Data / IA

IA en entreprise : Sodexo, TF1, Expleo, OutSystems… la Matinale où l’on parle enfin ROI, agents et data

Par Alessandro Ciolek, publié le 19 décembre 2025

Moins de promesses, plus de comptes à rendre : la Matinale d’IT for Business déroule un fil rouge très DSI : mesurer le ROI, passer à l’échelle, cadrer les agents IA, solidifier le socle data, moderniser le patrimoine applicatif. Avec des retours terrain signés Sodexo, TF1, Expleo et OutSystems, et une idée qui colle au palais : il n’a jamais été aussi simple de faire un POC… et jamais aussi difficile de l’industrialiser.

https://youtu.be/6Iwi1D83wjc

On nous avait annoncé 2025 comme l’année de l’explosion : celle où l’intelligence artificielle, enfin, passerait du show-room aux opérations, ROI à la clé. Les démonstrations sont impeccables, les modèles impressionnent, et le marché adore les superlatifs. Mais dès qu’on descend d’un étage, le réel remet les compteurs à zéro. La Matinale s’ouvre sur une statistique qui refroidit : seuls 9 % des salariés ont accès à un outil IA fourni par leur employeur, et à peine 15 % ont été formés. Ce contraste, on le retrouve d’ailleurs dans les usages “hors cadre” qui montent dans les entreprises, entre enthousiasme et contournements, un sujet que nous suivons aussi dans nos analyses sur l’adoption de l’IA en entreprise.

Le vrai sujet n’est plus d’impressionner. C’est de transformer l’essai : intégrer, gouverner, sécuriser, mesurer. Et éviter que l’IA ne reste ce qu’elle sait trop bien être : une vitrine de salon.

Sodexo : du “blockbuster” à l’agentique, avec la donnée comme fondation

Chez Sodexo, Maxime Marembaud (Group Chief Data & Digital Officer) ne vend pas une idée : il décrit une mécanique. Une stratégie orientée résultats, construite au contact des métiers — opérateurs, consommateurs, forces commerciales et ancrée dans le triptyque menus-recettes-achats. Le groupe revendique des “AI blockbusters” (pricing, prédiction de la demande, optimisation des menus) et, surtout, des cas d’usage conçus pour respirer en production.

L’illustration la plus parlante s’appelle MenuIA : automatiser la construction des cycles de menus. Le bénéfice revendiqué est brutal, presque élégant : “de un mois à un jour”. Mais derrière le délai, l’argument le plus concret est humain : rendre du temps aux équipes culinaires pour “innover, créer de nouvelles recettes”, plutôt que remplir des tableaux. Dans la même logique, Foresight cherche à repositionner Sodexo en partenaire stratégique en exploitant les données d’usage (qualité de vie au travail, occupation des espaces, attentes des collaborateurs). Et PowerChef pousse la prédiction “à un niveau très granulaire” pour réduire le gâchis alimentaire et ajuster les ressources.

Sur le ROI, Maxime Marembaud parle en trois temps, comme trois verrous : couverture, adoption, impact. Et il lâche un ordre de grandeur qui, dans une salle de DSI, change la température : “des dizaines de millions d’euros d’impact”, avec l’ambition de “doubler l’impact” chaque année sur trois ans, en réinvestissant la valeur.

Le mur du passage à l’échelle : quand le ROI devient une question politique

Quand Xavier Cimino (Senior Managing Director Strategy, Publicis Sapient) et Chadi Hantouche (Partner, Eleven) entrent dans la discussion, le ton change. La Matinale décrit une phase de désillusion presque mécanique : le moment où la démonstration cesse de convaincre parce que la production commence à coûter en argent, en énergie, en arbitrages. Le ROI reste difficile à mesurer, donc difficile à défendre quand il faut relancer une nouvelle vague d’investissements. Et l’adoption, trop souvent traitée en bout de chaîne, revient comme un boomerang : l’outil est prêt, le système ne l’est pas.

Trois blocages structurants reviennent : absence de vision, dialogue IT/métiers encore inégal, montée en compétences insuffisante. Et un détail, très révélateur, dit le fossé : quand on demande si “ça passe à l’échelle”, le business répond deux fois plus “oui” que l’IT. Même objectif affiché ; pas la même définition, pas la même lecture de la réalité.

Agents IA : l’accordéon de l’industrialisation, entre ambition et garde-fous

L’agentique arrive souvent comme une promesse de deuxième souffle. La Matinale, elle, ramène le sujet à une exigence de cadrage. Paul Medevielle (Head of AgentForce France, Salesforce) pose une définition utile à la DSI : un agent n’est pas un chatbot. C’est une solution capable de raisonner, planifier, exécuter dans un contexte métier à condition d’être définie par un rôle, une connaissance, des actions, des garde-fous, des canaux.

Et sur la question qui obsède tout le monde, le passage à l’échelle, il tranche : les freins sont rarement technologiques. Ils sont organisationnels : gouvernance, alignement stratégique, accompagnement du changement. Sa méthode ressemble à un accordéon : viser haut, mais démarrer petit, mesurer, itérer, puis élargir. C’est moins spectaculaire, mais c’est exactement ce qui marche. Pour prolonger ce fil “agents + gouvernance + valeur”, on peut aussi renvoyer vers notre décryptage sur les agents IA et la question de la valeur.

Le socle data : la loi de la gravité, et la facture qui va avec

Avec Erwan Simon (Lead Cloud AWS & Data, Devoteam), l’IA redevient ce qu’elle n’a jamais cessé d’être : de l’informatique, avec ses dépendances, ses fondations, ses dettes. Sans contexte, pas d’IA fiable. Et sans données solides, documentées, gouvernées, accessibles, le passage à l’échelle se transforme en marécage.

Le point intéressant, pour une DSI, est que la contextualisation n’est pas neutre économiquement. Contextualiser via l’input, c’est rappeler le contexte à chaque requête : une logique plutôt OPEX, au coût du token. Passer par l’adaptation du modèle, c’est payer l’entraînement : une logique plutôt CAPEX, puis des réponses plus autonomes sur le contexte. Et comme toujours, quand la donnée circule, le sujet “fuites” et gouvernance revient vite sur la table, un thème que l’on retrouve aussi dans nos retours sur la chasse aux fuites de données.

Modernisation applicative : l’IA accélère, mais ne remplace pas l’architecture

La modernisation applicative n’est pas un bonus : c’est le terrain de jeu réel. Olivier Josephson (Digital & Emerging Technologies Lead – Senior Partner, EY) compare l’IA à “un enfant”, déjà “à l’adolescence” : capable, mais encore surprenant. Il rappelle l’enjeu massif : un parc applicatif vieillissant, des risques cyber, des risques de compétences, et une inertie qui empêche les DSI de suivre un environnement “extrêmement mouvant”.

Sur les gains, il avance des ordres de grandeur qui parlent aux comités d’investissement : 30 à 40 % de temps économisé sur la compréhension et la rétro-documentation, et 25 à 30 % de coûts en moins “raisonnablement”. Mais il insiste sur la condition de fond : le découpage d’architecture, la sortie du monolithe. L’IA peut accélérer, “dérisquer”, aider à documenter, aider à migrer. Elle ne remplacera pas la décision d’architecture.

Qualité logicielle : courir plus juste, pas seulement plus vite

Le test, lui aussi, se transforme. Chez Expleo, Christophe Barrucq (Head of System Integration and Digital Assurance Services) résume l’apport IA avec une formule qui sonne juste : la différence entre la vitesse et la précipitation. L’IA aide à réduire la maintenance grâce à l’auto-réparation des tests, et elle améliore la prédictibilité en sélectionnant les tests pertinents selon le code modifié et les bugs observés en production.

Raounak Benabidallah (Senior Software & AI Consultant, Expleo) rappelle la contrepartie : même dans le test, l’IA peut halluciner. La méthode “human in the loop” n’est pas un slogan, c’est une condition industrielle : supervision, vérification, et réentraînement quand le réel contredit le modèle.

TF1 : IA sur les contenus, oui, à condition d’assumer, d’afficher, d’encadrer

Avec Olivier Penin (Director of Innovation, TF1), l’IA ne se limite plus à la productivité : elle touche l’expérience utilisateur, la gestion et la valorisation des archives, l’efficacité… et le business publicitaire. TF1 insiste sur l’acculturation, avec un socle et “l’art du prompt”, mais reconnaît un enjeu 2026 : toucher aussi ceux qui restent à distance, et structurer des “ambassadeurs”.

Les usages concrets racontent une ligne rouge : infographie de l’info, reconstructions 3D, visualisation, oui, mais avec transparence, via une mention “IA / images générées” à l’écran. Et sur l’agentique, TF1 refuse le vocabulaire qui maquille : “un chatbot devient un agent dans le nom”. La chaîne veut partir des besoins, pas des effets d’annonce.

OutSystems : éviter le “Shadow IA” et la facture au token

Enfin, Philippe Haïk (Head of Product Marketing, OutSystems) ramène la discussion au nerf de la gouvernance : l’IA accélère, mais sur le critique, la décision finale reste humaine. L’exemple du prêt immobilier n’est pas décoratif : il rappelle la frontière entre assistance et responsabilité, et le risque de délégation “par défaut”.

Les causes d’échec, elles, sont très “système d’information” : manque d’intégration (CRM/ERP), difficulté de déploiement Dev/Test/Prod, et surtout cette tentation de partir de la technologie plutôt que du métier. Le risque, pour une DSI, est familier : un nouveau Shadow IT, mais en version Shadow IA, des agents partout, sans gouvernance, et une facture qui grimpe “au token”. Pour relier ce point à l’actualité low-code, on peut renvoyer vers notre analyse sur la réaction du low-code face à l’IA générative.

La fin des démonstrations, le début des comptes à rendre

Au fond, cette Matinale raconte moins “l’IA” que la fin d’une période. La fin de la fièvre. Le début des comptes à rendre : sur la valeur mesurée, sur l’industrialisation, sur la donnée, sur l’architecture, sur l’adoption. Et cette phrase qui revient, comme un constat sans glamour mais terriblement exact : il n’a jamais été aussi facile de faire un POC, et jamais aussi difficile de le mettre à l’échelle. Pour voir ou revoir l’intégralité, rendez-vous sur la page du replay : Matinale du 11 décembre 2025.


Intervenants de notre matinale : Maxime Marembaud (Sodexo), Xavier Cimino (Publicis Sapient), Chadi Hantouche (Eleven), Paul Medevielle (Salesforce), Erwan Simon (Devoteam), Olivier Josephson (EY), Christophe Barrucq (Expleo), Raounak Benabidallah (Expleo), Olivier Penin (TF1), Philippe Haïk (OutSystems).


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