Le repli des embauches de cadres en informatique marque un tournant dans un marché historiquement en tension, désormais freiné par les incertitudes économiques et géopolitiques.

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Net repli des embauches de cadres dans l’informatique

Par La rédaction, publié le 28 mai 2025

Après des années d’euphorie, l’informatique encaisse le choc : repli des embauches, guerre des talents ultra-spécialisés, et jeunes diplômés laissés sur le bord. Le marché se réinvente dans la douleur, entre incertitude économique et poussée de l’intelligence artificielle.

C’est officiel, le marché de l’emploi s’est retourné. En 2024, les entreprises françaises ont recruté 303 400 cadres, soit 8 % de moins que l’année précédente. Cette tendance s’inscrit dans un contexte européen plus large où plusieurs pays connaissent également un ralentissement des embauches qualifiées.
« Cette baisse est liée en particulier à la contraction des investissements des entreprises, une première depuis 2009, hors crise sanitaire », note l’Apec dans son étude annuelle. Les incertitudes géopolitiques, l’inflation persistante et la hausse des taux d’intérêt ont créé un climat d’attentisme généralisé qui touche l’ensemble des économies européennes.

La mauvaise tendance française traduit en effet une situation tendue partout en Europe. En Allemagne, premier partenaire économique de la France, les recrutements de profils hautement qualifiés ont aussi chuté de 12 % sur la même période, tandis que l’Espagne et l’Italie enregistrent respectivement des baisses de 6 % et 9 %.

Un secteur informatique particulièrement touché

Le coup d’arrêt est particulièrement sensible dans le secteur des activités informatiques et télécommunications qui, avec 59 340 recrutements, enregistre un repli de 18 %. Cette contraction contraste fortement avec la période 2020-2023 où le secteur avait connu une croissance exceptionnelle, portée par l’accélération de la transformation digitale post-Covid. À titre de comparaison, d’autres secteurs résistent mieux : l’industrie manufacturière ne recule que de 5 %, tandis que les services financiers limitent la baisse à 3 %.

La baisse devrait se poursuivre cette année encore dans le secteur informatique. Avec 55 600 recrutements prévus, les cadres informaticiens resteraient néanmoins les profils les plus recherchés par les employeurs. Cette apparente contradiction s’explique par une mutation profonde des besoins : si les recrutements diminuent en volume, les exigences en termes de compétences s’intensifient. Les profils recherchés sont désormais ultra-spécialisés, notamment dans l’intelligence artificielle, le cloud computing et la cybersécurité.

Une concentration persistante sur trois fonctions clés

À eux trois, les métiers de l’informatique, du commercial-marketing et des études et de la R&D concentreront, comme les années précédentes, plus de la moitié des embauches de cadres, en l’occurrence 54 % en 2025. Cette concentration s’observe également au niveau européen, où ces trois fonctions représentent 58 % des recrutements de cadres selon les dernières données d’Eurostat.

Au sein de la fonction informatique, on observe une polarisation accrue des recrutements. Les développeurs full-stack, les architectes cloud et les experts en IA générative captent près de 40 % des offres, tandis que les profils plus généralistes peinent à trouver des opportunités. Cette tendance est encore plus marquée dans les hubs technologiques européens comme Dublin, Amsterdam ou Berlin, où la guerre des talents pour ces profils spécialisés maintient les salaires à des niveaux élevés malgré le ralentissement global.

Un contexte historique préoccupant

C’est la première fois depuis 2009, hors crise Covid, que la fonction informatique subit une telle contraction. « L’attentisme lié aux aléas politiques et budgétaires et la chute de l’investissement qui s’en est suivie ont particulièrement impacté les activités informatiques », observe l’Apec.

Les grandes entreprises technologiques américaines présentes en Europe ont également contribué à cette tendance avec des vagues de licenciements massifs : Meta, Amazon, Google et Microsoft ont supprimé plus de 50 000 postes en Europe entre 2023 et 2024.

Parallèlement, le marché français fait face à des défis structurels spécifiques. La pénurie de talents dans certains domaines coexiste paradoxalement avec un chômage croissant des profils juniors. Le taux de chômage des jeunes diplômés en informatique a ainsi doublé en 2024, passant de 3,5 % à 7 %, une situation inédite dans un secteur traditionnellement en tension.

Des perspectives contrastées pour 2025

Dans son baromètre du second trimestre 2025, l’APEC se montre assez pessimiste. Elle constate que « le climat conjoncturel reste peu porteur pour l’emploi cadre avec des niveaux de confiance en baisse côté entreprises comme côté cadres ». La confiance des entreprises dans l’évolution de leur activité continue à s’éroder (67 % en mars 2025 ; -5 pts sur un an et -12 pts sur deux ans).

Surtout l’APEC constate que « les intentions de recrutement ne remontent pas, ce qui pourrait contrarier les projets de mobilité des cadres, en particulier ceux des plus jeunes ». Chiffre assez significatif de l’inquiétude qui commence à gagner les salariés cadres, la part des cadres anticipant des difficultés à retrouver un emploi équivalent à celui qu’ils occupent actuellement augmente (56 % ; +4 pts sur un an), en particulier chez les cadres de moins de 35 ans (42 % ; +9 pts).

L’association se montre néanmoins relativement confiante quant au secteur de la Tech et de l’informatique : « Les nombreux défis liés à la transformation numérique, la cybersécurité, ou encore la montée en puissance de l’intelligence artificielle pourraient redonner du souffle à cette fonction clef. » Les investissements européens dans l’IA, notamment à travers le plan “AI Act” de l’Union européenne doté de 20 milliards d’euros, devraient créer de nouvelles opportunités d’emploi hautement qualifié.

Les experts prévoient une reprise progressive mais sélective. Les entreprises privilégieront les profils capables de maîtriser plusieurs technologies et d’accompagner la transformation business. La demande pour les compétences en IA devrait croître de 45 % en 2025 selon une étude de LinkedIn, tandis que les besoins en cybersécurité augmenteraient de 35 %. En revanche, les métiers traditionnels du développement web et de la maintenance informatique continueront de subir une pression à la baisse, accélérée par l’automatisation et les outils d’IA générative.

Cette mutation profonde du marché de l’emploi informatique interroge sur l’adaptation nécessaire des formations et des parcours professionnels. Les écoles d’ingénieurs et universités européennes revoient leurs programmes pour intégrer davantage l’IA, la data science et la cybersécurité, mais le décalage avec les besoins immédiats du marché reste important. La France, qui forme environ 40 000 ingénieurs informatiques par an, devra relever ce défi pour maintenir sa compétitivité dans un contexte européen et mondial de plus en plus concurrentiel mais aussi de plus en plus inquiet des perspectives économiques.


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