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En route vers l’entreprise apprenante et orientée client

Par La rédaction, publié le 24 octobre 2017

En partenariat avec l’Electronic Business Group, BCG et IBM ont réalisé une troisième édition du Référentiel de la maturité digitale dans les entreprises françaises et européennes. Derrière la confirmation que le digital est désormais ancré dans l’esprit des dirigeants et que ces derniers savent que les données en sont une composante importante — 91 % ont défini une stratégie de valorisation de leurs données —, les constats sont plus nuancés quant à leur degré réel d’avancement. Et la route risque d’être encore longue avant d’atteindre le statut d’entreprise orientée client. Point d’étape avec Marc Bensoussan et Antoine Gourévitch.

Quels sont les principaux enseignements de l’étude que vous avez réalisée pour établir ce Référentiel de la maturité digitale version 2017 ?

Marc Bensoussan : Après la reconnaissance de l’objectif — l’orientation client — établie dans la précédente édition de ce référentiel, nous constatons que ce recentrage sur le client est indissociable d’un travail important sur la donnée et induit un changement d’ADN de l’entreprise. Passer d’une culture orientée produit à une culture orientée client affecte toutes les composantes de l’entreprise — ses technologies, sa culture, ses plateformes, ses données, ses hommes et ses femmes… — et la question pour beaucoup est de savoir comment opérer cette transformation complexe mais nécessaire.

Pour la plupart, c’est un processus en cours. Toutefois, moins de la moitié des entreprises françaises ont actuellement une culture client, moins de la moitié ont une vision client, et moins de la moitié ont mis en place une plateforme pour gérer les données, alors que, tout le monde l’a compris, une expérience client apprenante passe par la connaissance de données personnelles pertinentes.

On apprend de cette étude que près d’un tiers (28 %) des entreprises se disent désormais prêtes à rémunérer leurs clients pour se procurer leurs données personnelles. Est-ce un indicateur important ?

Marc Bensoussan : Il n’est pas surprenant d’arriver à une telle valeur. Ce n’est toutefois qu’un indicateur parmi d’autres. La donnée et l’expérience client sont les piliers de la transformation digitale. Les entreprises l’ont si bien compris qu’elles sont prêtes à payer pour ces données.

Antoine Gourévitch : De par de précédentes études, nous savions que 80 % des clients étaient prêts à partager leurs données s’ils y trouvaient un intérêt. Un exemple intéressant est celui de Facebook, dans lequel les gens injectent énormément de données personnelles, voire très personnelles. Finalement, quand on regarde les publicités personnalisées que Facebook affiche, on constate que ce qu’il nous suggère est souvent très pertinent. Et cela apparaît plus comme du conseil que comme une publicité. Toutes les entreprises ne sont pas capables de faire cela ou n’ont pas vocation à le faire. En revanche, elles s’aperçoivent que si elles ont les données clients, elles sont alors en capacité d’adapter leurs produits et services. Cela a donc une grande valeur pour elles et, sachant qu’elles doivent désormais faire beaucoup plus attention dans leurs processus de collecte et de traitement de données personnelles, certaines vont limiter les éventuels problèmes en instaurant une sorte de relation contractuelle claire, qui sera synonyme de relation plus équilibrée, transparente, et qui établira la confiance.

Ce phénomène est encore plus prégnant dans les secteurs à fort besoin de R&D. Dans la santé, par exemple, le fait d’avoir de la donnée sur le long terme permet de faciliter les campagnes de test. Ce secteur s’aperçoit également qu’il se retrouve en compétition avec Google : en se basant sur les requêtes lancées sur son moteur de recherche, ce dernier est capable de prévenir d’une épidémie de grippe ou d’allergie au pollen. Il est même quasiment capable d’établir des pré-diagnostics de ce que les gens ont…

Quels sont les défis rencontrés pour asseoir une stratégie d’entreprise centrée sur le client ?

Marc Bensoussan : Même s’il est clair que l’on a besoin de beaucoup de technologies pour connaître le client, dans le but, in fi ne, de répondre à son besoin, les défis sont plus de nature humaine que technologique. Certes, tout n’est pas encore parfait, mais globalement les plateformes qui permettent de traiter les données sont pour certaines en train de s’ouvrir, pour d’autres en train d’émerger. Le vrai sujet, le plus sensible, c’est celui du changement d’ADN de l’entreprise. Prenez en particulier ses forces internes, ceux qui pendant des années ont été habitués à une culture orientée produits. Et cela à tous les niveaux de la hiérarchie. Il s’agit aussi de faire travailler ensemble les « digital papys » avec les « digital natives », les grands groupes avec les start-up…

Antoine Gourévitch : Pour moi, ce changement de paradigme est intimement lié à la notion d’agilité, telle que la DSI le vit avec les méthodes agiles. Le mode agile tire sa pertinence de la rapidité avec laquelle il permet de répondre à un besoin identifié et éventuellement changeant : en mesurant tout, en ayant un feedback client, on est capable de créer et de faire évoluer un produit, et cela rapidement et en en connaissant mieux le ROI. C’est grâce à cette promesse que les équipes agiles se voient accorder l’autonomie dont elles ont besoin. Mais on voit bien que cette promesse ne tient que si l’équipe fait preuve de transparence, qu’elle est capable de produire de la donnée. Ces mesures devront prouver la pertinence du segment visé, le bon dosage du niveau des fonctions intégrées dans le produit minimum viable. Elles fourniront le degré de satisfaction des clients, et donneront même des pistes pour les évolutions futures.

Mais peut-on vraiment instaurer l’agilité à grande échelle dans l’entreprise ?

Antoine Gourévitch : Le mode agile ne fonctionne qu’avec un énorme changement dans la culture managériale. Si l’on schématise, avant on me donnait des moyens et je faisais au mieux pour développer ce qu’on me demandait. Avec le mode agile, les données de feedback déterminent très rapidement si j’ai intérêt à développer un produit en fonction du niveau de fonctionnalités que mes moyens vont me permettre d’atteindre. Imaginons cela au niveau d’une entreprise avec, par exemple 150 projets en parallèle faisant appel à des ressources sachantes rares dans différents corps de métier. Cela ne peut pas fonctionner si l’on ne change pas la gestion de son portefeuille de produits. Il faudra limiter le nombre de projets en parallèle par chef de projet. Cela ne signifie pas que l’on en fera moins dans l’année, car on les fera plus vite. Mais cela constitue un changement culturel majeur de souhaiter faire 80 à 90 % de ses projets en agile. Et beaucoup d’entreprises ne savent pas comment faire le saut.

Y a-t-il une gouvernance type à mettre en place, des rôles clés à créer, pour devenir une organisation orientée client ?

Marc Bensoussan : En France, 70 % des entreprises ont créé un poste de Chief Digital Officer. Il est étonnant de voir que cette proportion n’est que de 30 % en Allemagne et à un niveau similaire aux États-Unis. Son rôle, temporaire, est un rôle d’accélération. Il est assumé, autant que possible, au plus haut de la hiérarchie. Chez Orange, comme l’évoque Mme Jégo-Laveissière dans l’étude, c’est Stéphane Richard, son PDG, qui est considéré comme le patron du digital. Chez IBM France, c’est aussi clairement le président qui l’incarne. À côté du Chief Digital Officer, nous voyons émerger deux nouvelles directions plus pérennes : celle de l’expérience client et celle de la data.

Antoine Gourévitch : Notre étude confirme que les entreprises ont organisé la gouvernance du digital en nommant un Chief Digital Officer, essentiellement pour catalyser les énergies. Mais avec la reconnaissance du fait que les données sont la pierre angulaire de l’orientation client, le besoin d’un rôle spécialisé se fait sentir. Pour traiter des données à grande échelle, définir lesquelles sont importantes, comment les collecter, les sécuriser, comment les mettre à disposition, s’assurer de leur qualité, etc., l’entreprise a intérêt à nommer un Chief Data Officer. C’est un métier à la fois technique et business. Et l’un de ses principaux rôles est d’exposer les données pour que celles-ci soient utilisées. S’il y a beaucoup de problèmes, aujourd’hui, de données qui sont fausses, c’est parce qu’on ne les utilise pas.

Quelles sont les contraintes en matière d’architecture, d’organisation des données ? Les entreprises ont-elles intérêt à mettre en place une DMP (Data management platform) ?

Marc Bensoussan : Les entreprises ne structurent pas leurs données de façon centralisée, comme on aurait pu l’imaginer. Elles ont plutôt une approche basée sur trois types de plateformes. La première, c’est le « core », le back-office, tous les systèmes qui hébergent déjà le patrimoine de l’entreprise. Les données y sont essentiellement de type structuré. La deuxième, c’est celle qui s’attache à digitaliser l’expérience client. On va y trouver de la donnée structurée, mais surtout beaucoup d’informations de type non structuré. La troisième est celle qui va permettre de digitaliser l’intelligence. Elle héberge tout ce qui est cognitif, intelligence augmentée ou artificielle. C’est là qu’on va faire la réconciliation entre le structuré et le non structuré. Par exemple, une banque a les données de compte de Monsieur X, elle sait via les réseaux sociaux quels sont ses hobbies, et va alors pouvoir lui proposer un crédit pour qu’il s’achète une nouvelle moto.

Antoine Gourévitch : Nous voyons des entreprises monter des DMP, mais plutôt au fur et à mesure qu’ils comprennent à quoi servent leurs données, et souvent par métier. Ce n’est donc pas fait dans les règles de l’art et cela se construit plutôt en mode itératif, ce qui n’est pas vraiment un problème avec les technologies actuelles, tant qu’on a une vision suffisamment bonne de l’architecture globale.

En quoi l’intelligence artificielle participe-t-elle au changement d’ADN de l’entreprise ?

Marc Bensoussan : Les systèmes core n’ont pas été conçus pour porter une expérience client apprenante. Parce que si vous inventez une nouvelle expérience client et que vous la mettez dans une informatique traditionnelle, ce sera toujours la même dans 10 ans, alors que, dans la vraie vie, une relation client n’est jamais figée. Un système d’intelligence augmentée permet, lui, en se nourrissant de tous types de données, de mettre en place un process client apprenant, et d’avoir ainsi une expérience client sans cesse renouvelée.

À un niveau d’abstraction supérieur, on peut alors envisager la notion « d’entreprise apprenante ». Par exemple, auparavant, on avait des certitudes : on savait — on croyait savoir — que pour aller au point B, il fallait passer par le point A, et on faisait des plans stratégiques à 5 ans. Aujourd’hui, on reconnaît qu’on ne sait pas et qu’on doit continuer à apprendre. Un ADN, ça se transforme, et le mot « apprenant » signifie que cela ne s’arrête pas.

Les entreprises ont-elles confiance en ces boîtes noires ?

Antoine Gourévitch : C’est tout l’enjeu. Les entreprises ont donc commencé des expérimentations en double mode pour voir si elles pouvaient faire confiance aux algorithmes, et comparé leurs performances par rapport à l’ancienne façon de procéder, ou en parallèle du même processus dans une entité sœur qui tourne encore de manière classique. In fi ne, on se rend compte que ce qui fonctionne bien c’est quand on conserve une validation par des experts humains. Avec l’avantage qu’ils disposent de données de meilleure qualité.

Marc Bensoussan : Dans certains secteurs, l’intelligence augmentée est en train de se développer de manière industrielle, c’est-à-dire pas seulement pour des prototypes ou dans une application indépendante qui tourne à côté du SI. C’est le cas notamment dans la banque. Plusieurs milliers de personnes l’utilisent par exemple quotidiennement au Crédit Mutuel.

Est-il plus facile d’en profiter si on a déjà investi dans le big data ?

Marc Bensoussan : C’est une question que nous posent beaucoup de nos clients : doit-on disposer d’une structure de données de type big data pour pouvoir mettre en place une intelligence artificielle ? Dans la réalité, cela facilite le travail quand les données sont déjà structurées d’une certaine manière, quand il y a déjà eu une réflexion sur la donnée. Mais en pratique, l’IA, ça raisonne plus que ça compile. Donc on peut travailler sur une donnée qui n’est pas précise. Car le but n’est pas de faire des calculs précis. Ce que je constate, c’est que les projets industriels d’aujourd’hui sont plutôt en train de se faire dans des entreprises qui n’avaient pas forcément investi sur leur plateforme de données. En quelque sorte, elles veulent prendre de l’avance là où elles auraient pu prendre un peu de retard.

Propos recueillis par Pierre Landry

 

LE RÉFÉRENTIEL DE LA MATURITÉ DIGITALE 

Accessible en ligne (ibm.biz/maturitedigitale17), le Référentiel de la maturité digitale est le fruit de 75 entretiens avec des décideurs du digital d’entreprises de tous secteurs : AccorHotels, Adeo, Air France-KLM, Crédit Mutuel, EDF, Maif, Orange, PSA, Sanofi Pasteur, Total… Cette étude qualitative a été complétée d’une étude quantitative conduite en ligne auprès de plus de 1 200 responsables (digital, marketing, direction générale, DSI…) issus de 800 entreprises, essentiellement des grands groupes (50 % ont plus de 10 000 salariés, seulement 19 % moins de 500).  

 

ANTOINE GOURÉVITCH

• 1995-2017 The Boston Consulting Group (BCG)

• 1992-1995 Bossard Consultants

• 1991 Centrale Supélec

 

 MARC BENSOUSSAN

• 2014-2017 IBM

• 1994-2013 CSC

• 1985-1994 Différents cabinets d’audit et de conseil

• 1985 Université Paris Dauphine, Expert comptable, DEA  

 

 

 

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