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Véronique Saubot (Simplon) : “La formation doit rester ancrée dans le réel”

Par Thierry Derouet, publié le 05 septembre 2025

Formée aux réalités du privé mais animée par une mission sociale, Véronique Saubot dirige Simplon comme on mène une campagne : avec des priorités nettes, un discours sans détour et l’énergie d’un coureur de fond. Derrière ses mots, une conviction : la formation n’est pas un service annexe, mais une arme stratégique pour transformer les trajectoires individuelles et renforcer la compétitivité du pays.

Paris, un matin pâle près de Saint‑Lazare. La ville étire ses épaules, les tasses tintent, la vapeur de café flotte encore. Véronique Saubot est déjà là, installée avec le calme de celles et ceux qui savent où ils vont. Un sourire, une poignée de main franche, et d’entrée une mise au point qui dit beaucoup de sa manière : « On ne nous appelle pas l’école de la deuxième chance, mais on pourrait. Mais c’est une forme de deuxième chance. Parce qu’il y a un label, l’école de la deuxième chance. Je ne veux juste pas de confusion. » Le ton est donné : précis, direct, sans vernis inutile.

Trois ans qu’elle a pris les rênes de Simplon, ce réseau d’écoles solidaires du numérique qui forme aujourd’hui environ 10 000 personnes par an. Les chiffres comptent, mais ici ils racontent des trajectoires réactivées : 95 % de réussite aux diplômes, et 40 à 45 % d’apprenants bac ou infrabac. « On accompagne des jeunes, des demandeurs d’emploi, des seniors. Certains arrivent sans diplôme, d’autres sortent de l’université. Ce qui nous intéresse, ce n’est pas ce qu’ils sont sur le papier, c’est ce qu’ils peuvent devenir », dit-elle. Puis une phrase, tombée comme un constat froid : « En France, quand on n’a pas de statut social ou administratif, on n’est personne. » Elle évoque ces NEETs invisibles qui filent entre les mailles, « disparus des radars pendant quatre ans. On les retrouve, on sent un peu de motivation, et on les remet en selle. »

Chez Simplon, la progression ressemble à un escalier dont les marches sont claires. On entre par technicien d’assistance informatique, on peut poursuivre vers technicien systèmes et réseaux, puis administrateur, jusqu’à des certifications bac+5, dans des métiers dont les data centers et l’infogérance auront cruellement besoin. L’idée n’est pas de cocher des cases, mais de faire monter une compétence, une confiance, une employabilité. « On a des profils très variés : des jeunes sans diplôme, des seniors en reconversion, des enseignants ou des universitaires qui changent de voie. Quelques-uns entrent à la première marche et sortent bac+4. »

Former ne suffit pas, il faut insérer. C’est là que le franc‑parler reprend le dessus : « Essayez‑le avant de dire qu’il n’est pas bankable. Donnez‑lui sa chance. » Simplon ne s’arrête pas au diplôme ; l’équipe accompagne vers le stage, l’alternance, l’emploi. Parfois, il faut se battre pour imposer une candidature face à une école d’ingénieurs qui rassure par habitude plus que par preuve. « Les entreprises nous disent : “Regardez, votre profil n’est pas très bankable.” Je leur réponds : essayez‑le. »

Sa combativité a des racines industrielles. Avant Simplon, il y a eu Andersen, surtout Valeo : la rigueur des process, le pilotage à froid, l’obsession de l’exécution. « Valeo, c’est très formateur, très exigeant. » Viendront ensuite la French Tech, l’accompagnement de start‑up, des rapports sur la gouvernance, et un fil associatif constant avec notamment Force Femmes. Quand elle arrive chez Simplon, « dix ans de vie, 235 salariés. » Plus une start‑up… mais des réflexes de start‑up. Il fallait passer à l’échelle. »

La pédagogie, elle, ne s’enseigne pas à distance de la réalité. Simplon assume un présentiel solide, discrètement hybridé quand c’est pertinent. « Le tout distanciel, ça ne marche pas. Pas pour nos publics. Il faut être là, cadrer, encourager, vérifier. » Dès le premier jour, l’apprenant reçoit un brief professionnel : design d’un site pour une agence de tourisme, ossature d’un e‑commerce de cosmétiques, montage d’un poste et configuration réseau, support utilisateur, ticketing… « On apprend en faisant, en produisant un livrable réel, calé sur le métier. »

Cette pédagogie est instrumentée. Simplonline suit la progression sur une grille de 1 à 3 pour chaque compétence à acquérir. Pour 10 compétences, cela fait 30 points d’évaluation. » « On évalue aussi les soft skills : je sais m’exprimer en public, je sais travailler en groupe, je suis à l’heure… » L’étape suivante est déjà en chantier : injecter de l’IA pour personnaliser l’évaluation et l’entraînement. « Aujourd’hui, le découpage est fin, mais encore standardisé ; demain, il sera vraiment adapté à chaque parcours. »

Personnaliser pour insérer : soft skills + tech

Sur l’IA, elle refuse la fascination comme l’épouvantail. « Dans l’histoire de l’humanité, il n’y a pas de précédent : en moins de 18 mois, plus de 300 millions de personnes ont utilisé l’IA générative. » Puis elle ramène au terrain : « On ne fait pas de l’IA pour faire de l’IA. Il faut des use cases concrets, des données en quantité et en qualité, et il faut rassurer sur la cybersécurité. Beaucoup de DSI ont vu dans ces outils un cheval de Troie potentiel pour des cyberattaques. » Et sur le métier de développeur : « Non, les IAG ne vont pas remplacer les codeurs du jour au lendemain. Elles vont modifier le travail. Coder, ce n’est pas que taper du code : c’est comprendre,interfacer, architecturer. » Le vrai effet, selon elle, sera une montée des expertises et, transversalement, un besoin massif de formation. « 75 % des salariés estiment avoir besoin d’être formés. Et je commence par poser la question aux dirigeants : êtes‑vous vous‑mêmes formés ? »

Pour Véronique Saubot, parfois, il faut se battre pour imposer une candidature face à une école d’ingénieurs qui rassure par habitude plus que par preuve. « Les entreprises nous disent : “Regardez, votre profil n’est pas très bankable.” Je leur réponds : essayez‑le. »
Pour Véronique Saubot, parfois, il faut se battre pour imposer une candidature face à une école d’ingénieurs qui rassure par habitude plus que par preuve. « Les entreprises nous disent : “Regardez, votre profil n’est pas très bankable.” Je leur réponds : essayez‑le. »

Dans sa bouche, la justice sociale n’est pas un slogan, mais une ligne de conduite. « Former l’usine logicielle sans former l’atelier ne tient pas. Il faut aussi former les cols bleus du numérique. » Elle convoque un modèle qui l’inspire : « Chez les militaires, on passe 30 % du temps en formation académique, 30 % en opération, 30 % en état‑major. C’est une culture qu’il faudrait importer dans l’entreprise ; sinon, elles se sentiront dépassées. » La valeur se déplace, observe‑t‑elle, vers la gestion de projet, la littératie data, l’esprit d’analyse, la communication. « L’IA est binaire, mécanique ; les soft skills, c’est tout le contraire. Leur valeur va exploser. »

Reste le cadre autour, et il n’est pas simple à bouger. France Travail et l’écosystème public ? « Une grosse, grosse, grosse machine à déplacer. » La mobilité géographique est faible (« moins de 40 km en moyenne »), le silotage pèse, et les process d’achat regardent encore trop la com et pas assez l’efficacité. « Les institutionnels achètent mal. On voit des acteurs à 3 M€ de chiffre d’affaires casser les prix pour gagner des marchés à 40 M€. Sur le moment, ils prennent. Quelques années après, ils meurent. Et il faut reconstruire, via des redressements judiciaires. »

Elle ne jette pourtant pas le bébé avec l’eau du bain. L’alternance, encouragée et financée, « a changé des têtes : c’est vertueux, ça insère ». Mais il faut mieux acheter, dit‑elle, mieux évaluer, mieux cibler : sortir du moins‑disant, regarder le track‑record réel d’insertion, intégrer des indicateurs objectivés de montée en compétences (comme la grille 1 à 30 de Simplon Online), et valoriser les formats qui marchent (présentiel hybridé plutôt que distanciel intégral). La masse financière est là — environ 30 milliards d’euros pour la formation continue, « plutôt moins 20 % cette année » —, reste à la déployer utilement. »

L’avenir, elle le décline sans powerpoint. D’abord, pousser la personnalisation grâce à l’IA, notamment dans l’évaluation des soft skills : adapter la formation à chacun, plutôt qu’au moindre dénominateur. Ensuite, former les salariés déjà en poste : « Préserver l’emploi, c’est aussi former ceux qui y sont. » Enfin, accélérer en Afrique : au Maroc (Casablanca, Marrakech), où Simplon travaille avec le ministère du Numérique pour territorialiser son action ; en Afrique subsaharienne francophone et anglophone. « Des centaines de millions de jeunes à former. » Dans un secteur bousculé par la baisse des budgets, Simplon vise la consolidation : « Aujourd’hui, nous faisons 30 M€ de chiffre d’affaires. C’est une belle scale‑up. Pour peser, il faut agréger les meilleures pratiques et monter d’un cran. »

Le portrait ne serait pas complet sans ses équipes, dont elle parle avec une chaleur peu commune. « C’est une force collective incroyable. Des salariés engagés, dévoués. Je n’avais jamais vu ça. » Le clin d’œil militaire revient — son passage par l’IHEDN, l’ADN « Saint‑Cyr » de Frédéric Bardeau, cofondateur de Simplon. « Fred me taquine : tu es en train de faire une machine de guerre », dit‑elle en riant. La « machine », ici, n’écrase personne : elle organise, sécurise, transmet.

Il y a, enfin, une alarme qu’elle ne veut pas laisser se dissoudre dans les commentaires. Les femmes dans la tech. « Nous sommes toujours à moins de 20 %. » Elle pointe un accident de politique publique : la réforme du bac qui a décroché les mathématiques au lycée. « L’effet a été dévastateur : une cohorte entière, près de 800000 élèves, en a pâti. C’est corrigé, mais la pente existe. » Simplon multiplie les parcours et les rôles‑modèles ; il faudra du temps pour inverser la tendance.

Lorsque le café refroidit et que la rue se densifie, son débit n’a pas faibli. Elle résume sa conviction en une phrase posée : « Former, c’est anticiper. Chaque fois qu’on tarde, on creuse un retard plus cher à combler. » Ce qu’elle appelle « ancrer dans le réel » n’est ni une posture ni un slogan : c’est un choix de méthode. Des briefs concrets, un atelier qui ressemble au métier, une évaluation objectivée, une proximité assumée avec les entreprises, et la personnalisation comme horizon.

Elle sourit, se lève, file à son prochain rendez‑vous. En réalité, son sujet dépasse Simplon : il parle d’un pays qui ne gagnera pas cette bataille à coups de discours, mais avec des formations qui transforment vraiment. « Je dis les choses. Je pense qu’on gagne du temps. »


5 questions posées à …/…

1. Quelle est la qualité professionnelle que vous appréciez le plus ?

« L’efficacité. Je recherche en permanence un équilibre entre réflexion et résultat. »

2. Quel est le défaut que vous trouvez le plus rédhibitoire dans le milieu professionnel ?

« Il y a beaucoup de gens qui se complaisent dans une fausse complexité. Chaque problème doit trouver une solution en 20 minutes pourvu qu’on ait les bons éléments et les bonnes expertises réunies. Ce n’est pas de moi, c’est Churchill qui disait  »There is no problem so complex, nor crisis so grave, that it cannot be satisfactorily resolved within twenty minutes » ».

3. Quel est votre plus grand accomplissement professionnel ?

« Ma famille ! Tout en poursuivant une activité soutenue professionnellement. »

4. Quelle est votre plus grande ambition dans votre carrière ?

« Laisser une empreinte de transformation, avoir contribué à changer le monde et la vie de plusieurs personnes. »

5. Quel conseil donneriez-vous à un jeune professionnel entrant dans votre secteur ?

« Regarder les choses à l’aune de l’histoire du monde et de l’humanité permet de toujours garder du recul sur les choses sans perdre sa fraicheur. »


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