Gouvernance

Françoise Gri (Pierre & Vacances – Center Parcs) : “DSI et directions métier doivent encore plus se rapprocher pour innover”

Par Adrien Geneste, publié le 14 février 2014

Début 2013, Françoise Gri a pris les rênes de Pierre & Vacances – Center Parcs. En mai, elle instaure le plan WIN2016 pour relancer le groupe. Une large place y est donnée à la personnalisation du rapport avec le client.

Françoise GRi Directrice de Pierre & Vacances – Center Parcs, vous êtes aussi membre du Medef. Quel regard portez-vous sur le degré de maturité des entreprises sur le sujet de la transformation numérique ?
Françoise Gri : Les entreprises représentées au Medef utilisent massivement, pour certaines, les technolo-
gies de l’information. Mais ce n’est pas forcément un signe de maturité. Si les grandes banques sont très en pointe sur nombre de sujets informatiques par exemple, c’est parce qu’il s’agit d’une nécessité dans leur secteur. Mais cela ne signifie pas pour autant qu’elles sont prêtes à répondre à une problématique de transformation digitale. Pire, dans les entreprises de taille moyenne, je pense que la culture informatique est tout à fait insuffisante. Il faut dire que les informaticiens ne font rien pour être compris. C’est un problème. Dans toute ma carrière, je l’entendais sans vraiment le percevoir, car je comprenais le langage des informaticiens. Maintenant, je comprends mieux pourquoi le sujet de l’informatique est repoussant pour un patron.
 
Les informaticiens n’ont-ils pas commencé à mieux communiquer avec leur direction générale et les directions métier ?
FG : C’est le cas, mais ce n’est pas encore assez. Les exigences du digital doivent les conduire à se rapprocher bien plus des autres directions de l’entreprise. S’ils n’y prennent garde, le sujet de l’innovation va leur échapper. Et ils vont se retrouver avec la plomberie et à devoir courir derrière le train, à rattraper ce que les métiers vont lancer. S’ils veulent jouer un rôle majeur dans le processus de transformation digitale de leur entreprise, ils doivent mieux comprendre ses enjeux et sa stratégie. C’est d’autant plus critique pour un groupe de notre taille qui a la nécessité d’obtenir des résultats rapidement.
 
De fait, chez Pierre & Vacances – Center Parcs, l’innovation numérique est-elle conduite par votre DSI ou par un Chief digital officer ?
FG : Pour appuyer notre plan de relance WIN2016, qui fait une large place à l’innovation, nous avons recruté Paul Collinson. Précédemment patron de l‘informatique chez Intermarché, il est à la fois DSI et directeur de l’innovation opérationnelle depuis le second semestre de l’année dernière. Il est celui qui va aider les directions métier à travailler sur leurs processus, leurs usages et sur les offres de services aux clients, de sorte que la technologie leur permette de les concevoir. Une entreprise de notre taille ne peut se permettre de laisser les directions utilisatrices le faire elles-mêmes. Il est par exemple indispensable que ce soit le patron informatique qui s’occupe de la stratégie de données de l’entreprise et des données liées au client. Or, Paul Collinson vient du milieu de la distribution, qui est en avance par rapport à nous et à d’autres secteurs dans la personnalisation du rapport avec le client.
 
Vous évoquez votre programme de relance WIN2016. Quelles en sont les principales composantes ? La part du numérique y est-elle importante ?
FG : Les phases de notre programme WIN2016, annoncé au mois de mai dernier, sont au nombre de trois. Elles sont assez logiques. Nous avons commencé par la performance en mettant en place une organisation et des bases solides sur lesquelles construire notre efficacité de demain. Cette phase consiste en un effort certain sur nos coûts, sur toutes les lignes du compte d’exploitation. La deuxième phase, dite d’accélération, répond à l’enjeu identifié de vendre mieux nos produits. Pour ce faire, nous devons mieux connaître nos clients. Non pas globalement, mais individuellement. La bonne exécution de cette phase repose donc sur la mise en place d’une vraie gestion de la relation client, exploitant l’ensemble des canaux numériques qui transforment actuellement l’univers du tourisme. Enfin, la dernière phase, d’innovation à proprement parler, verra la mise en œuvre de nouveaux business models et un développement international hors de l’Europe. Mais pour y arriver, nous avons besoin d’un système d’information aux fondations solides, sur lequel nous pourrons tester différentes approches, différents scénarios.
 
Vous allez donc d’abord mettre l’accent sur la gestion de la relation client ?
FG : Oui. C’est un point critique car l’offre de Pierre & Vacances – Center Parcs est une offre à la carte. Ce n’est pas une formule « all inclusive » ou toute faite qui s’applique à vous ou votre voisin de la même façon. La vendre mieux c’est la présenter de façon pertinente au client. Si ce dernier a 55 ans, vous n’allez pas lui mettre en avant le club enfants ou le parcours
d’accrobranche. Nous devons donc connaître individuellement notre client, savoir ce qu’il aime, mais aussi comment il utilise les réseaux sociaux, pour se renseigner comme pour s’exprimer sur ses vacances. Un premier travail a consisté à mettre en place une base de données commune entre Pierre & Vacances et Center Parcs et à y relier nos systèmes sur site. Jusque récemment, ces données n’étaient quasiment pas exploitées. Or c’est un gisement important dans la recherche de propositions adaptées aux désirs du client. Nous travaillons donc entre autres sur une application mobile qui lui permettra d’enrichir son séjour en fonction de son profil.
 
Au-delà des enjeux techniques, il s’agit donc d’une mutation plus profonde chez vos collaborateurs ?
FG : Bien sûr. Si vous parlez à vos informaticiens, ils pensent que le CRM c’est fabriquer une grosse base de données pour les clients. Une fois qu’ils l’ont réalisée, ils croient avoir terminé leur travail. Vos vendeurs, eux, ont toujours fait leur CRM d’une certaine façon et n’intègrent pas le potentiel du digital. Tout l’enjeu de la transformation digitale, c’est de faire sortir chacun 
de sa zone de confort et de les faire travailler ensemble sur un projet commun, avec des méthodes agiles. Dans une structure de notre dimension, une orga-
nisation basée sur des correspondants informatiques au sein des directions métier ne peut pas fonctionner. Le mode guichet est incompatible avec la vitesse à la-
quelle on veut avancer. C’est pour cela notamment que l’un de mes principaux critères d’embauche pour mes patrons d’activités, est qu’ils soient « digital na-
tives » ou, du moins, qu’ils comprennent les enjeux du numérique. Presque tout le monde cherche ses vacances et réserve sur Internet. Il faut être là où les clients sont.
 
Une fois peaufinée votre plateforme de gestion de la relation client, vous entrerez dans la phase d’innovation. Avez-vous déjà une idée de ce que vous allez proposer à vos clients ?
FG : Lorsque nous connaîtrons mieux Monsieur Martin, nous saurons lui faire la bonne proposition au bon moment et sur le bon canal. S’il fait ses réserva-
tions sur son mobile ou sur sa tablette, alors que c’est un achat en général complexe, cela nous indiquera que c’est a priori son mode de communication préféré et que nous pouvons privilégier ce canal pour lui adresser des offres. Par ailleurs, le comportement de Monsieur Martin ne peut plus s’analyser sur la simple base de sa catégorie socioprofessionnelle. Au-delà du fait que, globalement, ses séjours sont de plus en plus courts et choisis à la dernière minute, il peut très bien partir faire du ski avec une offre Pierre & Va-
cances Premium et choisir de faire du camping en été. Mais avant cela, Monsieur Martin aura émis des signaux. À nous de les capter et de lui proposer, par exemple, une formule d’abonnement ; ou bien, si l’on détecte qu’il part souvent en week-end, une sorte de consommation en illimité : avec tant d’euros par mois, vous pouvez aller autant de fois que vous voulez à Center Parcs en dehors des périodes scolaires. Sur site, nous devons être capables aussi de lui offrir des activités pertinentes, en accord avec son profil, avec ses préférences.
 
Vous parlez d’abonnement et de consommation en illimité, que l’on retrouve dans certains secteurs à connotation technologique. Est-ce une coïncidence ?
FG : L’abonnement et l’illimité sont effectivement des business models qui ont été testés avec succès dans le monde du digital. Mais tous les secteurs m’intéressent. Le monde d’aujourd’hui c’est d’aller chercher ailleurs, dans un domaine qui n’est pas le vôtre, les innovations qui vont pouvoir s’appliquer à votre univers. L’innovation pure, celle qui vient de nulle part, existe certainement. Mais on la rencontre rarement dans les entreprises largement établies. Quand vous êtes dans une logique de transformation, de projection dans le futur, regarder ce qui se passe dans d’autres environnements permet de passer plus rapidement à l’étape suivante, à innover dans votre propre transformation. Par exemple, notre DSI Paul Collinson était aupara-
vant directeur des systèmes d’information du Groupement des Mousquetaires. Ce n’est pas un hasard. Ce secteur est en pointe sur l’informatisation des points de vente et sur la fidélisation client. Une grande partie de ces usages est déclinable dans l’univers du tourisme.
 
Vos multiples mandats au sein des conseils d’administration d’Edenred ou encore du Crédit Agricole sont-ils autant de moyens, pour vous, de capter l’innovation ?
 
FG : Lorsque j’étais au conseil de surveillance de Rexel, j’ai beaucoup appris sur le sujet de l’énergie et de l’engagement sur les responsabilités sociales et environ-
nementales. C’est important quand on construit des villages au beau milieu des forêts. Il faut par exemple savoir qu’il y a des réglementations pour tout protéger, y compris les tritons à crête dorée. Plus sérieusement, cela me permet de mieux appréhender ce que me rapportent nos experts sur ce sujet. Chez Edenred sont abordées des problématiques de données per-
sonnelles, mais aussi de relations B to B, B to B to C, et aussi vers les employés. Et les réflexions que mène le Crédit Agricole sur son métier et sa proximité avec le client ne sont pas très éloignées de la relation entre un directeur de site et ses clients. D’une certaine façon, c’est donc un peu ma propre formation profes-
sionnelle. Mais je n’y suis pas que pour me nourrir. J’y suis aussi pour contribuer. C’est également dans une démarche de contri-
bution, et parce que le sujet de l’éducation me tient à cœur, que je participe au comité d’administration de Centrale Paris. Je suis aussi, depuis peu, coprésidente du comité Sup’Emploi, dont l’un des objectifs est d’améliorer l’insertion professionnelle des jeunes. Ce qui n’est pas sans lien avec mon précédent poste chez Manpower. On ne peut pas ne pas s’intéresser à ce sujet. Lorsque l’on est patron, on a un rôle qui va au-delà de son entreprise. 
 
 Propos recueillis par Pierre Landry

Dans l'actualité

Verified by MonsterInsights