Gouvernance

“La Française des Jeux mise sur le B-to-B”

Par La rédaction, publié le 02 mars 2017

Pour rénover un système d’information vieillissant et se développer à l’international, la Française des Jeux a initié depuis un an un projet de transformation numérique impliquant toute son organisation. Baptisé FDJ 2020, financé à hauteur de 500 M€, ce programme est le socle d’une nouvelle offre B-to-B et d’une nouvelle génération de jeux.  

Pouvez-vous rappeler en quelques mots qui est la Française des Jeux ?

Stéphane Pallez : Créée en 1976 à partir de la Loterie Nationale, la Française des Jeux est une société anonyme détenue à 72 % par l’État. Elle a le monopole en France sur les jeux de loterie, ainsi que sur les paris sportifs en points de vente. Une histoire ancienne ! Le contrôle de l’État sur ces jeux remonte à une ordonnance royale datant de 1586 pour protéger « le chaland ». Aujourd’hui, la FDJ enregistre 13,7 milliards d’euros de ventes, misées par plus de 26 millions de clients, soit près d’un Français sur deux en âge de jouer. Les deux tiers de ce montant sont reversés aux joueurs, 23 % à l’État et 6 % au réseau de distribution, en particulier les 31 900 bars-tabac-presse-épiceries, etc. Après ces rétrocessions, le produit des activités ordinaires du Groupe monte à près d’1,7 milliard d’euros. Un chiffre en progression de 6,4 % sur un an.

Quelles étaient les motivations à l’origine du programme FDJ 2020 ?

SP : Comme dans d’autres industries, le numérique bouscule la donne dans le secteur du jeu d’argent. S’il n’est pas immédiat, le danger existe. Il s’agit d’abord d’adapter notre offre aux usages digitaux, en particulier ceux des nouvelles générations. Les jeunes, les 18-30 ans chez nous, jouent moins que leurs aînés. Cette tranche d’âge représente tout de même plus de 7 millions de nos clients. Mais pour les garder, et même séduire 1 million de nouveaux clients à l’horizon 2020, nous avons commencé à travailler sur la dimension interactive et distrayante de nos jeux. Plus largement, une démarche d’innovation continue a été initiée. Aucun acteur du secteur des jeux ne connaît aujourd’hui ce que vont être les jeux de demain. Le projet FDJ 2020 a, entre autres, pour objectif de développer l’offre du futur. Il s’agit aussi de développer une offre de services à partir de nos compétences tant organisationnelles que techniques. Une offre qui pourra être utilisée par d’autres loteries.

Vous avez donc l’intention de vous développer en dehors des frontières ?

SP : Le développement à l’international est le prolongement naturel du projet FDJ 2020 déployé en France. L’industrie du jeu d’argent repose sur peu d’acteurs, des loteries nationales qui s’adressent aux consommateurs et quelques grands fournisseurs B-to-B de jeux et de solutions IT aux loteries, les américains IGT et Scientific Games ou encore le grec Intralot par exemple. Dans ce panorama, FDJ est la quatrième loterie mondiale en termes de ventes derrière la Chine, qui occupe les deux premières positions, et l’Italie. Les raisons sont historiques. Dans de nombreux pays, les loteries sont régionales ou dédiées à une seule famille de jeux : loteries, paris sportifs ou casinos. L’Allemagne compte 17 loteries ! Aujourd’hui, opérer un jeu constitue un investissement conséquent. Cette activité, qui dépend beaucoup de l’informatique, impose de faire appel à plusieurs fournisseurs. Nous travaillons par exemple avec IGT. Pour autant, notre savoir-faire IT est fort : notre système prend en charge des volumes conséquents, et nous traitons en moyenne et en temps réel 24 millions de transactions quotidiennement. De par sa puissance financière, son capital confiance et l’investissement de 500 M€ alloué en France, la FDJ peut légitimement développer sa propre offre de fourniture de jeux et de services numériques aux loteries ou nouer des partenariats technologiques dans ce but. En d’autres mots, nous allons développer une offre B-to-B internationale au-delà des solutions que nous commercialisons déjà en France. Cette offre a vocation à être commercialisée en marque blanche, comme c’est déjà le cas auprès de la loterie portugaise. Elle représente déjà aujourd’hui un potentiel de plusieurs dizaines de millions d’euros.

En quoi consistent les nouveaux services que vous allez commercialiser ?

SP : Ces services B-to-B se déclinent dans des services d’infrastructures, de développement de jeux et d’accompagnement. Des services commercialisés sous la marque FDJ Gaming Solutions. Ils comprennent, par exemple, des « moteurs de jeu ». Développer un nouveau moteur représente un investissement lourd qui monte couramment à plusieurs millions d’euros. Plusieurs applications peuvent partager le même moteur. Une des pistes de réflexion consiste à imaginer une plateforme d’accès à nos moteurs et à ceux de partenaires. Et proposer, en complément, des services de développement et de personnalisation de jeux. En ce qui concerne l’accompagnement, il faut rappeler que la FDJ a un savoir-faire historique. Cette expérience nous amène à accompagner des loteries plus jeunes dans la mise en place de systèmes opérant dans un cadre sûr, intègre et responsable du point de vue du jeu excessif. Cette offre n’en est qu’à ses débuts. Elle va s’enrichir au cours des prochaines années.

De quelle manière abordez-vous le volet stratégique de l’innovation ?

SP : En interne, des incubateurs — quatre à ce jour — ont été créés pour favoriser l’émergence de contenus et d’innovations de rupture. Ils sont composés de collaborateurs métiers et de membres de l’IT. Les premières concrétisations sont disponibles. Il est désormais possible de préparer son pari sportif sur son mobile et de conclure la transaction chez son détaillant par simple lecture d’un QR code automatiquement généré. En 2017, des jeux à gratter physiques et digitaux verront le jour en test dans le Nord de la France. Vous pourrez gratter, lire un QR code, puis démarrer une expérience de jeu digitale sur mobile avant paiement des gains en point de vente. Au-delà, il s’agit de développer une démarche d’open innovation à travers des partenariats, comme celui mené avec IBM. 20 millions ont été alloués à des fonds d’investissement spécialisés dans des start-up. Globalement, il s’agit de développer un écosystème innovant autour des jeux numériques de hasard et d’argent. Le processus va perdurer. À ce jour, personne ne peut prédire quel sera le jeu à succès des prochaines années.

Le développement de cette offre impose un système d’information adapté. Quelles sont les grandes étapes de son élaboration ?

Xavier Étienne : Il s’agit d’une évolution de grande ampleur qui touchera tous les pans du système d’information. La stratégie de transformation que nous avons initiée est fondée sur une cible à atteindre à l’horizon 2020. Elle est séquencée en plusieurs grandes étapes. Elle est mise en œuvre à travers un portefeuille de projets que nous pilotons à l’année, ce qui permet d’ajuster le tir autant que nécessaire en fonction de l’évolution de notre stratégie ou de notre environnement. Le système actuel, qui gère plus de 4 milliards de transactions chaque année, a été construit à partir de silos applicatifs. Une architecture qu’il nous faut transformer pour permettre une distribution omnicanale de nos jeux et une gestion à 360 ° de nos clients et de nos détaillants. La première phase, quasiment terminée, a consisté à découpler les applications de front office des systèmes applicatifs centraux et à renouveler l’accès à l’offre. Une démarche qui nous permet aujourd’hui d’être plus agile pour faire évoluer les interfaces et les parcours clients.

Qu’en sera-t-il de la phase d’industrialisation ?

XÉ : Tous nos systèmes cœur de métier, tirage, grattage et sport seront refondus pour s’inscrire dans une architecture cible orientée services. Notre priorité concerne le sport. Pour des raisons historiques, la gestion des paris sportifs en ligne et celle des paris physiques, c’est-à-dire enregistrés dans le réseau de points de vente, dépendent chacune d’une application différente. Ces deux applications seront refondues en un seul système. Les autres briques seront aussi industrialisées progressivement au fur et à mesure de la mise en place de la nouvelle architecture. Le projet inclut aussi l’urbanisation de nos applications de back-office, l’automatisation de notre chaîne logistique, ainsi que la mise en œuvre de nouveaux outils pour nos forces de vente. Enfin, sur le plan du digital, nous allons revoir notre approche CRM pour nous doter de capacités de temps réel dans la relation avec nos clients. Il s’agit également de renforcer nos projets en matière d’innovation, en particulier sur les jeux de nouvelle génération. Ces technologies, dont certaines seront développées en propre, seront la pierre angulaire du développement des capacités de la FDJ à l’international. Ce qui constitue un prolongement naturel de sa stratégie domestique en procurant d’autres débouchés pour ses investissements.

La sécurité, notamment la détection de fraude et de blanchiment, est un point sensible dans votre activité. Quelles approches technologiques allez-vous privilégier pour répondre à ces défis ?

XÉ : La législation impose de remonter aux autorités les éventuels « soupçons de fraude ». Par exemple, des paris massifs et inhabituels sur des matchs de second rang peuvent être significatifs d’une tentative de blanchiment. Dans un autre registre, notre responsabilité en tant qu’opérateur suppose de prévenir les comportements addictifs. Bien sûr, la Française des Jeux était déjà organisée pour répondre à ces contraintes. Une direction « gestion des risques et de la sécurité » comptant une cinquantaine de collaborateurs, dont une quinzaine affectés au seul blanchiment, oeuvre sur le sujet depuis des années. Ces équipes travaillaient à partir des données réparties dans plusieurs silos de données, d’univers de Business Objects et de rapports écrits rédigés par des inspecteurs assermentés chargés de rendre compte du fonctionnement de chaque point de vente à l’issue de visites sur le terrain. Le partenariat avec IBM s’est concrétisé par une application de type big data. Celle-ci automatise la collecte des données, les consolide, les analyse et délivre un scoring basé sur des technologies analytiques et de « machine learning ». Un pilote construit à partir de 3 To de données historisées nous a permis d’augmenter d’environ 30 % les cas détectés. Cette application va désormais faire l’objet d’une offre commercialisée par IBM baptisée SaferGame Counter Fraud Management, une sorte de « détection de fraude as a service ».
Propos recueillis par Patrick Brébion

 

STEPHANE PALLEZ
• DEPUIS 2014 PDG du Groupe FDJ
• 2011-2014 PDG de la Caisse Centrale de Réassurance
• 2004-2011 Directrice financière déléguée de France Télécom Orange
• 1984-2004 Administratrice civile à la direction générale du Trésor
• 1984 ENA
• 1980 Sciences Po 

XAVIER ÉTIENNE
• DEPUIS 2014 DGA, en charge du pôle Technologie Développement International du Groupe FDJ, président de LotSys (filiale du Groupe FDJ)
• 2010-2014 Président de LB Poker
• 2001-2010 Directeur général de LotSys
• 1998-2001 Directeur technique de SciGames France
• 1985-1990 Institut supérieur d’Électronique de Paris 

 

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