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Est Ensemble accélère le traitement des réponses aux appels d’offres avec l’IA

Par Xavier Biseul, publié le 09 avril 2025

L’établissement public territorial fait appel à l’IA générative pour contrôler la complétude des réponses des soumissionnaires puis les analyser et les comparer. Un projet qui décharge les agents publics de tâches fastidieuses tout en garantissant une égalité de traitement pour les candidats.

Créée le 1er janvier 2016, dans le cadre de la mise en place du Grand Paris, Est Ensemble est une structure intercommunale qui regroupe neuf villes de Seine-Saint-Denis dont Bagnolet, Bobigny, Pantin, Montreuil, Noisy-le-Sec et Bondy, totalisant 408 000 habitants.
Elle exerce ses prérogatives dans les domaines de la politique de la ville, de l’action sociale, de l’eau et de l’assainissement, ou de la gestion des déchets ménagers, et gère quelque 80 sites dont des piscines, des médiathèques et des lieux de développement de l’emploi local.

Au regard de l’étendue de ses compétences, l’établissement public territorial (EPT) passe, dès un euro d’achat, des marchés publics très diversifiés qui vont des fournitures courantes aux rénovations de bâtiments en passant par des prestations de services. En avril dernier, Est Ensemble a décidé de recourir à l’IA générative pour accélérer le traitement des réponses aux appels d’offres. L’ESN Inetum est retenue pour l’accompagner dans ce projet qui fait la part belle aux méthodes agiles.

Alors que les acteurs publics privilégient souvent l’approche open source, l’EPT a choisi une solution clés en mains, en l’occurrence le moteur d’OpenAI. Le projet s’étend sur quatre phases de développement. La première étape, qui s’est achevée début juillet, consiste à vérifier la complétude de la réponse d’un candidat à l’appel d’offres. Lors du dépôt d’un dossier de candidature, l’IA s’assure donc que les pièces des soumissionnaires sont bien présentes, telles que les agréments, les certifications, les assurances, et qu’elles sont toujours valides.

« Pour la direction qui s’occupe des achats publics, c’est un gain immédiat, estime Thierry Moisson-Bonnevie, le DSI. Ce travail de vérification s’étalait de quelques heures à une demi-journée par offre. C’est une tâche fastidieuse, chronophage, sans plus-value et parfois rendue complexe par la composition du dossier. Tous les éléments peuvent, par exemple, se retrouver dans un seul document sans table des matières. Par ailleurs, la moindre pièce manquante ou erronée peut fragiliser juridiquement un dossier. »

Analyser le dossier et le respect des exigences

Pour le DSI, l’IA garantit aussi une égalité dans le traitement. « Un agent n’a pas le même niveau d’attention à 8h ou à 17h, au premier ou au dixième dossier. »
La deuxième phase du projet qui s’est achevée fin 2024 portait sur l’étude du dossier, par rapport à la liste d’exigences (50 voire plus) que l’IA déduit de l’analyse des cahiers des clauses techniques et administratives. À noter que le modèle fait preuve d’exhaustivité lors de cette opération, n’oubliant aucune d’entre-elles, contrairement aux grilles de réponses généralement utilisées pour leur synthèse.

Une fois ces exigences listées, un filtre permet d’en retirer certaines ou de les reformuler. En face de chaque exigence, l’IA va extraire la partie de l’offre du soumissionnaire qui y répond, après avoir examiné l’intégralité des pièces fournies. Elle va ensuite proposer une note de 1 à 10 relative à l’adéquation de l’offre à cette exigence. « L’humain a naturellement la main pour modifier cette note, tempère Thierry Moisson-Bonnevie. À toutes les étapes, il a la possibilité de modifier ce qui est généré. »
D’ici peu, l’IA pourra aussi établir des critères de notation financiers, sociaux ou environnementaux et structurer les notes aux exigences selon le règlement de la consultation.

Comme ici avec ce projet de médiathèque, la collectivité de l’Est parisien doit lancer de nombreux appels d’offres et se veut pionnière dans leur traitement, grâce à l’IA. Elle en escompte des gains sur la vérification des dossiers, leur adéquation aux exigences, la comparaison entre eux et même l’analyse des risques associés au choix de tel ou tel soumissionnaire.

La phase trois du chantier autorisera une comparaison des dossiers entre eux. Un agent pourra « benchmarker » les offres X et Y sur tel ou tel critère. « Sans entrer dans un “lissage” des offres, cette comparaison peut être très intéressante dans la phase finale de négociation quand il reste une short-list de candidats, en mettant en avant les éléments discriminants pour les exigences-clés, juge Thierry Moisson-Bonnevie. Il peut par ailleurs y avoir deux offres en pole position qui ont obtenu la même note chiffrée sur un critère donné, mais sur des fondements très différents. »

Enfin, la phase quatre du projet permettra d’interagir avec l’outil via un chatbot conversationnel. Il sera possible de l’interroger en langage naturel sur telle ou telle offre et des points spécifiques, indépendamment de la liste d’exigences. Exemple ? « Peux-tu approfondir tel sujet ? » ou « Peux-tu évaluer le risque d’un dépassement de délai au regard des moyens humains mis à disposition et la taille du candidat ? ».

L’humain garde la main à toutes les étapes

Pluridisciplinaire, l’équipe projet est composée d’un membre de la DSI, de deux personnes de la direction en charge des achats et du juridique, et d’une de la direction des bâtiments qui traite les plus grosses commandes. En parallèle, trois personnes travaillent sur le projet côté Inetum. « C’est une co-construction itérative, observe le DSI. L’outil n’est pas en production en tant que tel, mais bien dans un cycle rapide de développements, de tests et d’améliorations. »

Dans l’accompagnement au changement, il y a bien sûr de nouvelles craintes à lever. « L’IA n’est pas là pour remplacer les agents, mais faciliter leur travail, leur retirer les tâches les moins gratifiantes, assure Thierry Moisson-Bonnevie. Ce n’est qu’une aide à l’analyse et l’humain garde la main à toutes les étapes. »

Thierry Moisson-Bonnevie

DSI d’Est Ensemble

« Lorsqu’il reste une short-list de candidats, l’IA met en avant les éléments discriminants pour les exigences-clés. »

L’analyseur d’offres permet un gain de temps et l’amélioration des traitements (exhaustivité, homogénéisation de la qualité…) côté EPT, et l’assurance d’une impartialité et d’un retour plus rapide côté candidat. « Est Ensemble est une des premières collectivités à proposer une réalisation concrète aussi avancée, note le DSI. Nous envisageons de proposer cet outil à d’autres collectivités afin de participer à l’efficacité de l’action publique. »

Ces partenaires cofinanceraient, selon un coût à l’usage, l’exploitation de l’outil et ses nouveaux développements. « Le modèle financier reste à définir, mais notre objectif restera de mutualiser les dépenses publiques, pas de vendre du logiciel sur étagère ou de faire concurrence aux sociétés comme Inetum qui vendent des prestations de développement », assure Thierry Moisson-Bonnevie.

Enfin, cet analyseur d’offres s’inscrit plus largement dans la feuille de route sur l’intelligence artificielle qu’a initiée Est Ensemble. Son président, Patrice Bessac, souhaite faire de l’IA un outil au service de la modernisation du service public. « Il s’agit d’expérimenter et de comprendre concrètement ses enjeux », explique Alexandre Louradour, chef de projet au sein de la Mission IA. Un cycle de conférences a notamment permis de sensibiliser les agents et les communes d’Est Ensemble. « L’IA n’est pas qu’un objet technique, il y a un enjeu de politique publique à son utilisation, qui doit être saisi par les élus », conclut le chargé de mission.


Le projet en chiffres

4h (jusqu’à) gagnées sur la vérification de la complétude du dossier

50 exigences (ou plus) prises en compte dans l’analyse du dossier

3 directions impliquées dans le projet (DSI, achats & juridique, bâtiments)

L’établissement Est Ensemble

Activité : Établissement public territorial
Effectif : Environ 1 400 agents
Budget : 438 M€ en 2024


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