanément sur de la donnée opérationnelle, transactionnelle et analytique.
Pour un DSI, cela revient à casser le modèle classique « OLTP ici / datawarehouse là-bas » au profit d’un socle unique, nativement prêt pour l’IA et les agents.
IQ : la donnée devient sémantique et « agentique »
La véritable rupture, toutefois, tient moins à l’emplacement de la donnée qu’à la façon dont elle est décrite. Avec Fabric IQ, Microsoft introduit une couche d’« intelligence sémantique » qui ne s’intéresse plus aux tables mais aux concepts métier : clients, commandes, équipements, contrats, incidents, leurs propriétés, leurs relations, leurs règles et les actions possibles.

Cette ontologie, construite sur la technologie des modèles sémantiques de Power BI et ses quelque 20 millions de modèles existants, est directement reliée aux données stockées dans OneLake, qu’il s’agisse de tables analytiques, de flux temps réel, de séries temporelles ou de graphes. Résultat : les agents peuvent raisonner non plus sur des colonnes isolées mais sur une vision en temps quasi réel de l’état opérationnel de l’entreprise, alignée sur le langage des différents métiers.
Sans surprise, cette Fabric IQ vient compléter la « pile IQ » que nous avons déjà évoquée cette semaine, créant ainsi un pont entre Microsoft Fabric et l’univers data de Microsoft 365 et Dynamics 365. Work IQ exploite les contenus et interactions de Microsoft 365 pour comprendre les individus, leurs rôles et leurs habitudes. Foundry IQ gère des bases de connaissances thématiques, avec moteur de recherche « agentique » pour simplifier les questions complexes et respecter les étiquettes Purview. En dessous, Fabric IQ vient donc orchestrer les données opérationnelles dans un modèle partagé unique, en surveillant les signaux et en déclenchant des réactions automatiques. Ensemble, ces couches apportent aux agents un contexte riche, cohérent et gouverné, bien au-delà de ce qu’un simple pipeline RAG bricolé sur un data lake pourrait offrir.
SQL Server 2025, HorizonDB, DocumentDB : bases natives IA
Pour rendre cette vision crédible, Microsoft devait aussi moderniser ses moteurs de bases de données.
SQL Server 2025, officialisé en disponibilité générale à Ignite 2025, est présenté comme l’évolution la plus significative depuis une décennie de la base vedette de Microsoft depuis trois décennies. Outre des gains attendus sur les performances, la concurrence et le failover, la version 2025 intègre nativement des index vectoriels basés sur l’algorithme DiskANN, déjà au cœur des offres Azure SQL. Objectif : permettre des scénarios RAG et de recherche sémantique directement dans la base, sans recourir à un vector store externe.

SQL Server 2025 est par ailleurs pensé comme point d’ancrage des modèles : définitions de modèles IA en T-SQL, intégrations avec Microsoft Foundry, Azure OpenAI, OpenAI et même Ollama, support officiel de frameworks comme LangChain et Semantic Kernel pour orchestrer des agents IA, le tout avec une réplication possible vers OneLake pour exposer les mêmes données aux workloads analytiques et aux agents Fabric.
Parallèlement, Azure DocumentDB devient le nouveau visage de l’offre MongoDB-compatible de Microsoft et donc de Microsoft Fabric. Basé sur le standard open source DocumentDB de la Linux Foundation, ce service NoSQL se veut multi-cloud et hybride, avec support des déploiements sur Azure, sur site et chez d’autres fournisseurs. Il offre lui aussi recherche vectorielle et hybride, autoscaling et SLA élevé, et s’intègre dans Fabric comme source de données unifiée.

Mais la vraie surprise de cette conférence Ignite 2025 est l’annonce de la nouvelle base cloud Azure HorizonDB. Conçu pour rivaliser avec les offres les plus robustes du marché, comme AWS Aurora, ce nouveau moteur PostgreSQL réinvente l’architecture de la base de données relationnelle open source dans le cloud. En découplant totalement le stockage du calcul, HorizonDB promet une élasticité horizontale massive, répondant ainsi aux exigences des applications « Cloud Native » qui se heurtaient jusqu’alors aux limites de performance des instances managées classiques.
On peut voir en Azure HorizonDB un repositionnement offensif de Microsoft sur PostgreSQL. D’autant que ce service 100% managé vise clairement les déploiements critiques à très grande échelle : jusqu’à 3 072 vCores, 128 To de stockage partagé, autoscaling natif et latence de commit inter-zones annoncée inférieure à la milliseconde.
Et, là encore, vector search et gestion des modèles IA sont intégrés de base, avec un couplage étroit à Microsoft Foundry, Microsoft Fabric et GitHub Copilot. L’offre propose également une pléthore d’extensions pour faciliter la migration depuis Oracle. C’est un signal fort envoyé aux entreprises qui migrent leurs grands systèmes hérités (legacy) vers le cloud et cherchent une alternative crédible et performante à Oracle. Avec Azure HorizonDB, Microsoft répond à l’attrait fort et actuel de PostgreSQL tout en le rendant « agent-ready ».
L’ensemble repositionne clairement Microsoft face à Oracle, MongoDB, Databricks et Snowflake : non seulement sur le terrain des performances et de l’open source, mais surtout sur celui d’une intégration serrée avec Microsoft Fabric et sa pile agentique. La vision est ici complète, aboutie et terriblement cohérente.
Parce que la bataille des agents se joue sur la donnée
Car il émerge de toutes ses annonces la volonté de présenter une donnée sous-jacente unifiée et intelligible à tout l’univers d’agents IA dont Microsoft nous a ressassé l’importance toute la semaine. Une Fabric qui s’impose comme hub unique, un portefeuille de bases remis à niveau pour l’IA, et une nouvelle couche sémantique, Fabric IQ, conçue pour aligner les modèles d’IA et les agents sur la réalité opérationnelle de l’entreprise plutôt que sur des schémas SQL épars. La vision de Microsoft fait plus que prendre forme. Elle se concrétise enfin complètement. Cette base « data » solide, unifiée, parlant aux agents, est complétée plus haut par la pile « IQ » (Work IQ, Fabric IQ, Foundry IQ) apporte le contexte dont ces agents ont besoin pour prendre des décisions. Microsoft Foundry devient la fabrique d’agents « enterprise grade », capable d’orchestrer des workflows multi-étapes. Et au-dessus de tout ça, Microsoft Agent 365 s’impose en centre de contrôle unifié pour recenser, authentifier et gouverner tous les agents IA de l’entreprise, en s’appuyant sur Entra ID, Defender et Purview.

Vu du SI, cette nouvelle plateforme « agentique » change subtilement la nature du travail sur la donnée. Là où l’objectif était jusqu’ici de produire des entrepôts propres pour la BI et la data science, la promesse de Microsoft consiste désormais à transformer l’ensemble du patrimoine applicatif (SQL historiques, PostgreSQL modernes, NoSQL, fichiers M365) en un graphe sémantique cohérent, gouverné et actionnable par des agents. Pour ces derniers, il n’y a plus de silo entre base opérationnelle, data lake et outils de pilotage puisqu’ils ne perçoivent et dialoguent qu’avec des entités métier, leurs relations et des règles de décision.
Les DSI devront néanmoins être vigilants. Invités à ne plus simplement « brancher » des agents sur un legacy mal cartographié, ils doivent prendre conscience que la valeur de cette « donnée agentique » promise dépendra de la qualité des ontologies, des règles de sécurité Purview et de la discipline autour des modèles sémantiques, faute de quoi les « silos transactionnels » risquent de se reconstituer… sous forme de silos sémantiques concurrents.
Alors, oui, bien évidemment, accepter cette vision, c’est accepter un degré de dépendance élevé à Microsoft, à sa Fabric, à ses modèles sémantiques et à son outillage de gouvernance. Un prix à payer, ou en tout cas un choix à faire, pour échapper à la construction de tuyaux complexes nécessaire pour rendre la donnée opérationnelle instantanément agentique et carburant de l’innovation. Ignite 2025 a ainsi dessiné un futur où la base de données s’efface au profit de la donnée elle-même, cette dernière conversant directement avec l’IA agentique. Et c’est assez fascinant.
À LIRE AUSSI :
À LIRE AUSSI :
