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IBM alimente l’angoisse du « grand remplacement » par l’IA

Par Marie Varandat, publié le 03 mai 2023

En déclarant que l’IA va lui permettre de remplacer 30% de ses salariés, le patron d’IBM a réveillé toutes les superstitions autour de l’IA. Aussi réelle que puisse être sa stratégie de licenciements, la formule reste malheureuse. Elle dénote aussi d’une vision dépassée de l’IA. Reste qu’à défaut de jouer les Cassandre, il fait le buzz…

« Il me semble que 30 % (des 26 000 employés administratifs) pourraient facilement être remplacés par l’IA et l’automatisation sur une période de cinq ans ». En effectuant cette déclaration lors d’une interview accordée à l’agence Bloomberg lundi dernier, Arvind Krishna, CEO d’IBM, a réveillé toutes les craintes que les experts de l’IA s’efforcent d’enterrer depuis quelques années : non, l’homme n’a rien à craindre d’une IA qui ne pourra vraiment le remplacer et contribuera essentiellement à « l’augmenter ».
Eh bien, de fait, Arvind Krishna semble penser le contraire mais avec un point de vue arbitraire qui, à l’aune de ce que sait déjà faire l’IA, semble complètement dépassé.

Une vision de l’IA obsolète

Comme beaucoup d’entreprises du secteur, IBM a mis en place un plan social, lequel prévoit le licenciement de 5000 salariés selon Bloomberg. Parallèlement, le géant américain aurait embauché 7000 personnes au premier trimestre. L’histoire ne dit pas si IBM licencie effectivement des « administratifs » pour embaucher des développeurs, des experts, des commerciaux ou tout autre profil dont la société pourrait avoir besoin.

Reste qu’avec sa déclaration « coup de poing » qui fait bien entendu le buzz dans tous les médias, IBM se trompe de cible, montrant à quel point la société a pris un train de retard sur les développements en IA. Et ceci alors même que le nouvel IBM (né de la scission IBM – Kyndryl) plaçait l’IA comme l’un de ses deux piliers, avec le Cloud Hybride.

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En cantonnant l’impact de l’IA aux tâches administratives pouvant être automatisées, le patron d’IBM feint en effet d’ignorer à quel point les solutions émergeantes sur le marché peuvent se montrer créatives. Bing Chat peut vous faire des déclarations d’amour ou de guerre, écrire des poèmes ou même réécrire l’article que vous êtes en train de lire. Dall-E peut dessiner ou peindre des œuvres originales. GhitHub Copilot peut coder des programmes subtils plus vite qu’aucun humain avec probablement moins de risques d’erreur. Bref, l’IA est en passe de devenir bien plus qu’un outil capable de « remplacer » l’humain sur les taches répétitives à faible valeur ajoutée.

Bien qu’autrefois très avancé dans la domaine de l’IA avec son Watson, IBM semble de fait avoir perdu son côté visionnaire. En 2022, l’éditeur s’est même débarrassé, à la surprise générale, de sa division Watson for Healthcare.

Provocation ou volonté de faire le Buzz ?

Difficile de prédire si le patron d’IBM va concrétiser ses ambitions de licenciements dans les cinq prochaines années. De fait, personne n’est réellement capable aujourd’hui de savoir combien d’emplois l’IA va détruire, combien elle va en créer et dans quelle mesure elle remplacera ou non l’humain. En l’état, l’IA reste surtout un outil contrôlé par l’humain, qui le soulage dans certaines tâches répétitives ou non, automatisées ou pas. Elle l’augmente bien plus qu’elle ne le remplace. Et si ces IA paraissent extraordinaires quand on les découvre, il ne faut pas bien longtemps pour en mesurer leurs limites actuelles.  

Choisir le 1er mai, date de la fête du travail en Europe, pour réveiller les peurs associées à l’essor de l’IA n’est certes pas un choix innocent de la part du patron d’IBM. Hazard de calendriers ? Probablement pas. Ironiquement, on notera qu’il ne figure pas dans la liste des PDG invités par la Maison Blanche mardi dernier à réfléchir aux risques associés au développement de l’IA. Faut-il y voir une démonstration que même la maison blanche n’a pas apprécié la déclaration d’Arvind Krishna ou, pire, que le gouvernement américain considère IBM dépassé sur le sujet ?

Consultée par l’AFP, l’invitation de Joe Biden a en effet été envoyée à Sam Altman d’OpenAI, Dario Amodei d’Anthropic, Satya Nadella de Microsoft et Sundar Pichai de Google. Elle indique notamment que le gouvernement américain souhaite « avoir une discussion franche sur les risques actuels et à court-terme que nous percevons dans les développements de l’IA » et qu’il veut porter la réflexion sur les « mesures à prendre pour réduire ces risques et d’autres façons de travailler ensemble pour nous assurer que le peuple américain bénéficie des avancées dans l’IA tout en le protégeant des dangers ».

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Quand les pères de l’IA divergent…

D’après nos informations, les quatre PDG ont accepté l’invitation. Espérons qu’il en ressortira des déclarations plus constructives que celles du patron d’IBM ou de Geoffrey Hinton – considéré avec Yann Le Cun comme l’un des pères fondateurs de l’IA – qui vient de quitter Google pour retrouver sa liberté de parole. Ce dernier affirme que les IA « seront bientôt plus intelligentes que nous ». Mais il s’inquiète bien plus des mauvais usages de l’IA pour générer des fakenews et fausses images afin de manipuler les populations que de voir l’IA remplacer l’humain. « Le risque est que nous ne sachions plus ce qui est vrai à l’avenir » explique-t-il. Avant d’ajouter « si l’IA devient beaucoup plus intelligente que nous, elle deviendra très forte en manipulation parce qu’elle aura appris ça de nous ».

Yan Le Cun se veut beaucoup moins alarmiste. Même s’il reconnaît qu’il ne fait aucun doute que les IA seront un jour plus intelligentes que les humains, il rappelle « qu’on est très loin d’avoir de telles IA » et que « elles n’ont pas le type d’intelligence qu’on constate chez les humains ». Pour le directeur de la recherche en IA de Meta, l’intelligence artificielle est d’abord et surtout « un moyen d’amplifier l’intelligence humaine », ce qui pourrait s’avérer essentiel pour relever les challenges auxquels l’humanité risque d’être confrontée à l’avenir.


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