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Le marketing pionnier dans les usages de l’IA Gen
Par Stéphane Moracchini, publié le 31 octobre 2024
De la création de fiches produit à celle de visuels de haute qualité en passant par l’optimisation des stratégies de référencement sur Internet, l’irruption de l’IA générative marque une étape cruciale pour les équipes marketing.
Fin 2023, « près de 60 % des organisations intégraient déjà l’IA Gen dans leurs efforts marketing, et 37 % d’entre elles la mettaient activement en œuvre dans le cadre de diverses initiatives, y consacrant 62 % de leur budget IT marketing total », révélait une étude du Capgemini Research Institute consacrée au sujet (Generative AI and the Evolving Role of Marketing). Une adoption fulgurante, mais logique au regard des opportunités offertes par cette technologie pour les différentes problématiques couvertes, qu’il s’agisse de la création de contenus (articles, publicités, messages de réseaux sociaux, etc.), du référencement des sites web sur Internet (Search Engine Optimization pour SEO) ou de la création et de l’automatisation de campagnes personnalisées. Au cours des deux ou trois prochaines années, les spécialistes du marketing adeptes de l’IA Gen interrogés par Capgemini prévoient qu’elle sera utilisée massivement, tant pour l’analyse des données (90 %) que pour l’optimisation du SEO (89 %), pour le service client (89 %), la création de contenu (88 %) ou la génération d’images et de vidéos (86 %).
Des textes bien détaillés et bien argumentés
Sur le terrain de la création de contenu, l’une des premières applications à être apparues concerne les fiches produit des sites e-commerce. Carrefour, par exemple, s’était appuyé, dès mi-2023, sur la technologie d’OpenAI pour enrichir la description de plus de 2 000 de ses articles. Une démarche jugée satisfaisante, puisque le distributeur a par la suite décidé de la généraliser à l’ensemble de son catalogue. À partir des informations contenues dans une base de données produits, ou simplement celles qu’on lui fournit via la fenêtre de prompt, l’IA Gen est en capacité de produire, de manière automatisée, une description détaillée des produits comme de générer des contenus plus argumentés mettant en valeur leurs avantages, leurs spécificités, voire racontant une histoire : autant d’ingrédients susceptibles de susciter l’intérêt du consommateur, de le convaincre de passer à l’achat.
Chez la marque de lingerie Undiz, on s’est aussi tourné dès 2023 vers l’IA Gen. « Nous écrivons nos pages produits avec ChatGPT, en lui donnant des indications en termes de style : plus jeune, plus cool…, confiait Marie Dardayrol-Sandevoir, la directrice du digital et du marketing, lors de la conférence annuelle retail & e-commerce organisée par le Hub Institute. Mais il ne sera jamais aussi bon que nous. Nous repassons donc systématiquement derrière plusieurs fois pour vérifier les textes produits », précisait-elle, tout en reconnaissant malgré tout que, face à des concurrents internationaux disposant de davantage de moyens, le recours à l’IA Gen constituait un avantage en termes de coût comme de gain de temps.
Marie Dardayrol-Sandevoir
Directrice du digital et du marketing, Undiz
Nous écrivons nos pages produits avec ChatGPT, en lui donnant des indications en termes de style : plus jeune, plus cool… Mais il ne sera jamais aussi bon que nous. »
Une offre logicielle pléthorique
Côté logiciel, de très nombreuses solutions ont déjà opéré le virage et s’appuient aujourd’hui uniquement sur les modèles d’IA Gen pour répondre au besoin d’automatiser la création de contenus marketing, en particulier les fiches produit, à l’instar de Phrasee, Text.cortex, Daiteo, ou encore SquareSpace. En janvier dernier, à l’occasion de la conférence NRF2024 à New York, l’événement international phare consacré au retail, Google a de son côté dévoilé son module Catalog and Content Enrichment, qui vise à simplifier, pour les e-commerçants, la gestion de leur catalogue produits, une tâche jusqu’à présent complexe et chronophage. Reposant sur les différents grands modèles d’IA Gen de l’éditeur – Gemini Pro, Imagen 2 et PalM –, ce module analyse les images de produits et les textes descriptifs de ces derniers afin de générer automatiquement de nouvelles descriptions promettant d’être plus précises et plus impactantes pour le consommateur.
Les solutions de CMS e-commerce mettent elles-aussi à la disposition des e-commerçants des fonctionnalités d’IA Gen, qui sont ainsi désormais élevées au rang de commodités marketing et visent à leur faire économiser du temps comme des ressources dans la création de contenus textuels. Elles sont accessibles soit via la marketplace de la solution, comme chez Prestashop avec WizardAI, un module de génération de contenu s’appuyant sur différents LLM (ChatGPT, Mistral AI et Meta Llama 3) pour optimiser les processus de génération de descriptions de produits censées être plus détaillées et plus pertinentes pour les clients ; soit intégrées directement et gratuitement au produit, à l’instar de Magic, dans Shopify, une suite de fonctionnalités qui permet de générer, à partir d’informations fournies par le e-commerçant ou de descriptions existantes, des suggestions de descriptions de produits ou encore des lignes d’objet pour les e-mails ou des titres pour la boutique en ligne.
Des campagnes marketing en quelques clics
Au-delà de la problématique liée aux descriptifs produit, les outils à base d’IA Gen comme Phrasee ou Text.cortex visent également à faciliter la création des contenus de campagnes marketing. Mais sur ce terrain, certaines solutions s’appuyant déjà sur des modèles d’IA prédictifs à base de machine learning pour automatiser l’organisation de campagnes personnalisées commencent également à s’étoffer de fonctionnalités tirant parti des modèles génératifs. C’est en particulier le cas de l’application du Français Kiliba. Lancée en 2019 et proposée sous forme de module s’intégrant aux CMS Adobe Commerce, Prestashop et Shopify, celle-ci a pour vocation de simplifier la vie du e-commerçant, qui se contente de sélectionner les scénarios marketing qu’il souhaite activer parmi la vingtaine proposée. Ceux-ci se déclenchent soit en fonction d’une date (anniversaire du client, par exemple), soit selon le comportement du client sur le site (panier abandonné, visite sans achat, etc.), soit en fonction d’un événement calendaire (Halloween, Noël, Black Friday, etc.).

Le choix du e-commerçant effectué, l’IA s’appuie sur les données disponibles dans le CMS (navigation sur le site, historiques d’achats, informations clients, catalogue produits…) pour segmenter la clientèle et déterminer, en fonction des profils, quels scénarios de campagne e-mail activer et quand, mais aussi quels produits promouvoir dans les messages ciblés envoyés aux clients. Depuis mars dernier, une nouvelle fonctionnalité a fait son apparition, la smartletter. Elle répond à une autre problématique du e-commerçant, celle de pouvoir choisir les produits qu’il souhaite mettre en avant, et tire justement à cette fin profit de l’IA Gen, celle-ci se chargeant de créer automatiquement le contenu de cette newsletter intelligente, alors que les algorithmes de machine learning de la solution identifient, eux, les clients les plus susceptibles d’être intéressés par son contenu.
« La création de la smartletter ne repose pas sur un simple générateur de texte ou d’image, mais sur tout un assemblage complexe de briques qui s’enchaînent, explique Benoît Pothier, le CTO de Kiliba. Nous utilisons plusieurs moteurs d’IA Gen, pour analyser la boutique, récolter de l’information pour réussir à comprendre le ton qu’elle utilise dans les textes, la charte graphique, le type de produits vendus… Tout un ensemble d’informations qui seront exploitées pour générer une newsletter adaptée à la typologie de boutique », détaille-t-il. Au-delà de ses propres algorithmes pour certains traitements, la start-up recourt tant à des modèles génératifs open source qu’à ceux proposés par OpenAi, en l’occurrence GPT pour le texte et Dall-e pour les images, au cours de la phase de compréhension des informations, pour la génération de texte ou d’image, ou encore pour la traduction. « Nous en utilisons beaucoup et les assemblons en fonction des domaines où ils sont les meilleurs, indique le CTO, ce qui est déjà très compliqué en soi et nécessiterait, sinon, beaucoup d’essais. »
Pour la création d’images d’ambiance contenant les produits à promouvoir, des algorithmes maison sont aussi en mesure d’identifier les meilleurs visuels à reprendre de la boutique en ligne du e-commerçant, puis un générateur d’images de les redimensionner dans le format souhaité pour la newsletter, sans occasionner de perte d’information, et dans le style correspondant au produit ou à la boutique. « Nous pouvons générer aussi bien des images stylisées que réalistes », précise Benoît Pothier.

Si l’objectif de la solution est de fournir rapidement au marketeur un résultat prêt à l’emploi, celui-ci conserve cependant la main pour valider ce dernier ou pour apporter des modifications à ce que propose l’IA. En même temps que la newsletter, des éléments de substitution sont en effet également suggérés, qu’il peut mettre en place par simple glisser-déposer. S’il le souhaite, il lui est aussi possible de débrayer l’automatisation pour télécharger sa propre image ou saisir le texte de son choix. Enfin, il peut même accéder à la fenêtre de prompt pour faire générer l’image qu’il souhaite, modifier le style ou le cadrage de celle proposée. « Il a la possibilité de gérer tous les niveaux, afin de pouvoir affiner le résultat. Mais en général, celui initial fourni par l’IA convient à nos clients », constate Benoît Pothier.
Au-delà de la smartletter, la start-up recourt désormais aussi à l’IA Gen pour la génération marketing de texte de sa brique de scénarios automatisés. Auparavant, il s’agissait de messages prédéfinis, en différentes langues et en trois styles différents : simple et neutre, pro et sérieux, fun et décalé. « Aujourd’hui, nous menons des développements pour générer des textes plus personnalisés par rapport à l’utilisateur, faisant donc appel à des modèles génératifs conformes au RGPD, indique le CTO. Si le moteur de Kiliba est capable de détecter les préférences de clients d’un site e-commerce, nous cherchons à exploiter l’IA Gen pour expliquer à ces derniers en quoi les produits qui leur sont proposés sont susceptibles de les intéresser, par exemple en faisant le lien avec leur comportement passé. Enfin, nous réfléchissons aussi sur la manière dont l’IA Gen pourrait encore renforcer la productivité des marketeurs », confie-t-il.
Benoît Pothier
CTO de Kiliba
Nous utilisons plusieurs moteurs d’IA Gen pour analyser la boutique, comprendre le ton qu’elle utilise dans les textes, la charte graphique, le type de produits vendus… »
Des visuels marketing de qualité photoréaliste
Sur le terrain de la création de visuels marketing produits, la solution du Français Omi s’est, elle aussi, enrichie de fonctions s’appuyant sur l’IA Gen, venue renforcer une technologie propriétaire sachant déjà transformer une photo de produit en objet 3D, afin de le mettre en scène sur un site e-commerce ou sur les réseaux sociaux, seul (Packshot) ou avec d’autres produits (Bundle). Cette technologie est basée sur le logiciel de modélisation open source Blender, que la start-up a redéveloppé entièrement pour la rendre capable de générer des modèles 3D de manière rapide dans un navigateur web.

Côté IA Gen, Omi a choisi de spécialiser une version open source du modèle de génération d’images photoréalistes Stable Diffusion, afin de l’utiliser entre autres pour créer les mises en scène, les fonds, les textures, les accessoires, les lumières, les reflets. « Les éditeurs proposant des technologies génératives 3D sont aujourd’hui moins nombreux que les 2D car elles exigent davantage d’efforts de recherche, de spécialisation de modèles, et parce que savoir transformer un objet 2D en 3D constitue aussi une barrière à l’entrée, explique Hugo Borensztein, le CEO d’Omi. Mais elles seules sont capables de répondre aux attentes des marques pour lesquelles le respect de leur image et de leurs standards de qualité constitue un enjeu incontournable », souligne-t-il. Alors que la vidéo prend une place de plus en plus importante dans la communication marketing, s’invitant sur les fiches produit et les bannières des sites e-commerce, les newsletters ou les posts de réseaux sociaux, disposer de cette technologie fournit également le moyen de créer facilement et rapidement des vidéos photoréalistes mettant en scène les produits. « Les marques veulent aussi pouvoir faire plus et mieux avec moins de budget, remarque Hugo Borensztein. Avec des technologies comme la nôtre, elles vont jusqu’à réduire de 5 à 15 fois leur budget Packshot tout en étant capables de créer des visuels de qualité qui attireront davantage l’attention et susciteront plus d’ajouts au panier, ou de temps passé sur des fiches produit par exemple », défend-il.
Hugo Borensztein
CEO d’Omi
Les éditeurs proposant des technologies génératives d’images 3D sont aujourd’hui moins nombreux que les 2D, car elles exigent davantage d’efforts de recherche et de spécialisation de modèles. »
Sur le plan opérationnel, la vocation d’Omi est de fournir à l’équipe marketing centrale le moyen de créer le propre studio photo virtuel de la marque, et les templates de fond en accord avec son image qui seront ensuite exploités par les équipes locales. Code couleurs, style (réaliste, abstrait, minimaliste), ambiance (lumière du matin ou du soir, par exemple), angle de vue, plan paysage ou rapproché, objets, texture… Tout est paramétrable. « Nous fournissons tout sous forme de presets, pour rendre simple l’usage de notre solution. Pour les éléments créés avec l’IA Gen, nous disposons néanmoins d’un mode avancé permettant d’apporter des modifications via une fenêtre de prompt. Mais l’usage de ce dernier reste technique et nécessite d’y passer du temps. Il ne convient pas à nos utilisateurs, qui sont avant tout des professionnels du e-commerce et non des créatifs, à quelques exceptions près », précise Hugo Borensztein.

Une stratégie SEO facilitée, mais aussi à revisiter
En matière de génération de contenu marketing, une dernière utilisation aujourd’hui centrale de l’IA Gen concerne l’optimisation du SEO. Qu’il s’agisse du module Catalog and Content Enrichment de Google ou des outils fournis par les CMS e-commerce comme Shopify Magic ou WizardAI, nombre de solutions permettent de créer, grâce aux modèles génératifs, des contenus (fiche produit, page catégorie, article de blog, fiche d’aide, titre, meta-description, etc.) optimisés pour le référencement naturel sur Internet. Reste que, dans ce domaine, la donne devrait changer avec l’arrivée des nouvelles interfaces de résultats de recherche, comme Google SGE (Search Generative Experience), où l’IA Gen répond directement à la requête initiale de l’utilisateur, puis à ses éventuelles questions complémentaires plus précises, sur la base des informations collectées sur les pages indexées par le moteur, sans qu’il ait lui-même à cliquer sur les différents liens proposés par l’interface classique de recherche. De quoi modifier les stratégies SEO actuelles, basées notamment sur les mots clés génériques populaires et les contenus généraux, au profit de mots clés dits de longue traîne, répondant à des intentions plus précises, mais générant moins de clics, et de contenus eux aussi plus précis et, sans doute, plus qualitatifs.
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