RH
Quand les DSI s’ouvrent réellement à la diversité des profils
Par Xavier Biseul, publié le 15 avril 2024
Face à la pénurie structurelle de compétences dans le secteur du numérique, les DSI n’ont d’autre choix que d’élargir leur vivier au-delà du profil type de l’ingénieur diplômé doté de quelques années d’expérience. Elles tentent de féminiser leurs équipes et d’intégrer des profils atypiques. La preuve par l’exemple avec l’Urssaf, la SNCF, Veolia Eau et CNP Assurances.
La parenthèse Covid s’est définitivement refermée. Après une année 2022 euphorique pour les talents et un tassement engagé en 2023, le rapport de forces sur le marché de l’emploi s’est quelque peu rééquilibré. « En 2024, les candidats qui se disperseront dans une démarche opportuniste seront mal perçus par les entreprises, qui ne seront plus prêtes à tout pour recruter », avertit Robert Walters. Si les comportements mercenaires de certains candidats volatils devraient s’estomper, le marché de l’emploi de l’IT et du digital restera néanmoins tendu. Le cabinet de recrutement prévoit, sur ces métiers, une augmentation moyenne des rémunérations de 7 % en 2024 !
Confrontées à des difficultés de recrutement qu’elles jugent structurelles, notamment dans les métiers de la data ou de la cybersécurité, les DSI interrogées dans le cadre de cette enquête font feu de tout bois pour attirer et retenir les talents. Au-delà des dispositifs traditionnels – participation aux forums étudiants, programme de cooptation… –, elles ont engagé une vraie stratégie d’inclusion et de diversité. Si celle-ci s’inscrit dans la politique RSE de leur entreprise, il s’agit plus prosaïquement d’élargir leur bassin d’emploi en féminisant leurs équipes et en s’ouvrant tout autant aux autodidactes qu’aux personnes en situation de handicap.
Les employeurs créent eux-mêmes la pénurie
Cette ouverture des « chakras » n’est pas nouvelle, mais elle s’est renforcée ces derniers temps. Pour Emmanuel Stanislas, fondateur du cabinet de recrutement Clémentine, « les entreprises n’ont guère de choix que d’aller vers des populations moins sollicitées. » Selon lui, elles ont créé elles-mêmes la pénurie en jetant leur dévolu sur le même profil type. À savoir un diplômé Bac+5 d’une grande école, bénéficiant de 2 ans à 15 ans d’expérience, et vivant en Île-de-France où se concentrent 50 % des emplois du numérique.
Cédric Routaboul
Directeur général de Link Consulting
« Pour une DSI, la case freelance est un moyen de combler un poste laissé vacant faute de candidat. »
Son confrère à Toulouse, Cédric Routaboul, directeur général de Link Consulting, observe aussi cette obstination à recruter des clones. « Confrontées à la réalité du marché, après trois ou six mois de recherche vaine, les entreprises finissent par redéfinir leur scope et par faire l’impasse sur tel ou tel critère. »
Tous les profils ne bénéficient pas de façon homogène de cette ouverture. Pour nos chasseurs de têtes, l’intégration des personnes issues des minorités visibles n’a jamais été un sujet. « Heureusement, jamais aucun client n’a écarté un candidat sur ce motif », observe, soulagé, Emmanuel Stanislas. « Les femmes bénéficient, elles, d’un régime de faveur ». Employant moins de 30 % de collaboratrices dans leurs rangs, les entreprises se ruent sur les trop rares diplômées d’écoles d’ingénieurs, leur donnant statistiquement plus de chances d’être retenues.
Yoël Tordjman
CEO et cofondateur de Datascientest
« Dans les métiers de l’audit et de la gouvernance liés à la cybersécurité, des femmes qui ont des backgrounds en droit ou en sciences sociales excellent. »
Alors que la sous-représentation des femmes dans la cybersécurité est encore plus criante, Yoël Tordjman, CEO et cofondateur de l’organisme de formation Datascientest, mise sur les reconversions. « Dans les métiers de l’audit et de la gouvernance liés à la cybersécurité, des femmes qui ont des backgrounds en droit ou en sciences sociales excellent. Nous arrivons à avoir jusqu’à 60 à 70 % de femmes dans nos promotions. »
Une discrimination perdure, celle affectant les seniors
Pour Emmanuel Stanislas, la véritable discrimination concerne les seniors. « Le jeunisme a toujours cours dans la Tech. Il suffit de se rendre sur un site comme Welcome to the Jungle. Sur les photos de groupe, on voit une soixantaine de jeunes avec le même t-shirt floqué et quasiment jamais de cheveux poivre et sel. Les jeunes managers que je rencontre se posent, par ailleurs, des questions. J’ai 29 ans, est-ce qu’un expert de plus de cinquante ans va accepter mon autorité ? »
Point commun des stratégies d’inclusion : l’importance accordée à l’alternance
Autre sujet sensible : l’intégration des profils aux parcours atypiques. Mis en place par le gouvernement en 2015, la Grande École du Numérique a labellisé un grand nombre d’établissements de type « écoles de la seconde chance » comme Simplon.co, Wild Code School ou Le Wagon. Elles proposent des formations intensives (bootcamps) de quelques mois pour faire revenir à l’emploi des décrocheurs scolaires ou des demandeurs d’emploi de longue durée. Axé originellement sur les langages de développement, leur périmètre s’est progressivement étendu aux métiers de la data, de l’IA, de la blockchain ou encore de la cybersécurité.
Pour Emmanuel Stanislas, « l’enjeu n’est pas tant d’évaluer les capacités techniques de ces candidats – les tests en ligne font leur office – que leur aptitude à s’intégrer dans un collectif, à respecter un cadre de travail contraint. » Il prend l’exemple de 42. Dans cette école sans profs, cours ou horaires, les jeunes fâchés avec le système scolaire traditionnel peuvent, s’ils le souhaitent, travailler la nuit et dormir sur place. Pour éviter un rejet de greffe, il conseille de poser les règles du jeu en entretien. « C’est deux jours maximum en télétravail et vous devez rester joignable. »
Télétravail et freelancing, les acquis de la crise sanitaire
Le télétravail, justement, lui a permis d’élargir son terrain de chasse au-delà de la zone de chalandise traditionnelle d’un rayon maximum de 30 à 40 minutes de transport. « L’indicateur n’est plus le nombre de kilomètres, mais la proximité d’une gare TGV. Pas de problème qu’un candidat habite Chartres ou Lille, pour peu qu’il soit deux jours par semaine au bureau. »
Autre acquis de la crise Covid : une meilleure acceptation du freelancing. Pour Cédric Routaboul, la pratique s’est enracinée. « Une DSI intègre avant tout une personne experte dans un domaine, salariée ou non. L’idée reçue qui voudrait qu’un freelance puisse quitter un projet à tout moment ne tient pas. Il s’engage contractuellement, sa réputation est en jeu. Les mercenaires se font rapidement griller. »
Son cabinet, Link Consuting, présente l’originalité de placer des candidats en CDI, mais aussi des freelances pour « staffer » les équipes. « Un professionnel peut être salarié un jour et franchir le pas de l’indépendance un autre. Nous suivons les mêmes personnes, quel que soit leur statut du moment. Pour une DSI, la case freelance est un moyen de combler un poste laissé vacant faute de candidat, avec la possibilité de relancer la recherche dans quelques mois, ou de proposer un CDI à l’indépendant à l’issue de la mission. »
Répondre à la quête de sens au travail
À partir de ces grandes tendances, les DSI jouent sur leurs atouts propres, en commençant par leur marque employeur. « Les candidats ne postulent pas par hasard chez Veolia Eau, avance Stéphanie Quirino, responsable RH. Nos activités répondent à la quête de sens au travail des diplômés des générations Y et Z, particulièrement sensibles aux enjeux environnementaux. Les sécheresses de cet été ont rappelé l’importance des métiers de l’eau. » Avec l’initiative Veolia Cares, les collaborateurs du groupe peuvent aussi consacrer une journée par an à l’association de leur choix.
Jean-Baptiste Courouble
DSI de l’Urssaf Caisse Nationale
« Rejoindre l’Urssaf, c’est mettre ses compétences au service d’une belle cause : le financement de notre modèle social. »
DSI de l’Urssaf Caisse Nationale, Jean-Baptiste Courouble met, lui, en avant le rôle essentiel de l’organisme public dans la collecte et la redistribution des cotisations sociales. « Rejoindre l’Urssaf, c’est mettre ses compétences au service d’une belle cause : le financement de notre modèle social. » Tout comme Veolia Eau, entreprise labellisée numérique responsable, il rappelle aussi la contribution de sa DSI à la lutte contre le réchauffement climatique par « des actions concrètes et mesurables » de réduction de l’empreinte carbone de l’IT.
Pour assurer une intégration réussie de ses nouveaux collaborateurs, SNCF Connect & Tech a, de son côté, mis en place le programme « I Feel Good » axé sur le bien-être au travail. « Notre politique de télétravail flexible jusqu’à trois jours par semaine, notre charte de parentalité, et notre culture du partage et du collectif sont autant d’éléments qui contribuent à notre engagement envers le bien-être de nos collaborateurs », avance Noëmie Loiseau, sa DRH.
Noëmie Loiseau
DRH chez SNCF Connect & Tech
« Pour assurer une intégration réussie de nos nouveaux collaborateurs, nous avons mis en place le programme “I Feel Good” axé sur le bien-être au travail. »
À la DSI de Veolia Eau, les recrues se voient affecter, durant cette phase d’onboarding, un parrain qui n’est pas leur manager ou leur collègue de bureau. « Ce “buddy” vient d’une autre direction, ce qui permet au nouvel arrivant de mieux comprendre le fonctionnement global de l’entreprise », explique Vincent Lauriat, DSI adjoint et CTO.
Vincent Lauriat
DSI adjoint et CTO de Veolia Eau
« À la DSI de Veolia Eau, les recrues se voient affecter un parrain qui n’est pas leur manager ou leur collègue de bureau. »
Il loue aussi la qualité de l’environnement de travail. « À Saint-Maurice, à quelques stations de RER de la gare de Lyon, nous sommes à la fois en ville et dans un cadre verdoyant, avec cafés et restaurants à proximité. Le site comprend un rooftop pour se réunir, et des potagers. » Pour favoriser la mobilité verte, les collaborateurs ont accès à des vélos électriques et des bornes de recharge, et voient leur passe Navigo remboursé à 100 %.
De jeunes scientifiques reconverties dans l’IT
En termes de diversité, toutes les DSI interrogées ont engagé des actions de féminisation de leurs équipes. SNCF Connect & Tech mène « une politique volontariste d’intégration des étudiantes » et son comité de direction compte plus de 50 % de femmes parmi ses membres.
La Direction de l’expérience client, des services numériques et de la donnée (DECSND) de CNP Assurances emploie, elle, environ 30 % de femmes. « Ce n’est pas un taux atypique dans le numérique, juge Thierry Desvignes, responsable de la DSI de cette entité. Il reflète en amont la proportion de jeunes femmes dans les cursus scientifiques et les écoles d’ingénieurs. »
Pour autant, la compagnie d’assurance souhaite davantage féminiser son bassin d’emploi et a notamment noué un partenariat avec « Elles bougent ». Cette association organise régulièrement des forums de recrutement permettant de rencontrer des jeunes diplômées en sciences qui peuvent être des candidates potentielles. L’assureur recrute des jeunes diplômées en biologie, en chimie, en biotechnologie ou avec un profil d’ingénieur généraliste et qui souhaitent se reconvertir dans l’IT et le numérique.
« Nous avons élaboré des parcours de 12 à 18 mois vers des postes d’intégratrice d’application, de business analyst, voire d’ingénieure système. Alliant théorie et pratique, la formation est accompagnée par un tuteur, précise Catherine Garcin, partenaire RH au sein du service Parcours professionnels et recrutements de CNP Assurances. Dans la filière mainframe qui était jusqu’alors 100 % masculine, nous avons réussi à créer des équipes mixtes. »
Catherine Garcin
Partenaire RH CNP Assurances
« Dans la filière mainframe qui était jusqu’alors 100 % masculine, nous avons réussi à créer des équipes mixtes. »
CNP Assurances joue aussi la carte de la mobilité interne. « Les métiers de la relation client constituent un vivier et de nombreuses collaboratrices peuvent évoluer, avec un accompagnement formation conséquent, vers les métiers de l’IT ou de l’expérience client comme celui de business analyst ou de knowledge manager », complète Sébastien Frapé, responsable Parcours professionnels et recrutements. Des collaboratrices de CNP Assurances se sont aussi investies dans les rôles de marraines (« role models ») pour promouvoir les métiers du numérique dans les lycées et les grandes écoles d’ingénieurs.
Sébastien Frapé
Responsable Parcours professionnels et recrutements de CNP Assurances
« Les métiers de la relation client sont un vivier, et de nombreuses collaboratrices peuvent évoluer vers les métiers de l’IT ou del’expérience client. »
L’Urssaf collabore, elle, avec le collectif « Bouge ton Groupe » qui propose des formations sur mesure pour accélérer l’égalité femmes-hommes en entreprise. « Depuis le 1er janvier, nos collaboratrices bénéficient d’un diagnostic personnalisé, précise Jean-Baptiste Courouble. Nous essayons d’avoir à leur intention une démarche proactive en termes de recrutement et d’évolution de carrière. »
L’alternance, c’est tendance
Autre point commun dans les stratégies d’inclusion : l’importance accordée à l’alternance. La DSI de Veolia Eau accueille de 20 à 30 alternants par an, de niveau BTS à Master 2. « L’alternance peut servir de préembauche et 10 % environ des alternants signent un CDI chez nous », calcule Stéphanie Quirino. Cette année, SNCF Connect & Tech ouvre, elle, une cinquantaine de postes accessibles en alternance. Pour la dixième année consécutive, la société a obtenu le label Happy Trainees, suite à l’enquête de satisfaction menée auprès des stagiaires et alternants par ChooseMyCompany.
Stéphanie Quirino
RRH de Veolia Eau
« Les candidats ne postulent pas par hasard chez Veolia Eau. Nos activités répondent à la quête de sens au travail des diplômés des générations Y et Z. »
Aussi labellisée Happy Trainees, CNP Assurances accueille par ailleurs, deux fois par an, des élèves de 3e issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). « Durant une semaine, nous leur faisons découvrir l’ensemble de nos métiers, complète Catherine Garcin. L’objectif est de parvenir à l’insertion professionnelle de 200 jeunes d’ici 2025. »
Pour la DSI de l’Urssaf, l’alternance permet d’intégrer des diplômés aux parcours de formation différents des écoles d’ingénieurs traditionnelles. Elle envisage des partenariats avec des écoles qui forment des personnes d’origines professionnelles diverses aux métiers du numérique : c’est le cas par exemple de Matrice, fondée par François-Xavier Petit, un ancien dirigeant de 42.
Le combat pour l’insertion des personnes en situation de handicap est, lui, beaucoup plus ancien. En 2022, elles représentaient 7 % du personnel de l’Urssaf. Elles bénéficient de référents handicap en local, de la possibilité de télétravailler jusqu’à quatre jours par semaine contre trois pour le reste de l’effectif et, le cas échéant, d’un aménagement de leur poste de travail. Avec un taux d’emploi de personnes en situation de handicap de 8,9 % en 2022, CNP Assurances porte, elle, ce sujet depuis plus de 20 ans.
Enfin, SNCF Connect & Tech accompagne les collaborateurs souhaitant être reconnus en qualité de travailleur handicapé grâce à un dispositif dédié en partenariat avec le cabinet de conseil spécialisé Aktisea.
Ces quatre DSI prévoient plus de 600 recrutements en 2024

800 demandeurs d’emploi formés au numérique
Fin janvier, Datascientest, institut de formation du groupe Omnes Education, et France Travail Île-de-France ont signé une convention ambitieuse. Elle vise à former 800 personnes éloignées de l’emploi aux métiers de la data, du cloud ou de la cybersécurité. Parmi les publics prioritaires figurent les décrocheurs scolaires de moins de 26 ans, les demandeurs d’emploi de 26 à 54 ans sans diplôme, les demandeurs d’emploi de plus de 55 ans, les allocataires du RSA et les demandeurs d’emploi en situation de handicap.
L’objectif est un taux de retour à l’emploi d’au moins 85 % après une formation intensive de trois mois. Dans le cadre de la Préparation Opérationnelle à l’Emploi Individuelle (POEI), France Travail finance la formation sous réserve que l’employeur s’engage à embaucher le demandeur d’emploi à l’issue de celle-ci. Les parcours de formation sont individualisés et adaptés aux besoins spécifiques des acteurs du numérique. Parmi les entreprises partenaires de Datascientest, on trouve des ESN comme Alten ou CGI, mais aussi des DSI comme celles de Thales et de Stellantis.
Urssaf : une campagne média pour doper sa marque employeur

Du 15 janvier au 18 février, l’Urssaf a lancé une campagne inédite dans les médias régionaux, la presse digitale spécialisée IT et les réseaux sociaux. Objectif : prendre le contre-pied des potentielles idées reçues sur sa DSI qui pourrait paraître administrative et poussiéreuse.
« La réalité est inverse, avance Jean-Baptiste Courouble, DSI de l’Urssaf Caisse Nationale. Loin d’une informatique “à la papa”, nous intervenons sur toutes les grandes technologies du moment, dans les domaines du cloud, du big data, de l’IA générative ou du développement full-stack. »
Au-delà de cette campagne média, la DSI diffuse sur LinkedIn les témoignages de ses collaborateurs qui font la promotion de la richesse de ses métiers. Poursuivant sa transformation numérique tout en réinternalisant une partie des fonctions IT pour « renforcer sa souveraineté », elle prévoit 550 recrutements d’ici 2027, dont 250 en 2024.
Jean-Baptiste Courouble note, ces dernières années, un turnover plus important, « même s’il est sans commune mesure avec celui d’une ESN. Par le passé, un informaticien qui entrait dans la DSI de l’Urssaf, c’était pour faire carrière. Le paradigme a changé. Nous disons aux jeunes diplômés : “Venez quatre ou cinq ans chez nous pour vous enrichir. Si vous restez, tant mieux pour nous. Sinon, vous aurez sur votre CV une ligne en béton”. »
À LIRE AUSSI :
