Gouvernance

De gré ou de (Sales)force

Par Mathieu Flecher, publié le 21 février 2020

Ouf ! Nous sommes en février. C’est une bonne nouvelle. Pourquoi, me direz-vous ? Simplement parce que, enfin, Salesforce a fini son année fiscale! Cette société brillante porte bien son nom, aussi bien à l’endroit qu’à l’envers. « Force Sales » ou comment forcer la vente…

Le modèle économique de Salesforce a maintes fois été disséqué, analysé, et repose simplement sur le passage réussi d’un mode « licence one shot et maintenance » à un mode « redevance annuelle ». L’avantage est que, tous les ans, le chiffre d’affaire de l’année précédente est en fait reconduit, à l’exception près des entreprises qui quittent Salesforce.
Mais cela doit être bien maigre si l’on regarde la vitesse à laquelle cette entreprise a évolué. Rendez-vous compte : en 2003, le premier salon Dreamforce avait réuni 1 300 visiteurs ; en 2019, il en a accueilli 150 000 à San Francisco, avec Barack Obama en guest star. Joli bond en un peu plus de quinze ans.
Autre repère : son chiffre d’affaires 2019 était de 13,3 Md$, dix fois plus qu’en 2010, et son patron Marc Benioff anticipait début décembre une fin d’année fiscale 2020 à 17 Md$ !

Mais je digresse… Revenons à ce début de mois de février, ou plutôt quelques jours avant, fin janvier.

Traditionnellement, il est de bon ton, avec les éditeurs cotés en bourse, de profiter de leur agenda fiscal. Fin de trimestre, fin d’année fiscale : les deals sont très nombreux au cours du dernier mois. Au mois de janvier, c’est donc le moment où Salesforce est le plus à même de « faire péter » les bons prix. Mais le mécanisme de vente est en fait extrêmement bien huilé.

Déjà, un commercial vous suit, s’occupe de vous. De base. Toute l’année. Que vous soyez DSI ou CSO ou CMO, il ne vous lâchera pas. En toute gentillesse, son scénario est déjà bouclé, il sait tout de vous. Ce que vous faites, qui vous avez vu, ce que vous allez manger dans une semaine… ou presque. Chaque deal réalisé est une histoire qui est analysée, disséquée, et sur laquelle il capitalise pour réussir la vente suivante. Tous les leviers sont bons.

En pratique, le discours de Salesforce est de dire que « ce n’est pas un projet IT », mais un projet de gouvernance d’entreprise, de changement de paradigme, qui nécessite d’avoir des interlocuteurs sérieux. Le patron du patron du patron du commercial connaît forcément votre PDG. Qui, lui aussi, a droit à son petit storytelling des familles pour le sensibiliser à son niveau. Il paraîtrait même que Salesforce, en avant-vente, est capable de vous monter une sorte de vidéo publicitaire pour convaincre votre Comex ou votre PDG des avantages de sa solution et de la différenciation qu’elle peut générer sur votre business. Chaque niveau dans votre entreprise aura donc droit à sa sensibilisation toute personnelle.

Évidemment, plus on est proche du deal, plus la tension se fait sentir sur vos épaules. L’argument de Dreamforce en est un. Hormis le billet d’avion, vous pouvez même être invité par Salesforce à San Francisco pour assister à la grand-messe, au grand show de Marc Benioff. Mais revenons à ce début de mois de février, ou plutôt quelques jours avant, fin janvier.

Fin janvier, nous y sommes. Votre commercial laisse généralement la place à son « chef », ou son « chef-chef », qui est là pour « finir de vous achever ». Quitte à vous mettre en danger. Le niveau des directeurs chez Salesforce est généralement excellent, et ils arrivent facilement à vous marqueter les offres. Je suppute même qu’en arrière-plan, c’est toute une organisation : de petites mains sont là pour customiser les offres, d’autres pour finaliser les offres et faire les calculs pour vous, d’autres travaillent potentiellement aussi sur tout le démontage des arguments que vous pourriez formuler sur leur offre. Bref, rien n’est laissé au hasard.

Alors vous faites quoi ? Convaincus par tant d’arguments, de suivi, d’accompagnement, de proposition de valeur, de retour sur investissement, de changement de paradigme, eh bien vous montez au créneau et, votre Comex ou PDG ayant déjà été sensibilisés, le projet passe… Et Salesforce empoche pour les 5 ans à venir.
Et si vous ne signez pas ? Il y a de fortes chances pour que l’on vous explique que vous êtes passés à côté du deal de votre vie, et que, bien sûr, les prix qui vous ont été proposés ne seront même pas évocables lors d’une future négociation.

Allez, terminons sur une note positive. Avouons-le : la suite Salesforce est redoutable d’efficacité, de souplesse, d’une richesse incomparable… J’irais même plus loin : je suis sûr que les meilleurs vendeurs de Microsoft rêvent d’aller chez Salesforce. Quant à ceux qui restent chez Microsoft, ils feraient bien d’acheter Salesforce pour suivre leurs clients et leurs prospects…
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Par Mathieu Flecher, DSI d’une entreprise industrielle française

Mathieu Flecher est le pseudonyme d’un DSI bien réel

 

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