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ColibriTD fait enfin sortir le quantique des labos avec un solveur quantique utile et utilisable
Par Laurent Delattre, publié le 05 juin 2025
Fini le quantique de labos ! Avec QUICK-PDE, une API Qiskit taillée pour le calcul quantique hybride, ColibriTD montre qu’on peut vraiment résoudre des équations complexes et servir des applications industrielles avec des machines quantiques NISQ IBM d’aujourd’hui. Et ce n’est que le début.
Depuis des années, l’informatique quantique nous promet monts et merveilles. Suprématie quantique par-ci, révolution computationnelle par-là… Mais derrière les effets d’annonce, force est de constater que la plupart des démonstrations restent cantonnées à des algorithmes théoriques dont personne ne voit vraiment l’utilité pratique.
Ainsi le marketing quantique, essentiellement américain, préfère nous parler de qubits, de machines plus ou moins expérimentales, de suprématie indéchiffrable, de records dont l’utilité échappe au commun des mortels, pour mieux masquer l’absence d’usages et d’applications pratiques. C’est normal. Trop instable, trop bruitée, trop souvent inexacte, quoique progressant très régulièrement, l’informatique quantique était jusqu’ici bien incapable de faire fonctionner des algorithmes pratiques et utiles aux entreprises, à même de résoudre de vrais problèmes industriels.
C’est pourquoi l’annonce commune de la jeune pousse française ColibriTD et IBM marque une vraie rupture et fait , pour la première fois, entrer l’informatique quantique plus concrètement dans l’univers des usages d’entreprise.
La startup ColibriTD vient en effet de franchir une étape décisive en proposant une « QisKit Function » d’un solveur de résolution d’équations différentielles qui tourne, pour de vrai, directement sur les derniers ordinateurs quantiques « Heron R2 » d’IBM. Une avancée qui fait entrer le quantique dans les usages réels et pourrait bien transformer dans les prochains mois la façon dont certains industriels abordent et conduisent leurs simulations numériques.
Un algorithme quantique qui résout de vrais problèmes
Concrètement, ColibriTD a développé QUICK-PDE, un solveur capable de résoudre des équations aux dérivées partielles (EDP), ces formules mathématiques complexes qui décrivent comment évoluent dans le temps et l’espace des phénomènes physiques, comme l’écoulement d’un fluide, la déformation d’un matériau ou la propagation de la chaleur.
C’est ainsi la première fois que l’on peut exécuter un moteur multiphysique PDE (autrement dit de résolution d’équations différentielles) sur des ordinateurs quantiques NISQ (ordinateurs quantiques bruités) d’aujourd’hui et en tirer un gain industriel, pas uniquement une démonstration technique.
Le principe ? L’algorithme quantique H-DES développé par ColibriTD exploite la nature quantique des qubits pour explorer simultanément de multiples solutions possibles à ces équations. La particularité des équations différentielles c’est qu’elles sont exponentielles. Et tout ce qui est exponentiel devient vite ingérable avec l’informatique traditionnelle. Par sa nature même, l’approche quantique permet d’accélérer drastiquement certains calculs exponentiellement complexes.
Développé sur des simulateurs, le solveur de ColibriTD a été testé sur le dernier CPU Heron R2 d’IBM avec un niveau de fiabilité compatible avec des usages réels.
Le tournant Heron : quand la théorie devient pratique
Ce qui a changé la donne, c’est justement l’arrivée du processeur quantique Heron R2 d’IBM. « Avant, on devait faire beaucoup de mitigation d’erreur. Là, sur le dernier Heron, sur des équations simples, on n’a pas eu besoin de faire de mitigation d’erreurs. On a pu tourner sur 70 qubits sans mitigation d’erreurs. C’est un saut colossal », s’enthousiasme Laurent Guiraud, CTO de ColibriTD.
Pierre Jaeger, responsable du développement écosystème quantique chez IBM France, confirme : « C’est flagrant. Nos clients quantiques nous expliquent aujourd’hui que passer de Eagle [génération précédente] à Heron, c’est passer de quelque chose qui ne tournait pas à quelque chose qui tourne vraiment. »
La raison à ce saut ? Une spectaculaire amélioration de la qualité des qubits – leur stabilité et leur résistance au bruit – qui permet enfin aux algorithmes de s’exécuter sans passer plus de temps à mitiger les erreurs qu’à calculer. Un verrou technique majeur vient de sauter.
En réussissant à faire tourner son algorithme quantique H-DES sur le processeur Heron de 156 qubits, ColibriTD montre que le quantique peut déjà — et sans bidouillage — s’attaquer à des problèmes très concrets, comme l’aérodynamique ou la déformation des matériaux.
Une conception hybride et pratique
Pour concrétiser leur solveur sur des machines quantiques NISQ actuelles, aux limites très nombreuses, les ingénieurs de ColibriTD ont bien évidemment adopté une approche hybride qui combine informatique classique et informatique quantique, la partie quantique étant exploitée comme un accélérateur (que l’on appelle en local si on a la chance d’avoir une machine on-prem mais le plus souvent dans le Cloud via un service QaaS, ici IBM Quantum).
Le calcul quantique est réservé à la partie exponentiellement complexe (solution de la PDE) alors que tout le reste (pré-traitement, sizing dynamique du circuit quantique, post-analyse) est exécuté sur des serveurs CPU/GPU classiques.
Dit autrement, la partie quantique résout le cœur du problème physique, tandis que des processeurs classiques optimisent les circuits quantiques avant de les soumettre.
L’autre élément clé distinctif de l’approche de ColibriTD, c’est d’avoir conçu son solveur sous forme d’une « Qiskit Function ». Pour le dire simplement, le solveur se présente sous la forme d’une API qui lui permet d’être accessible depuis des workflows traditionnels.
A notre connaissance, ColibriTD est le premier éditeur français (voire européen) a ainsi proposer une fonction Qiskit prête à l’emploi et prête à intégrer un « Qiskit Function Catalog » jusqu’ici très restreint.
Des applications concrètes bientôt à portée de main
Les secteurs visés sont nombreux et les besoins criants. Dans l’aéronautique, simuler l’écoulement d’air autour d’une aile d’avion. Dans les semi-conducteurs, modéliser les chutes de tension à l’échelle nanométrique. Dans la finance, résoudre les équations de Black-Scholes pour l’évaluation d’options complexes.
« On a des clients qui commencent à venir nous voir. Ils ne vont pas dépenser 3 millions de dollars pour une solution tout de suite, mais l’idée c’est de commencer à travailler avec eux, solidifier l’approche », détaille le co-fondateur de ColibriTD.
Grâce à l’approche Qiskit Fuction évoquée plus haut, ColibriTD planche déjà à l’intégration de son solveur quantique dans des logiciels clés du marché de la simulation industrielle comme Ansys, Cadence, Catia (Dassault Système).
La modélisation multiphysique (fluide, combustion, mécanique, climat, etc.) représente souvent des centaines d’heures de calcul sur des clusters HPC classiques, avec un budget énergétique et carbone difficile à justifier. En montrant qu’un solveur quantique tourne déjà sur du matériel IBM disponible, ColibriTD matérialise un retour sur investissement quantique à moyen terme plutôt qu’hypothétique. « Nos résultats sur Heron démontrent qu’un solveur quantique peut déjà se substituer à des heures-GPU », résume le Dr Laurent Guiraud, PDG de ColibriTD.
Certes, cette intégration industrielle ne se fera pas immédiatement car les résultats actuels restent limités à des problèmes relativement simples en raison des performances mêmes du processeur Heron. Mais l’algorithme et la fonction Qiskit vont immédiatement pouvoir tirer profit des progrès attendus prochainement chez IBM. « Nous pensons que d’ici 18 à 24 mois, avec l’arrivée des machines IBM de génération Flamingo, nous pourrons réellement démontrer et bénéficier d’un réel avantage quantique » estime Laurent Guiraud.
Les cas d’usage industriels pourraient alors rapidement se multiplier. Sans avoir à attendre les hypothétiques machines FTQC (Fault-Tolerant Quantum Computing).
« Il faut arrêter d’attendre l’ordinateur quantique parfait », martèle Laurent Guiraud. « Les entreprises qui utilisent le hardware aujourd’hui et font l’effort de porter dessus des algorithmes quantiques vont progresser bien plus vite que les autres » ajoute Pierre Jaeger.
Une critique à peine voilée contre des investisseurs et industriels européens qui préfèrent aujourd’hui investir massivement dans l’IA que dans le quantique, attendant une hypothétique machine parfaite. Or la DeepTech quantique française a besoin d’investisseurs et dès aujourd’hui. L’annonce de ColibriTD démontre que les machines NISQ peuvent avoir des applications pratiques dès maintenant.
Avec QUICK-PDE désormais disponible dans le catalogue de fonctions Qiskit d’IBM, ColibriTD ouvre la voie à une première génération d’applications quantiques. Des applications qui s’attaquent à de vrais problèmes industriels avec de vraies solutions exploitables. L’histoire retiendra peut-être que c’est en ce mois de juin 2025 que l’ère de l’informatique quantique utile a vraiment commencé… avec une startup française qui a fait le choix de s’intéresser aux logiciels quantiques plutôt qu’aux hardwares quantiques…
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