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Michelin optimise sa supply chain grâce au jumeau numérique

Par Marie Varandat, publié le 31 janvier 2022

Avec une chaîne d’approvisionnement qui se complexifie, le leader mondial du pneu cherche dans les solutions de jumeau numérique une nouvelle approche pour parvenir à la solution la plus économique, tout en tenant compte d’une multitude de paramètres et de contraintes.

Fabriquer en Europe et exporter en Chine ? Ou investir dans une usine en Chine pour réduire les coûts de transport ? En soi, l’équation peut paraître simple à résoudre, mais on n’investit pas impunément plus d’un milliard d’euros dans la construction d’un site de production sans avoir étudié tous les facteurs qui entrent en ligne de compte dans une chaîne d’approvisionnement.

Et chez Michelin, ils sont non seulement nombreux, mais également très fluctuants ainsi que l’explique Thibaut d’Hérouville, VP Group Industrial Supply Chain de Michelin : « Quand la Golf est sortie, nous avions deux tailles différentes de pneus. Aujourd’hui, nous fabriquons des pneus en 18 dimensions différentes sur ce même véhicule avec des gammes qui évoluent en moyenne tous les quatre ans, contre dix ans auparavant. »

THIBAUT D’HÉROUVILLE, VP Group Industrial Supply Chain de Michelin : « Sans collaboration étroite entre les data scientists qui savent modéliser et les experts métier qui connaissent les contraintes et savent les hiérarchiser, un projet "jumeau numérique" n’a aucune chance d’aboutir »
THIBAUT D’HÉROUVILLE,
VP Group Industrial Supply Chain de Michelin
« Sans collaboration étroite entre les data scientists qui savent modéliser et les experts métier qui connaissent les contraintes et savent les hiérarchiser, ce type de projet n’a aucune chance d’aboutir »

Avec 120 sites industriels et 150 sites de distribution majeurs, la chaîne logistique de Michelin a considérablement gagné en complexité ces dernières années. L’équation à résoudre est d’autant plus complexe que le niveau d’exigence sur les matières premières de Michelin ne lui permet pas toujours de se fournir au plus près. « Aux coûts d’approvisionnements intercontinentaux, il faut encore ajouter le coût de la tonne de CO2, du développement ou encore le fait que toutes nos usines ne savent pas faire les mêmes pneus, précise Thibaut d’Hérouville. Nous avons une dizaine de paramètres absolument clés à prendre en compte pour parvenir au meilleur équilibre. Effectué tous les ans pour notre organisation intercontinentale, le calcul d’optimisation de notre supply chain revêt un enjeu très significatif en termes de décisions d’investissements sur les sites de fabrication, sur notre politique de développement durable, sur nos coûts logistiques, sur la qualité de service, etc. Avec la pandémie et la crise du transport maritime, la question prend encore une autre dimension et le cerveau humain a ses limites. » Excel aussi ! Si des tableaux suffisaient jusqu’à maintenant pour effectuer le point annuel sur le sourcing stratégique, la complexité croissante liée à la variabilité des marchés et à la multiplication des références a poussé Michelin à faire un réel bond technologique vers la simulation à l’aide de jumeaux numériques.

Un jumeau numérique pour modéliser et simuler

Le fabricant de pneus vient en effet de tester la solution de Cosmo Tech, start-up lyonnaise spécialisée dans les solutions logicielles en mode SaaS permettant de modéliser et simuler des flux complexes, des niveaux de stocks, des fluctuations de la demande… et ainsi permettre aux entreprises de créer des jumeaux numériques pour évaluer en temps réel l’impact d’un changement de paramètre par exemple. Choisie pour la richesse de ses algorithmes prêts à l’emploi, la solution a nécessité un an et demi environ de mise en œuvre. Dans un premier temps, Michelin a modélisé tous ses flux vers la Chine, cherchant à savoir dans quels cas une fabrication locale serait plus avantageuse. Partant du principe que la Chine est un des marchés en plus forte croissance, ce cas d’étude spécifique couvre la fabrication d’une dizaine de millions de pneus par an.

Data scientists et experts métier au charbon

Michelin est reparti de son existant sous Excel en l’enrichissant de nouveaux acteurs. Pour modéliser les flux et hiérarchiser les contraintes, la société a associé ses meilleurs experts métier aux data scientists de Cosmo Tech, ces derniers étant chargés de personnaliser les algorithmes en fonction des spécificités de la chaîne logistique de Michelin. « Nous avons un nombre très important de contraintes industrielles à prendre en compte, mais certaines impactent plus que d’autres l’optimisation de la chaîne logistique, souligne le VP Group Industrial Supply Chain de Michelin. C’est pourquoi la réussite de ce genre de projet repose à la fois sur des data scientists qui savent modéliser, et sur des experts métier capables de lister les contraintes, mais surtout de les hiérarchiser en fonction de leur impact, de notre stratégie, etc. Et c’est de l’interaction entre les deux profils que naît la solution. Leur collaboration est vraiment fondamentale, faute de quoi ce type de projet n’aboutit pas. »

Michelin a procédé par itérations. Au total, le groupe a réalisé 80  000 simulations de projection dans le futur, faisant à chaque fois bouger des critères afin de parvenir à la solution optimale, autrement dit la plus rentable. Grâce à ce jumeau numérique, il a établi un plan de « strategic sourcing » pour les cinq prochaines années ; ce qui devrait lui permettre de réduire ses coûts logistiques de dix millions d’euros par an sur le périmètre étudié.

Fort logiquement, le groupe s’oriente vers plus de fabrication en Chine, mais pas forcément sur les gammes de pneus qui avaient été identifiées par ses experts. Au passage, le jumeau a également fait ressortir l’importance de nouveaux critères à prendre en compte dans le calcul. « Nos experts les connaissaient, mais ils avaient sous-estimé leur poids et leur importance dans l’équation pour parvenir au meilleur équilibre », précise Thibaut d’Hérouville.

Jumeau numérique, l’avantage concurrentiel ultime ?

Reste que malgré ce résultat très concluant, toute la question pour Michelin aujourd’hui est de savoir à quel point le groupe doit investir dans ce type d’outils. « Nous avions déjà testé des solutions de simulation auparavant, et l’échec avait été total. Aujourd’hui, nous disposons d’une puissance de calcul et d’une richesse d’algorithmes qui sont sans commune mesure et qui permettent d’obtenir de vrais résultats. Il n’en reste pas moins que l’outil capable de modéliser tous les flux, ne serait-ce que de toute une chaîne logistique, n’existe pas. Partant de ce principe, faut-il investir en interne et apprendre à maîtriser une technologie ou au contraire multiplier les opérations one-shot sur des solutions externalisées en fonction des besoins et en s’appuyant sur les compétences techniques de partenaires. Nous sommes encore en phase d’étude du marché et notre stratégie n’est pas arrêtée. Mais le fait est, qu’à plus ou moins longue échéance, ce type de solution deviendra probablement indispensable et constituera un avantage concurrentiel », conclut Thibaut d’Hérouville.

L’ENTREPRISE

ACTIVITÉ : Fabrication de pneus
EFFECTIF :124  000 collaborateurs
CA : 20  Mds € (2020)

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