Datacenters : quand l’État choisit les futures terres de cloud et d’IA. Un guide pour tout comprendre sur l'implantation des futurs datacenters en France

Gouvernance

Datacenters en France : l’état publie un guide d’implantation

Par Laurent Delattre, publié le 04 décembre 2025

Avec une électricité largement décarbonée, une bonne connectivité et un marché numérique solide, la France est devenue un des premiers points de chute européens pour les datacenters.
Chaque nouveau projet se heurte pourtant à un faisceau de résistances politiques, sociales et environnementales qui transforment les datacenters en objets de controverse locale.
Pour encadrer l’implantation de ces infrastructures et aider élus, propriétaires fonciers et industriels à arbitrer entre attractivité numérique et contraintes de terrain, le gouvernement vient de publier un guide détaillé. Nous y avons jeté un œil attentif.

Pour les acteurs du cloud, de l’hébergement ou du calcul haute performance, la France reste, sur le papier, un terrain très favorable, une terre d’accueik. Le pays combine une énergie disponible, jugée fiable et en grande partie décarbonée, un positionnement géographique central en Europe, des compétences fortes dans le numérique et une bonne interconnexion aux câbles sous-marins et aux grands hubs internet.

C’est ce socle qui explique la multiplication des projets d’infrastructures, des centres de colocation aux mégacentres cloud, jusqu’aux complexes haute densité dédiés à l’IA et au calcul scientifique. Le guide rappelle que la France accueille déjà les hyperscalers américains, plusieurs acteurs européens et des fournisseurs français comme OVHcloud, Orange Business Services ou 3DS Outscale, mais aussi de nouveaux venus (les néoclouds) spécialisés dans la puissance de calcul IA.

Tout ça n’est pas nouveau. Cette concentration est un atout pour notre économie numérique synonyme de choix plus large de modèles d’hébergement et de partenaires.

Le problème, c’est l’atterrissage sur le terrain. Chaque projet devient un dossier politique, social et écologique. Les élus sont pris entre promesses de recettes fiscales et de visibilité économique d’un côté, colère sur la consommation d’électricité, l’usage de l’eau, l’artificialisation des sols ou le bruit de l’autre. Les datacenters se retrouvent au cœur des tensions sur la sobriété, l’aménagement du territoire et l’acceptabilité du numérique.

Les spécialistes des datacenters et les industriels du domaine se retrouvent en première ligne. Leur expertise technique doit désormais s’accompagner d’une capacité à défendre les projets devant des conseils municipaux, des associations et des riverains qui voient dans ces bâtiments fermés une matérialisation des excès du numérique plutôt qu’un outil de souveraineté ou de modernisation économique.

Un guide pour dire où les projets sont possibles et rassurer les élus

Face à la bronca devenue systématique à chaque nouveau projet, la DGE s’est saisie du sujet. Elle publie un guide « Implantation des centres de données » qui acte à quel point ces infrastructures sont définitivement passées dans la catégorie des grands projets industriels sensibles, à traiter autant avec des ingénieurs qu’avec des juristes, des aménageurs et des communicants. Porte-paroles de ce nouveau guide, Roland Lescure et Anne Le Hénanff le présentent comme un outil pratique pour aider les territoires à accueillir les datacenters de manière plus ordonnée, au service de la souveraineté numérique et de l’essor de l’intelligence artificielle.

Le document ministériel part d’un constat simple. Tous les territoires ne peuvent pas accueillir un datacenter, encore moins un site haute densité pour l’IA ou le HPC. L’État publie donc une première liste de soixante-trois sites jugés favorables, répartis sur le territoire, avec quelques emplacements placés sur une voie rapide de raccordement pour les projets les plus puissants.
Essentielle aux élus et industriels du numérique, l’information est loin d’être sans intérêt pour les DSI. Les futures capacités massives de cloud et de calcul ont de fortes chances de se concentrer sur ces zones, là où le foncier est disponible, où le réseau électrique peut suivre et où les collectivités ont déjà engagé un travail de préparation. Les autres sites resteront possibles, mais beaucoup plus incertains en termes de délais.

La carte des sites propices à ‘accueil de centres de données

Le message implicite adressé aux opérateurs est clair. Les projets opportunistes sur des terrains isolés, mal raccordés et difficiles à défendre politiquement auront de plus en plus de mal à passer. Inutile même d’y penser.

Énergie, foncier, eau, opinion publique, les nouveaux filtres

S’il ne faut retenir qu’une qualité à ce guide, c’est qu’il met noir sur blanc les critères qui, de fait, filtrent les projets :

Le foncier doit, autant que possible, être déjà artificialisé ou en friche, parce que les datacenters entrent dans la mécanique de sobriété foncière et pèsent sur les quotas locaux. Chaque hectare pris pour une salle blanche n’est pas pris pour du logement ou d’autres activités, et les maires doivent assumer ce choix.

Sur l’énergie, le texte reconnaît les tensions régionales, en particulier en Île-de-France, et les délais de raccordement qui se comptent désormais en années. RTE est placé au centre du jeu et les datacenters sont explicitement qualifiés d’acteurs électro-intensifs. Le discours sur la flexibilité et l’effacement existe, mais il reste à transformer en engagements concrets dans les contrats et dans l’exploitation.

L’eau et le climat local deviennent des variables structurantes. Le document renvoie aux indicateurs d’efficacité énergétique et hydrique, à la récupération de chaleur, et demande d’adapter les choix de refroidissement à la ressource en eau et aux canicules. En creux, cela signifie que certains territoires sous stress hydrique devront arbitrer plus durement entre datacenters et autres usages.

Reste la dimension sociale. Le guide évoque le bruit, l’intégration paysagère, la valorisation de la chaleur fatale, la distance aux habitations et la transparence sur les performances environnementales. En revanche, inutile de chercher, vous n’y trouverez aucune recette magique pour désamorcer une campagne contre un projet emblématique. La conflictualité locale n’est pas niée, mais la DGE laisse les élus l’encadrer sans leur fournir de conseils pratiques si ce n’est de « partager concrètement les bénéfices avec la population au-delà des recettes fiscales ».

Processus de mise en relation des projets avec des sites dont le propriétaire est public

Une hiérarchie assumée entre les projets de datacenters

Autre point clé de ce guide, tous les datacenters ne sont pas – et ne seront pas – traités de la même manière. Il distingue les datacenters d’entreprise, les centres de colocation, les infrastructures cloud, les sites edge de proximité et les centres haute densité pour l’IA et le HPC. Le texte ouvre ainsi la voie à une hiérarchisation explicite. Certains projets pourront être qualifiés de majeurs pour la souveraineté numérique ou pour l’IA et bénéficier de procédures plus rapides, d’un accès prioritaire au réseau ou du statut de projet d’intérêt national.

Les autres devront suivre le droit commun, avec des délais d’instruction plus longs, une concurrence forte pour l’accès à l’énergie et un risque accru de blocage en cas de mobilisation locale.

Toutefois il émerge de cette lecture qu’en pratique, les gros projets liés aux hyperscalers, à l’IA ou à des stratégies industrielles structurantes auront plus de leviers pour avancer. Un point que les DSI devront garder en tête. Les choix d’implantation et d’opérateurs vont se politiser. Travailler avec un prestataire qui s’appuie sur un site mis en avant par l’État et RTE n’offre pas la même visibilité que miser sur un projet isolé, même séduisant sur le papier en termes de prix ou de proximité.

Alors, oui, bien sûr, pour les spécialistes du domaine, ce guide ne révolutionne pas leur quotidien. Mais il a le mérite de clarifier le décor notamment pour les élus, les collectivités locales et les propriétaires fonciers. Il revendique une France terre d’accueil des datacenters mais rappelle que l’installation de nouvelles capacités massives passera de plus en plus par des sites pré-identifiés, soumis à des contraintes environnementales et sociales fortes.

Si un tel guide permet de mieux anticiper les dérapages et peut se traduire par des délais plus prévisibles sur certains territoires, il aura déjà atteint son but. En attendant, il invite déjà les organisations du numérique à s’aligner sur une volonté d’état ainsi que les DSI à s’intéresser peut-être d’un peu plus près à la localisation réelle des services de leurs fournisseurs, la publication de leurs indicateurs d’efficacité et leur capacité à gérer la pression locale. Il rappelle aussi aux DSI en quête de construction de nouveaux datacenters que l’arbitrage ne se fera plus seulement entre prix, performance et souveraineté. Il faudra intégrer une variable de risque politique et territorial. Et se souvenir qu’un datacenter techniquement impeccable mais mal positionné dans le débat public peut devenir une dépendance fragile dans une stratégie de long terme, voire une bombe médiatique et business à retardement.


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