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Le « reverse engineering » autorisé par la Cour de justice européenne

Par La rédaction, publié le 10 octobre 2012

Langage de programmation et fonctionnalités d’un logiciel ne sont pas protégés par le droit d’auteur, selon une récente décision de la Cour de justice de l’Union européenne. Cette dernière valide, de plus, dans une certaine mesure, les pratiques de « reverse engineering ».

La Cour de justice de l’Union européenne vient de juger que les fonctionnalités d’un programme d’ordinateur ne constituent pas une forme d’expression et qu’elles ne sont donc pas protégeables par le droit d’auteur. Rendue le 2 mai 2012, cette décision précise aussi que le langage de programmation et le format des fichiers de données utilisées dans le cadre du programme échappent à ce même droit d’auteur. Elle autorise, par ailleurs, les détenteurs d’une licence d’un logiciel à observer, étudier et tester librement le fonctionnement de ce programme afin de déterminer les idées et les principes qui en sont à la base. Autrement dit, elle valide, dans une certaine mesure, les pratiques de « reverse engineering ».

Un langage de programmation n’est pas soumis au droit d’auteur

Cette décision est remarquable sur plusieurs points.

D’abord, elle prend position de manière ferme et définitive sur l’étendue de la protection apportée au langage de programmation par le droit d’auteur. En tant que langage, donc au même titre que l’anglais ou le français, celui-ci ne constitue pas une forme d’expression susceptible d’être protégée.

Ensuite, la Cour de justice européenne adopte ainsi la même position que la jurisprudence française qui considère, de manière constante, que les fonctionnalités d’un logiciel ne bénéficient pas, en tant que telles, de la protection du droit d’auteur dès lors qu’elles ne correspondent qu’à une idée.

Enfin, elle conforte le « reverse engineering » lorsqu’il concerne la conception d’un programme concurrent par des moyens de développement autonomes. Le nouveau logiciel doit veiller à bannir tout accès à des informations privilégiées relatives au programme originel. Et ses créateurs doivent éviter tout débauchage de personnel du concepteur du logiciel source. Si ces deux conditions sont réunies, le « reverse engineering » est autorisé. Il existe toutefois des limites à cette démarche. A commencer par le droit des brevets, dans la mesure où certains éléments de programmation constituent des « solutions techniques à un problème technique ». A ce titre, ils pourraient être brevetables en Europe comme aux Etats-Unis, sous réserve des critères classiques de nouveauté, activité inventive et description suffisante.

Une décision prise suite à une procédure anglaise

La Cour de justice a été amenée à se prononcer sur ce point suite à une question préjudicielle posée par la High Court of Justice (instance judiciaire anglaise appelée à traiter les cas les plus importants), après avoir été saisie d’une action en contrefaçon introduite par SAS Institute Inc contre World Programming Ltd (WPL). L’objectif était de préciser l’objet et l’étendue de la protection juridique conférée aux programmes informatique par la Directive européenne 91/250/CEE.

SAS Institute a développé un ensemble intégré de logiciels qui permet aux utilisateurs d’effectuer des travaux de traitement et d’analyse de données. La société estimait que WPL, en développant une solution concurrente proposant les mêmes fonctionnalités et permettant d’exécuter des scripts écrits dans le langage SAS, avait violé ses droits d’auteur sur les programmes d’ordinateur.

La Cour de justice a tranché la question en estimant que, dans le contexte en question, il était indifférent que le programme développé par WPL ait été conçu pour émuler aussi étroitement que possible les fonctionnalités des composants SAS. En effet, WPL n’avait pas accédé au code source ni au code objet relatif au langage de programmation. De plus, il n’avait pas créé, à l’aide de ces codes, des éléments similaires dans son programme. En conséquence de quoi, la Cour de juste estime que WPL n’a pas porté atteinte au droit d’auteur de SAS Institute en vertu de la Directive 91/250/CEE.

Dès lors les entreprises utilisatrices de la solution WPL sont confortées dans leur choix de ce logiciel alternatif au produit développé par SAS Institute. De son côté, cette dernière ainsi que les éditeurs de logiciels concevant des produits similaires pourraient également réfléchir sur d’autres modes de protection juridique (par exemple le brevet quand les conditions sont réunies au regard de leur législation nationale).

Billet écrit en collaboration avec Pierre Breesé, Fidal innovation, et Sahra Hagani, avocate au cabinet Fida.

Philippe Debry

Philippe Debry

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