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L’homme collaboratif, un souhait irréalisable ?

Par La rédaction, publié le 13 mars 2013

La plupart des projets de réseaux sociaux d’entreprise ont du mal à convaincre les utilisateurs. Leur réussite passe nécessairement par un lien fort avec des objectifs et des gains métiers immédiats.

L’apport bénéfique des réseaux sociaux est une évidence pour nos contemporains. Les succès mondiaux et fulgurants du téléphone portable, puis de Facebook, Twitter, Instagram et autres Google+ ont amplement démontré que l’être humain aspirait de tout son être à une communication permanente avec ses semblables. Et il aspire non seulement à communiquer, mais aussi à aider son prochain. Des expériences récentes ont montré que l’enfant est doté d’un sens de l’altruisme dès l’âge de 15 mois, et peut-être plus tôt encore. Ainsi, contrairement à l’adage latin « homo homini lupus est » (L’Homme est un loup pour l’Homme), l’Homme serait naturellement bon pour l’Homme, et disposé à donner ou à partager.

Dans ces conditions, il semble évident que la mise en place de réseaux de communication au sein des entreprises conduise naturellement à leur adoption, et en particulier dans le cadre de comportements collaboratifs. Cependant, ce n’est généralement pas ce qui est observé, à tel point que certaines entreprises se demandent comment forcer leurs collaborateurs à passer du temps sur ces merveilleux outils mis à leur disposition. Utiliser la coercition pour imposer le volontariat, voilà qui est nouveau… Et ce manque d’enthousiasme pour les outils collaboratifs génériques est en fait la règle en entreprise. Certains grands ténors en charge de telles initiatives ont tout intérêt à clamer leur succès, mais la réalité vécue est tout autre : les initiatives s’essoufflent après dix-huit mois, les forums de discussion sont déserts, les wikis peinent à exister.

Pourquoi est-ce que les réseaux sociaux fonctionnent dans le grand public et pas dans le monde professionnel ?

Est-ce que le travail rend l’homme méchant et associable ?

Pour comprendre le problème, il est important de revenir aux fondamentaux. Tout d’abord, le réseau social d’entreprise n’est malheureusement envisagé le plus souvent que comme un simple outil, et pas comme une démarche en soi. C’est une aide pour favoriser certains types de communication, et celle-ci ne sera utilisée que dans la mesure où elle répond à un besoin perçu, et que si son usage permet d’obtenir immédiatement des bienfaits.

En ce sens, le réseau social grand public est significativement différent du réseau social d’entreprise.

Avant d’être des outils de collaboration, Facebook et Twitter servent à l’internaute à proclamer son existence à la face du monde. « Twitter, c’est envoyer un message à des gens que je ne connais pas, et potentiellement au monde entier ». « Facebook, c’est avoir une présence sur le web sans rien connaître à l’informatique, et me montrer tel que je voudrais être ». On appelle cela de l’édition à compte d’auteur, ou en anglais, plus explicitement, du vanity publishing. Cette velléité à exister, loin d’être collaborative, peut d’ailleurs s’exprimer par des comportements individualistes et nuisibles. On pense aux fameux « trolls » qui sillonnent les forums en répandant leur haine nauséabonde, ou aux « grandes gueules » qui envahissent les réseaux sociaux par des contributions nombreuses et à très faible valeur ajoutée. Il n’y a donc pas que des gentils sur les réseaux sociaux grand public.

En entreprise, ces comportements existent toujours mais sont largement tempérés parce qu’une exposition forte comporte des risques tout aussi forts…

En entreprise, on doit s’appuyer sur un autre moteur : celui de l’altruisme canalisé sur des sujets métier.

A quoi sert, dès lors, un réseau social d’entreprise ? A aider les membres d’une communauté à atteindre mieux et collectivement leurs objectifs. Le réseau n’existe et ne dure dans le temps que s’il est porteur de sens, à titre individuel autant qu’à titre collectif.

Lors de mes douze ans d’expérience dans ce domaine, j’ai réellement constaté que les réseaux sociaux qui se développent sont d’abord ceux qui sont associés à des objectifs métier. Ils répondent alors à un véritable besoin, sont pérennes et se développent. Ils répondent à un objectif fondamental, compléter l’information descendante en provenance des dirigeants du siège de l’entreprise, par deux nouveaux flux : du terrain vers le siège pour remonter des suggestions vers le haut de la pyramide, et du terrain vers le terrain, ou field to field, qui correspond à des échanges d’expérience au sein d’une communauté métier. Ces flux ne sont pas nouveaux, ils préexistent toujours sous forme larvée, mais leur fournir un canal officiel d’expression en multiplie l’efficacité et l’impact.

Quels sont les bons modèles à suivre dans ce cas-là ? Beaucoup plus que Facebook, les exemples intéressants se trouvent chez Commentcamarche.net pour l’échange d’expérience, et dans les initiatives récentes de Dell,Starbucks, Auchan, Lego ou BMW pour la remontée de suggestions.

Quels sont les facteurs clés de succès pour observer des comportements collaboratifs au travail ?

A mon sens, pour réussir un projet collaboratif en entreprise, il faut veiller à respecter plus particulièrement cinq consignes :

1. Placer clairement l’outil au service d’un objectif commun : un objectif métier dans le cas d’une communauté professionnelle ;

2. Atteindre une taille critique : au moins 500 participants pour que les moins timides lancent le mouvement et démontrent la valeur des premiers usages ;

3. Rythmer l’animation : publier des actualités, de la veille métier, des exemples d’idées retenues et mises en œuvre, et lancer régulièrement des appels à contributions sur des sujets d’intérêt commun ;

4. Construire un système de reconnaissance symbolique qui valorise l’altruisme, avec une communication adaptée ;

5. Traiter avec soin les cas de concurrence interne qui pourraient gêner la mise en place d’échanges d’expérience.

Ce n’est qu’en respectant ces conditions que les entreprises observent une montée en puissance progressive des usages. Les effets sont d’autant plus probants que l’organisation bénéficie d’un réseau dispersé de gens qui font le même métier, et que l’organisation a été soumise pendant longtemps à un régime « autoritaire » où la voix du terrain était peu ou pas écoutée. Pourquoi vos collaborateurs ne viennent-ils pas naturellement exposer leurs idées ? Parce que vous ne le leur avez jamais demandé.

Marc Devillard

Marc Devillard

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