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La Canut dynamise les achats IT dans le secteur public
Par François Jeanne, publié le 10 juin 2025
Face à la lenteur des processus d’achat traditionnels et au manque d’expertise IT des acheteurs, des DSI se sont réunis pour lancer La Canut, une centrale d’achat dédiée au numérique et aux télécoms. Elle s’est imposée en un an en jouant sur la transparence des prix, l’efficacité et la rapidité des négociations avec les fournisseurs, et un cadre juridique très sécurisant.
La peine est partagée par tous les DSI, enfin au moins en France. Celle de devoir se tourner vers la direction des achats pour mener à bien une acquisition de matériel, de logiciel, de réseaux ou encore de prestations intellectuelles. Ce n’est pas que les acheteurs soient antipathiques. Mais ils sont souvent débordés par de multiples sollicitations émanant des autres directions, avec des processus complexes à mener et des contraintes juridiques qui s’imposent.
La situation est encore plus compliquée dans le secteur public, avec les obligations inhérentes au code de la commande publique. « Dans une collectivité comme un conseil départemental, explique Sébastien Déon, le DSI du CD 54 (Lauréat du prix DSI Cybersécurité, voir n°2303), les directions des achats sont souvent embolisées. Il peut s’écouler plusieurs semaines avant qu’un des acheteurs, pris par ailleurs sur des projets beaucoup plus complexes et plus coûteux, par exemple en génie civil, ne se libère pour traiter une petite demande non prioritaire telle que celles qui émanent d’une DSI. »

Les DSI adhérentes de la Canut accèdent rapidement et gratuitement, via un portail dédié, à l’ensemble des accords-cadres en cours pour des logiciels, du matériel et même des prestations intellectuelles. Une simplicité d’usage et une transparence qui ont fait son succès depuis un an.
Adhérent du CoTer Numérique, il s’était enquis, lors d’une des premières réunions du club à laquelle il participait en 2022, de l’existence d’un mécanisme d’achats groupés entre des DSI qui, après tout, partageaient la même problématique. « Il n’y en avait pas, mais j’ai senti l’intérêt et même l’attente d’une initiative en ce sens ». En particulier auprès de son confrère Christophe Lombard, directeur de la transformation numérique et de la relation citoyenne du département des Hautes-Alpes (05).
Ils se mettent alors en quête d’une solution et découvrent qu’il existe une structure juridique parfaitement adaptée à leur triple besoin d’économies, de sécurité juridique et d’efficacité procédurale. « Cela s’appelle une centrale d’achat publique, et c’est expressément prévu [articles L1211-1 à L2113-4, NDLR] dans le code de la commande publique », explique Vincent Deleau, directeur général de la Canut (Centrale d’achat du numérique et des télécoms), l’association loi 1901 qui naît de cette découverte fin novembre 2023.

Un contrôle dans la durée
En plus de négocier les prix et les conditions contractuelles avec les fournisseurs, la Canut se charge aussi… de l’après-vente : elle leur demande d’envoyer, tous les six mois, un reporting sur les actions de commercialisation et leurs résultats, le volume d’affaire global réalisé ou encore le retour sur investissement des projets réalisés. Ce reporting met aussi en évidence les bonnes pratiques qui doivent être mises en œuvre, les défauts d’application et les mesures correctives à mettre en œuvre.
Installée dans des locaux à Lyon, la petite structure s’étoffe rapidement (six personnes aujourd’hui, en majorité des acheteurs spécialisés par secteur), développe un portail pour ses adhérents et lance ses premières négociations avec les fournisseurs. Sa mission, résumée par son directeur général ? Apporter de l’efficacité dans les processus en les accélérant, générer des économies grâce aux achats groupés, sans oublier une garantie absolue de sécurité juridique, indispensable dans le contexte de la commande publique.
Concrètement, les « livrables » de la Canut sont des accords-cadres, signés avec les fournisseurs à la suite de demandes d’un ou de plusieurs adhérents, ou des membres de son conseil d’administration composé de 17 membres représentants des entités du secteur public. Peuvent adhérer les collectivités, les agences et établissements d’enseignement publics et privés non lucratifs, les bailleurs sociaux, les agences et établissements intervenant dans le secteur des secours, les établissements publics de coopération intercommunale, les centres de gestion, les établissements publics administratifs, les syndicats mixtes, les sociétés publiques locales, les groupements d’intérêt public, les régies, les associations syndicales autorisées et les établissements publics à caractère industriel et commercial.
« Un accord-cadre détermine un prix maximum pour le produit ou le service concerné, explique Vincent Deleau. Nous déléguons ensuite la réalisation de l’achat à l’adhérent qui veut en profiter, selon un mécanisme juridiquement fiable, et sa propre direction des achats n’a alors plus qu’à exécuter le processus ». Le prix négocié avec le fournisseur est un prix maximum, qui peut encore faire l’objet d’ajustements. Et en ce qui concerne les prestations intellectuelles, l’adaptation concerne aussi le nombre de jours à facturer.
Vincent Deleau
Directeur général de la Canut
« Il est assez facile pour une DSI de voir de suite si elle va y gagner financièrement à passer par la Canut. »
Déjà 2 000 adhérents
En à peine plus d’un an d’existence, les résultats de la Canut sont plutôt impressionnants : plus de 15 accords-cadres signés désormais (voir encadré) et un volume de ventes hors taxes réalisé supérieur à 40 M€. L’association compte 2 000 adhérents qui n’ont rien à payer tant qu’ils ne décident pas de bénéficier d’un de ces accords-cadres. Il faut dire qu’elle a fait un choix fort, celui de laisser tous ces adhérents consulter le détail de ces accords, donc les prix obtenus, sans rien avoir à débourser, contrairement à une pratique largement répandue dans d’autres centrales d’achat. « De ce fait, il est assez facile pour une DSI de voir de suite si elle va y gagner financièrement à passer par la Canut », souligne Vincent Deleau. Et lorsqu’elle décide de le faire, le paiement de frais d’utilisation de cet accord-cadre est limité à quelques centaines d’euros, proportionnel à la taille de la structure et dégressif lorsque plusieurs opérations sont réalisées sur un an. À noter qu’une entité éligible peut aussi profiter de ce service, sans pour autant adhérer à l’association.
Spécialistes des achats, les professionnels de la Canut estiment que le gain sur des marchés qui auraient été passés en direct par les adhérents est de l’ordre de 10 à 15 % : « Autant de sommes qui pourront être affectées à d’autres politiques publiques, rappelle Sébastien Déon. Et la rapidité du processus nous donne à tous une réactivité bienvenue sur des marchés portant sur des technologies évoluant très rapidement, par exemple dans le domaine de l’IA générative. »
Autre signe du succès de la démarche : nous recevons de plus en plus de communiqués de presse à la rédaction d’IT for Business de la part de fournisseurs IT qui annoncent avoir été référencés par la jeune centrale d’achat…
Le projet en Chiffres
350 logiciels référencés sur le marché multi-éditeurs
15 accords-cadres (15 nouveaux prévus sur 2025)
35 titulaires de marchés (à fin 2024)

L’organisation LA CANUT
Activité : Centrale d’achatEffectif : 6 collaborateursCA 2024 : 40 M€ de marchés passés
