De nouveaux réseaux pour de nouveaux usages

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5G, satellites, IOT… Quand les réseaux réinventent les usages

Par Alain Clapaud, publié le 14 février 2023

Des réseaux satellites pour connecter terre, ciel et mer

Le déploiement de nouvelles constellations de satellites va abaisser le coût d’accès aux services spatiaux. Si l’accès internet haut débit devient possible sur toute la planète, les apports du «New Space» vont bien au-delà.

Lourdes à mettre en place, coûteuses à l’utilisation, et présentant une latence importante, les liaisons satellites ont plutôt mauvaise réputation auprès des entreprises. Pourtant le secteur spatial est en train de connaître sa révolution. C’est ce que l’on appelle le « New Space ».

« Pendant des années, le satellite a été exploité dans un mode “one to many”, comme par exemple pour diffuser des chaînes TV. Faire du “one to one” était extrêmement coûteux et limité à quelques applications dans les domaines pétrolifère, militaire ou encore pour les reporters de terrain », explique Éric Beaudet, consultant senior dans le secteur télécoms chez Teknowlogy. L’expert souligne que les nouvelles générations de satellites HTS et VHTS (High Throughput Satellite et Very High Troughput Satellite) ont permis de multiplier par 100 la capacité en orbite et d’abaisser ainsi significativement le coût de transfert de données. « Des dizaines de nouvelles applications ont pu émerger. C’est comme cela que l’on dispose désormais d’internet dans les avions, et que l’on connecte les navires en mer, mais aussi les 3 % à 5 % d’Européens qui ne disposaient pas d’un accès internet de bonne qualité. »

Réseaux : supprimer les zones blanches

Le porte-étendard de cette révolution spatiale, c’est bien évidemment Starlink, le service d’accès à internet par satellite de SpaceX. En février 2022, ce sont plus de 2 000 satellites qui ont déjà été lancés par les fusées Falcon de SpaceX. Une fois achevée, la constellation comptera environ 12 000 satellites actifs. Celle-ci est d’ores et déjà accessible dans de nombreuses régions du Globe et apparaît comme une solution parfaitement viable pour faire du télétravail. Arnaud Courtois, coordinateur de projet technique chez France Télévisions, l’a expérimentée : « Pour avoir utilisé Starlink à mon domicile en télétravail, c’est une très bonne solution. L’installation de l’antenne au moyen de l’application mobile est à la portée de tous. » Si la solution est intéressante pour équiper des télétravailleurs et des salariés détachés sur des zones isolées, elle n’est pas totalement adaptée au travail sur le terrain, ne serait-ce que parce qu’elle doit être alimentée en 220 V. « C’est un handicap pour la confier à un reporter sur le terrain. Nous devons encore créer le bon packaging pour la rendre autonome et facilement transportable. Autre inconvénient, l’antenne doit être rattachée à une zone géographique d’un rayon de 30 km, ce qui peut, là encore, se révéler une contrainte. Néanmoins, la déclaration d’une nouvelle zone ne prend que quelques minutes sur le site web de Starlink. »

France Télévisions étudie également l’utilisation de Starlink pour ses émissions réalisées hors plateau, notamment les tournages en région de France 3. « Une antenne Starlink va nous éviter de devoir faire appel à une ligne spécialisée pour chaque tournage, soit des milliers d’euros d’économie. Typiquement, sur le Tour de France, il faut tirer des lignes à chaque étape. Demain, nous n’en aurons plus besoin. » Arnaud Courtois le reconnaît, la constellation Starlink n’est pas encore suffisamment déployée pour faire des émissions en direct. « Entre chaque train de satellites, il y a environ une seconde de coupure. Sur un direct, cette coupure a pour effet de faire tomber le signal, ce qui n’est pas acceptable en l’état. Face à cette problématique, nous exploitons des boîtiers d’agrégation de liens Aviwest (Haivision). Au moment où la coupure se produit, la 4G prend le relais. » Lorsque la constellation sera complète, cette coupure disparaîtra. La latence du réseau Starlink mesurée par France TV est de l’ordre de 1,5 seconde, ce qui la rend exploitable pour réaliser des directs avec échanges de questions/réponses entre le journaliste et le plateau.

Réseaux satellites. Lourdes à mettre en place, coûteuses à l’utilisation, et présentant une latence importante, les liaisons satellites ont plutôt mauvaise réputation auprès des entreprises. Pourtant le secteur spatial est en train de connaître sa révolution. C’est ce que l’on appelle le « New Space ».
France Télévisions étudie l’utilisation de Starlink pour ses émissions réalisées hors plateau, notamment les tournages en région de France 3.

Des nanosatellites pour l’IOT

Starlink, mais aussi, demain, les projets de méga-constellation de satellites OneWeb, Kuiper d’Amazon, ou encore le projet que prépare l’Union européenne, apporteront le haut débit là où la fibre ou l’ADSL/SDSL ne sont pas disponibles. Une autre catégorie de satellites – les nanosatellites – va ouvrir l’espace à de nombreux nouveaux usages. Avec leurs 10 cm de côté, les CubeSat, imaginés en 1999 par deux universités californiennes, sont bien plus petits que les satellites d’Elon Musk. Ceux de Kinéis, projet porté par le Cnes et CLS, font, eux, 20 cm x 20 cm x 40 cm et ne pèsent que 30 kg. Réalisés avec des composants électroniques classiques (de type COTS, commercial off-the-shelf), ils sont placés en orbite basse, ce qui limite les coûts de déploiement. Kinéis s’appuie actuellement sur une flotte de sept satellites et de 20 000 terminaux connectés pour proposer des services aux entreprises. « Nous nous apprêtons à lancer une flotte de 25 nanosatellites l’année prochaine afin de compléter notre constellation. Cela va nous permettre de gagner énormément en termes de délai de revisite, c’est-à-dire le temps nécessaire pour pouvoir récupérer de la donnée », explique Alexandre Tisserant, CEO de Kinéis. Ce délai s’établit actuellement entre une et quatre heures, ce qui ne pose pas de problème pour certaines applications de tracking d’animaux, par exemple. Mais avec des remontées d’information plus fréquentes, la solution pourra répondre à un plus grand nombre de besoins de remontée de données issues de capteurs. « Lorsque notre constellation sera complète, le délai sera de 10 à 15 minutes sur toute la planète, ce qui ouvre la voie à de nombreuses nouvelles applications. Non seulement le délai de revisite sera réduit, mais cela va aussi augmenter la capacité du système d’un facteur 100. De quoi permettre d’abaisser les coûts pour l’utilisateur final, sachant que ces nanosatellites deviendront aussi beaucoup moins coûteux à produire et à lancer dans l’espace. »

Un outil pour fiabiliser les supply chains

Kinéis est notamment présent sur le marché de la pêche. Et l’abaissement du coût des satellites lui permettra de se positionner sur les millions de petites embarcations d’Afrique de l’Ouest et de l’Asie du Sud-Est. Un autre marché potentiellement énorme pour la start-up est celui du tracking des marchandises, notamment celui des conteneurs le long des grandes routes maritimes. Depuis la crise de la Covid, mais aussi le blocage du canal de Suez en 2021, les entreprises connaissent de profondes difficultés à faire fonctionner leur supply chain. Les logisticiens réclament un tracking en temps réel de leurs commandes, y compris en mer où aucune couverture réseau IoT n’est possible. Si le satellite apparaît comme la solution idéale, Alexandre Tisserant pointe néanmoins certaines limites : « Il est possible de suivre le conteneur au sol lors de son transport par train ou camion, puis son chargement sur le bateau et son déchargement. En mer, la difficulté est que les conteneurs sont empilés par centaines sur les porte-conteneurs et qu’il n’y a pas de solution technique pour détecter les conteneurs situés en bas de la pile… » Kinéis travaille sur cette problématique notamment avec Orange afin de créer des terminaux Kinéis / LoRa. Ceux-ci pourront se connecter au réseau terrestre lorsque celui-ci sera à portée et basculer sur le satellite là où il n’y a pas de couverture LoRa. « L’hybride est une solution pour un avenir proche. À moyen et long termes, il s’agira de disposer d’une technologie unique qui fonctionne tant à terre que dans l’espace. Pour l’instant, cette technologie n’existe pas. » Pour des raisons techniques, le CEO ne croit pas en la promesse de la 5G (qui s’appuie sur la technologie NB-IoT) d’offrir un service unifié cellulaire/satellite. Le polytechnicien estime qu’il faudra attendre la prochaine génération de réseaux, la 6G, pour que cette convergence devienne une réalité. 


Augmenter la qualité de transmission, voire piloter les caméras à distance

ARNAUD COURTOIS, coordinateur de projet technique chez France Télévisions

« Nous testons depuis plusieurs mois le service Starlink. L’idée est d’aider les équipes qui sont dans les zones blanches ou encore de s’assurer de la qualité des transmissions dans des zones à forte densité de public, comme par exemple aux abords des stades de football les soirs de match. Les cellules ne peuvent absorber les flux et il faut disposer d’une solution alternative. Starlink peut être exploité en support de la 4G/5G afin d’augmenter le débit. Pour faire du transfert de fichiers, ce système fonctionne très bien et les débits sont très élevés. Le deuxième cas d’usage que nous avons étudié est de faire ce que nous appelons de la “remote production”. Nous réfléchissons à notre capacité, en cas de pandémie comme nous venons de le vivre, à pouvoir dispatcher des équipes de réalisation/production pour le mixage et la télécommande des caméras. Les équipes pourraient rester sur un site distant, ou même à domicile, et piloter les caméras à distance. C’est un cas actuellement fonctionnel avec un renvoi des flux vidéo directement dans le cloud. »


« Un nanosatellite ne couvre une zone donnée que pendant une heure par jour »

ERIC BEAUDET, consultant senior, expert du secteur télécoms chez Teknowlogy

« Face aux imposants satellites géostationnaires qui coûtent plusieurs centaines de millions d’euros, les satellites en orbite moyenne ou basse sont beaucoup plus petits et ne coûtent quelques millions d’euros. Les nanosatellites sont encore plus petits et moins coûteux car réalisés avec des composants “achetés sur étagère”. Beaucoup de tests sont en cours dans ce domaine. L’enjeu, pour les opérateurs, est de constituer de grandes constellations. Cela est nécessaire car, plus l’orbite est basse, plus il faut placer de satellites pour couvrir la Terre. Un nanosatellite seul n’est en effet présent sur une zone donnée que pendant environ une heure par jour, ce qui limite énormément les applications possibles. Toute la problématique des opérateurs de ces constellations sera d’atteindre la taille critique nécessaire pour offrir un service intéressant pour les particuliers ou les entreprises, sachant qu’il n’y aura certainement pas la place pour tous les projets actuellement en compétition. »

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