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Les DSI « pompiers volants » se racontent

Par Xavier Biseul, publié le 18 octobre 2023

Quels sont les avantages et les inconvénients du statut de DSI de transition ? Quelles sont les qualités requises ? Comment prospecter et quels leviers actionner ? Quatre managers de transition évoquent leur quotidien. Un métier stressant, mais qu’aucun ne voudrait quitter.

Vous avez un profil de cadre supérieur très expérimenté et vous vous sentez à l’étroit dans votre poste actuel ? Votre carrière est plutôt derrière vous et vous n’avez plus rien à prouver ? Vous préférez l’action et les challenges aux jeux de pouvoir ? Si vous répondez positivement à ces questions, vous devriez vous pencher sérieusement sur le management de transition. 

Ceux d’entre eux qui témoignent dans ce dossier ont fait ce choix, par défaut ou par vocation, il y a dix ou quinze ans, et ne le regrettent pas, en dépit du stress à enchaîner les urgences et de la précarité liée au statut. 

Ancien DSI de transition d’Ageo Assurances, de Schneider Electric ou d’Alten, c’est un changement d’emploi à l’aube de ses 50 ans qui a conduit Guy de Lussigny à réfléchir à la suite à donner à sa carrière. 

« Partant du constat qu’un DSI reste en poste en moyenne trois ans, je me suis dit autant faire du management de transition et me positionner sur des missions intéressantes. » En 2014, la première consistera à assurer la migration d’un parc de 45 000 PC chez Thales. Depuis, Guy de Lussigny a enchaîné les missions de DSI, de CTO ou de directeur de programmes, et n’a connu qu’une semaine d’intercontrat. « Je perçois le salaire d’un DSI de plus de 20 ans d’expérience, ce que je suis. »


Guy de Lussigny

« Partant du constat qu’un DSI reste en poste en moyenne trois ans, autant faire du management de transition et se positionner sur des missions intéressantes. »

DSI de transition, du management avant tout

Manager de transition pour Barclays, Harmonie Mutuelle ou Sigfox, Michel Devos a démarré, lui, en 2008, à une époque où le statut était encore atypique. Il a dû faire preuve de pédagogie et expliquer la différence avec un consultant : « Un manager de transition est un “do-er” alors qu’un consultant est un “advisor”. C’est un homme de livrables alors que le second est dans le storytelling. » 

En apportant des bonnes pratiques issues de son expérience, le manager de transition aide son client à prendre du recul ou à passer un cap délicat : « Quand une entreprise éprouve des difficultés à dérouler son plan stratégique, conduit une fusion-acquisition délicate, ou connaît une crise à la suite du départ d’un dirigeant, elle a besoin d’un pilote. C’est comme pour un tanker qui rentre au port », illustre-t-il.

Spécialiste des opérations de fusion-acquisition et des déploiements SAP, Thierry Haro insiste également sur la force de l’expérience. « S’il n’y a pas deux missions identiques, on emmène dans son sac à dos toutes les expériences acquises. Les pièges surgissent régulièrement au même endroit. Entre deux candidats, le client choisira toujours celui qui a déjà fait. »

« En portant un œil extérieur, on comprend vite que le problème vient souvent d’un manque de vision stratégique, de management ou de compréhension des enjeux, ou d’un cumul de ces différents éléments », complète Guy de Lussigny. Ce regard extérieur suppose une certaine séniorité. Les managers de transition ont presque tous exercé des responsabilités importantes et se situent dans la deuxième partie de leur carrière, passés les 45 ans.


Michel Devos

« Le manager de transition n’a pas de patron, mais un client. Il n’est pas ralenti par les processus, les enjeux de politique interne ou un plan de carrière. »

Une vraie liberté d’action

En contrepartie, Michel Devos salue la liberté d’action que lui confère le statut. « Le manager de transition n’a pas de patron, mais un client. Il n’est pas ralenti par les processus, les enjeux de politique interne ou un plan de carrière. Cela convient aux personnes qui s’ennuient au bout de deux ans de CDI. »

« Chaque mission se présente comme un nouveau job, abonde Pierre-Albert Carlier, DSI à temps partagé (lire encadré). Les résultats se voient tout de suite. Il n’y a pas les frustrations du salarié qui ne comprend pas toujours le but de son métier ou souffre d’un manque de reconnaissance. »

En revanche, un manager de transition doit s’attendre à débarquer en terrain miné. « Alors qu’un nouvel arrivant en CDI a une centaine de jours pour prendre ses marques, le manager de transition a une centaine d’heures pour poser un diagnostic et valider la feuille de route, note Michel Devos. Il s’agit de vite comprendre l’organigramme, mais aussi le sociogramme, c’est-à-dire l’organigramme caché qui décrit les véritables interactions entre les personnes. »

Briser la glace suppose une évidente aisance relationnelle, des capacités d’analyse et une adaptabilité à toute épreuve. Loin d’apparaître en sauveur, le manager de transition doit faire preuve d’humilité pour se fondre dans un univers difficile voire hostile. « Nous sommes sans arrêt sous pression, avertit Michel Devos. Il faut avoir une très bonne santé physique et psychologique. Une personne avec des fragilités doit éviter cette voie. »

Pour Guy de Lussigny, le DSI de transition doit aussi, au fil des années, devenir un spécialiste de l’entreprise et de ses grands métiers : « Il doit avoir une très bonne connaissance de ses modes de fonctionnement afin de pouvoir conseiller une entreprise sur sa stratégie globale, et comment l’informatique peut la supporter. Cela suppose de maîtriser les grandes fonctions de
l’entreprise : les RH, la finance, la supply chain, la production… 
»

La précarité du statut de DSI de transition

En dépit de l’intérêt des missions et de l’adrénaline qu’elles procurent, le statut revêt une forme de précarité, avec une couverture sociale moindre que le salariat et une variabilité des revenus. Pierre-Albert Carlier a connu des variations de son chiffre d’affaires dans un rapport de un à quatre. 

« Les années pleines, toutes les planètes sont alignées, explique-t-il. Je travaille en régie la semaine et au forfait le soir ou le week-end. En jouant avec le décalage horaire, il est même possible de faire un jour et demi de travail en une journée. Et puis, dans les années creuses, rien ne marche. Les projets sont décalés ou leurs périmètres restreints. Il faut savoir anticiper. Mais dans les deux cas, c’est stressant. »

Un stress qui peut conduire certains managers à accepter un CDI à la fin d’une mission. Ce que refuse catégoriquement Pierre-Albert Carlier. À ses yeux, le management de transition ne doit pas servir de préembauche. « Si l’intention de l’entreprise n’est pas claire dès le départ, cela fausse le jeu. C’est pareil avec les professionnels qui cherchent à la fois à décrocher un CDI et à faire du management de transition. Le flou n’est pas bon pour la confiance. »

La force des réseaux

En termes de prospection commerciale, tous ces managers se rejoignent pour saluer la force des réseaux. « Faire de la prospection commerciale dans le vide, même en ciblant les entreprises qui ont un besoin identifié, cela ne sert à rien, estime Pierre-Albert Carlier. Il vaut mieux travailler son réseau. Contribuer à la résolution d’un problème sur un média social vous fait marquer des points. » 

Guy de Lussigny capitalise sur LinkedIn et le marketing digital. « Il faut généralement une dizaine de pistes, qui mèneront à quatre entretiens avec des clients finaux, pour aboutir à une mission. » Membre de la communauté Infortive, un réseau de 75 DSI de transition, Thierry Haro apprécie, lui, l’échange entre pairs sur les bonnes pratiques tirées de retours d’expérience ou des sujets d’actualité comme ChatGPT. 


Thierry Haro

« Même s’il n’y a pas deux missions identiques, on accumule toutes les expériences acquises. »

Également membre de la communauté Infortive, Pierre-Albert Carlier s’appuie sur le réseau des anciens de LVMH tout en menant des actions plus traditionnelles. « Chaque année, j’envoie de 200 à 300 cartes de vœux à mes contacts professionnels, d’anciens clients ou collègues, ou des associés des cabinets de management de transition. Cela me ramène toujours au moins une affaire. »

Cumul emploi retraite

Enfin, une dernière question taraude nos DSI de transition. Faut-il enchaîner les missions ou bien faire un break salutaire avec le risque de se faire oublier ? Michel Devos préfère, pour sa part, enchaîner rapidement. « Un manager de transition doit raisonner en chiffre d’affaires et non en salaire. Il peut décider de travailler plus ou moins tout en étant soumis à la loi de l’offre et de la demande. Si la période Covid a été compliquée, le marché est aujourd’hui sous tension. »

Certains managers se ménagent au contraire des pauses de plusieurs semaines voire plusieurs mois. Une sorte de retraite avant l’heure pour partir en voilier ou découvrir de nouvelles destinations exotiques. D’autres en profitent pour se mettre à niveau et se former à de nouvelles technologies. Enfin, des DSI cumulent emploi et retraite. Ils peuvent, dès lors, se montrer très sélectif sur la nature des missions qu’ils acceptent et les espacer à leur guise.


Comment gérer de deux à cinq clients en même temps ?

À la différence de la plupart des managers positionnés sur des missions à temps plein, Pierre-Albert Carlier a fait le choix d’exercer à temps partagé. Entre les missions de conseil opérationnel, de coaching de DSI ou d’intérim, il gère entre deux et cinq clients, avec une moyenne à trois. Ce modèle multi-clients présente un certain nombre d’avantages. « Je n’ai pas besoin de faire de la prospection en continu. Quand un client s’arrête, les autres continuent, le flux des affaires se maintient. » Ce qui lui permet d’afficher un taux d’occupation plus élevé que ses confrères. 

Le manager a fait le choix de la transparence. « Mes clients savent quelles sont mes missions en parallèle. J’en parle librement. » Il établit un compte-rendu hebdomadaire avec le reporting de la semaine écoulée et ce qu’il prévoit de faire la semaine suivante. « Je donne de la visibilité sur mon calendrier avec des jours attribués à chaque client, tout en gardant de la souplesse pour chambouler le programme le cas échéant. » Autre atout du mode multi-clients : il peut prendre une journée « off » pour se détendre ou se former sans avoir à le justifier. 

La gestion du travail peut toutefois s’avérer complexe. Avec des clients basés à Paris, Hong Kong ou Périgueux, Pierre-Albert Carlier réalise un tiers de son activité à l’international et doit jongler avec les distances et les fuseaux horaires. Le passage à l’heure d’été a ainsi chamboulé son emploi du temps. Le point quotidien de 7h30 avec son client de Hong Kong s’est retrouvé décalé d’une heure. Il passe désormais le « call » sur le site d’un autre client. Ce qui suppose une certaine tolérance de la part de ce dernier.


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