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Quand le DSI de transition marque des points

Par François Jeanne, publié le 08 septembre 2023

Dans l’aspiration du phénomène du freelancing, le management de transition marque des points ces dernières années en France, et les DSI expérimentés en profitent. Et pas seulement les seniors en mal de reconversion. Le rajeunissement des candidats et la féminisation des managers progressent. Face à eux, les entreprises comprennent mieux le potentiel de ces contrats et en redemandent. Les cabinets d’intermédiation font tout pour cela.

Il y a clairement un air de déjà vu avec le management de transition. Des chiffres d’affaires en forte progression dans les cabinets d’intermédiation (+39 % en 2022 toutes fonctions confondues), des rémunérations attractives (plus de 1 250 euros facturés par jour en moyenne), des professionnels épanouis et qui ne changeraient de statut pour rien au monde… Voilà qui rappelle les études sur le freelancing et notamment notre dossier du début de l’année (voir IT For Business n°2280). Rien d’anormal à cela : ce secteur peut être regardé comme un sous-ensemble du précédent, avec notamment une part importante des prestations qui sont encaissées par des cabinets d’intermédiation (les deux tiers selon France Transition), le reste étant facturé directement par l’indépendant.

« Notre trentaine d’adhérents représentent environ les deux tiers du marché de l’intermédiation, calcule le président de la fédération France Transition, Benoit Durand-Tisnes. Grâce au baromètre que nous avons instauré avec le cabinet Xerfi, nous estimons le volume global facturé en France à 700 M€ en 2022. » Ce chiffre prend en compte l’ensemble des métiers concernés. Ceux de l’IT n’en représentent que 11,5 %, en forte progression relative toutefois, puisqu’ils n’étaient qu’à 6,5 % en 2019. Ils participent ainsi largement à l’accélération constatée de la demande : « Les 39 % d’augmentation en volume viennent après des années de hausse moyenne annuelle aux environs de 15 %. »

Il faut dire que, côté entreprises, les efforts de pédagogie des quelque 230 cabinets d’intermédiation semblent payer. Les directions des achats ont même, selon France Transition qui a travaillé avec Veritas pour définir une charte, intégré dans leur arsenal administratif les contrats à passer avec les managers de transition. « Il y a aussi des influenceurs dans les organigrammes, en particulier au niveau des métiers qui commencent tous à avoir entendu parler de missions de ce type réussies », raconte ainsi Aristide Varvounis, cofondateur et partner du cabinet Weem. « 96 % des clients ayant déjà fait appel à ces prestataires sont prêts à recommencer », complète Benoit Durand-Tisnes.


« Cela commence dès la quarantaine, avec des professionnels qui ont une quinzaine d’années d’expérience dans l’IT et trois ou quatre ans dans la fonction de DSI. »

— Leslie Garçon, cofondatrice et partner chez Weem

Une compétence pour franchir un cap

Toutes les tailles d’entreprises sont concernées : les grands groupes, notamment sur des directions de projets complexes, à l’exemple de celui mené par Linda Djaoud dans la banque (voir encadré) ; les ETI, souvent pour des remplacements au pied levé de DSI et, plus généralement, des recherches de solutions à des situations de crise ou de transition qui peuvent être techniques (cyberattaque, bascule vers le cloud, etc.) ; et même les PME voire les start-up, où l’expérience du DSI dans la mise en place des architectures et des équipes sera recherchée, souvent en temps partiel pour des questions de budget disponible, comme l’explique Sébastien Deldon (voir encadré) : « Il y a une prise de conscience du retard pris dans la mise en place du numérique dans le quotidien et que le DSI en place (ou pas) n’avait pas le temps de prendre en charge. On me dit que je suis après la virgule, celui qui permet de passer de 1 DSI à 1,2 DSI pour franchir le gap. » Autres cas fréquents, les fusions de sociétés ou, au contraire, les carve-out génèrent des besoins importants, le manager de transition étant alors celui qui prépare le terrain au futur responsable de la DSI à reconstruire, quitte à prendre les mauvais coups à sa place.

Les missions durent en moyenne huit mois, avec une fourchette de six à neuf mois. « Il y une massification du marché, estime Leslie Garçon, cofondatrice et partner chez Weem. De toutes façons, compte tenu de la pénurie dans le secteur IT, il n’est plus possible pour les clients de ne pas prendre en compte cette offre. » Son cabinet revendique ainsi jusqu’à 500 profils répertoriés pour les métiers de l’IT. « Côté générationnel, cela commence dès la quarantaine [40 % de l’annuaire de Weem, NDLR], avec des professionnels qui ont une quinzaine d’années d’expérience dans l’IT et trois ou quatre ans dans la
fonction de DSI… ou qui arrivent aux fonctions de management via le conseil puis la direction de projets. »

52 ans d’âge moyen

L’âge moyen du manager de transition reste pourtant élevé et constant, à 52 ans selon France Transition. « Mais les cinquantenaires d’aujourd’hui sont en quelque sorte plus jeunes, en tous cas plus au fait des nouveautés technologiques et à l’aise avec les transformations en cours dans les entreprises », sourit Benoit Durand-Tisnes. Thomas Hossenlopp (voir dernière page du dossier) se rappelle même qu’à ses débuts en 2013, il a surpris les recruteurs. « À 45 ans alors, je n’avais pas l’âge du rôle. Dans ce métier, on croisait beaucoup de retraités ou pré-retraités. Aujourd’hui, il y a des managers de transition de toutes les générations. »


« Les premiers contrats sont assez faciles à trouver. Lorsque cette source se tarit, le candidat se tourne souvent vers des cabinets comme le nôtre. »

— Pierre Raschi, directeur général ventes et opérations chez Référencer

Il reste, et c’est heureux dans un pays qui peine tant à maintenir les seniors dans l’emploi, que le rôle de manager de transition va comme un gant aux DSI expérimentés, tel Kostas Voyiatzis, l’ex-DSI du groupe Edenred (voir encadré). Lequel a parfaitement su exploiter son réseau personnel pour rebondir après son départ de l’entreprise. Au point de se dire que, même à l’âge de la retraite désormais, il aimerait bien continuer à temps partiel cette activité qui le passionne toujours. Il faut dire que la position peut être gratifiante pour l’estime de soi : « Le manager de transition, c’est celui à qui on délègue une mission importante. Mais comme à un pair, pas comme à un subordonné », rappelle Pierre Raschi de Référence DSI, spécialisé dans les offres de DSI en temps partagé. Sa consœur Carine Paul, directrice de mission BU Services chez Delville Management (15 % du CA en IT), abonde : « Il est souvent surdimensionné par rapport à la mission, pour en augmenter les facteurs de succès. Il peut aussi y avoir une dimension de transmission, surtout en seconde partie de carrière pour le manager. »

Le fameux réseau, bien plus dense après des années dans la fonction, est évidemment à solliciter lorsque, suite à un accident de carrière ou bien par choix de vie, le tout nouveau freelance démarre. « Les premiers contrats sont assez faciles à trouver pour lui, confie Pierre Raschi. C’est plutôt lorsque cette source se tarit, et qu’il faut prospecter, que le candidat se tourne vers des cabinets comme le nôtre. »

Il y a alors fort à parier que, lors des entretiens d’analyse de sa candidature, la question de ses motivations lui sera posée. Il y a unanimité de nos différents témoins à souligner, comme Sébastien Deldon, la nécessité de « lever l’ambigüité, avec lui-même et avec son client. S’il cherche à se faire embaucher au final, il faut que ce soit clair. Sinon, sa mission en pâtit ». La bonne nouvelle, pour ceux qui se verraient plutôt « en transition » que « manager de transition durable », c’est que ces mêmes témoins se sont tous vus proposer des CDI, un jour ou l’autre, par les entreprises qui les avaient sollicités. Et ils ont tous refusé. Sauf Raphaël Desberg, qui a fait le chemin en sens inverse (voir encadré).

La rémunération, un point annexe ?

Est-ce pour la rémunération, souvent présentée comme fort attractive avec un TJM de 1 281 euros HT affiché par France Transition, mais souvent amputée d’une ponction de la part des cabinets d’intermédiation qui peut aller jusqu’à 35 % ? Non, répond Sébastien Deldon, qui privilégie le rééquilibrage vie perso/vie pro, et prend donc plus de congés. D’autres sont plus nuancés et disent avoir été agréablement surpris lors des négociations de leurs premiers contrats.

Comme tout freelance, le manager de transition est de toute façon plus exposé au risque qu’un salarié. « Il y a eu de nombreux contrats arrêtés pendant la période Covid, et ils ont été difficiles à remplacer sur le champ », rappelle Pierre Raschi. Le freelance n’a pas non plus accès à certains avantages liés au salariat, que l’on parle de véhicule de fonction ou de tickets restaurant. Qu’importe. « Il y a là aussi des jeunes hommes ou femmes qui ont envie de travailler sur un autre rythme, par exemple à temps partiel, ou à distance de l’entreprise. Ils sont moins attirés par les plans de carrière que par des projets, et motivés par la quête de sens », analyse Leslie Garçon.

Sur la parité, la part des femmes remonte dans les effectifs des managers de transition. Un consensus la situe aux alentours de 30 %, deux fois plus qu’il y a cinq ans. Carine Paul y voit la conséquence d’une féminisation de toutes les fonctions dans l’entreprise, y compris dans les directions métiers qui seront les clients de ces freelances. Une autre explication avancée tiendrait au fait que les femmes sont moins enclines aux jeux de pouvoir existant dans l’entreprise. Le manager de transition étant attendu sur des décisions et actions concrètes, ce rôle leur conviendrait mieux.

Reste que, hommes ou femmes, ils ont tous un jour à connaître l’angoisse de la fin du contrat qui se rapproche et de la recherche du suivant. Raphaël Desberg le reconnaît : « Il est difficile de se donner à fond dans son rôle de manager de transition si, par ailleurs, on doit lever régulièrement le nez du guidon pour prospecter le marché et trouver la mission d’après. Cela peut justifier le recours à des intermédiaires. »


« Le manager de transition est souvent surdimensionné par rapport à la mission. Cela en augmente les facteurs de succès. »

— Carine Paul, directrice de mission chez Delville Management

« C’est pour cela que nous existons, rappelle Carine Paul. Pour les soulager des aspects commerciaux liés à leur statut. » Mais pas seulement ! Les cabinets travaillent aussi le matching des candidats avec les entreprises. « Certains clients ont besoin de freelances extravertis, d’autres le contraire, avance Aristide Varvounis. Nous faisons en sorte que les profils correspondent. »

Il y a de fait bien des possibilités pour ceux qui abordent ce nouveau rôle, qu’ils l’imaginent provisoire en attendant un CDI, ou plus pérenne pour profiter d’une autre qualité de vie. Si la conjoncture et la pénurie de professionnels leur est incontestablement favorable, à eux, peut-être, d’aller au-delà d’un positionnement seulement opportuniste. Le management de transition mérite réflexion, côté client comme côté prestataire, sur le sens que l’on donne à des mots comme « transformation », « délégation » ou « mission ». Les candidats éventuels au grand saut peuvent par exemple se tourner vers les cabinets d’outplacement qui sauront les aider dans leur réflexion et analyser leur profil, notamment leur appétence au risque et à l’inconnu. Comme le conclut Raphaël Desberg : « La transition, par définition, c’est du mouvement. Nous arrivons dans une situation A et savons que nous devrons partir dans une situation B. La difficulté, mais aussi la beauté du métier, c’est de deviner ce que doit être B, le client ne le sachant lui-même pas toujours. » 


Kostas Voyiatzis

« Un seul regret, ne pas avoir commencé plus tôt ! »

« Forcément, quand cela vous arrive, il y a un peu de stress et la peur de l’inconnu. » Même s’il s’était préparé en échangeant avec ses pairs du Cigref sur les imprévus qui risquaient de marquer ses dernières années de parcours professionnel, Kostas Voyiatzis, ancien DSI d’Edenred, reconnaît son appréhension quand il a quitté son poste fin 2020. Elle n’a pas duré longtemps : « J’ai très vite été contacté par d’anciens confrères, qui m’ont confié des missions de management de transition immédiatement. Jusqu’à ce début d’année, j’ai été occupé à plein temps. »

Selon lui, ce ne sont pas les clients potentiels qui manquent : il y a les grands groupes qui engagent des spin-off et ont besoin de professionnels capables de piloter le découpage du système d’information ; d’autres au contraire qui se regroupent et souhaitent fusionner des back-offices ou des front-offices ; et un tissu très dense en France d’ETI ou de grosses PME, lancées dans leur transformation numérique, qui souhaitent profiter de l’expérience d’un DSI ayant déjà vécu ces grandes évolutions.

Les opportunités peuvent lui parvenir par LinkedIn, par son réseau personnel ou via les quelques plateformes qui référencent ces managers de transition. « Après ces trois années, je regrette surtout de ne pas avoir osé franchir le pas plus tôt », sourit Kostas Voyiatzis. Un message ultra-positif à l’intention de ceux qui appréhendent leur fin de carrière. Il est réjouissant de se dire qu’on peut devenir entrepreneur et réussir à tout âge.


Sébastien Deldon, ISI-DSI

Les vertus de la fidélité à un secteur

Lorsqu’en 2019, il annonce à l’association qui l’emploie depuis 18 ans et où il est devenu DSI, qu’il devient indépendant, Sébastien Deldon a une surprise : « Ils m’ont demandé si j’acceptais de devenir DSI à temps partiel pour eux, le temps du recrutement et de l’acclimatation de mon remplaçant. » Et c’est justement cette voie du temps partagé, pour regagner du temps et un équilibre, qu’il a choisie. « Le management de transition est venu après, au hasard de certaines missions, et toujours dans mon secteur de prédilection, celui du social et de la santé. » Il a été par exemple sollicité pour un projet de déploiement de projets applicatifs et d’infrastructure, encadrant une équipe de quatre à cinq personnes, alors que le DSI en place était ocupé sur des aspects stratégiques. « J’ai également été approché pour accompagner un DSI qui prenait ses fonctions, dans une mission de coaching cette fois-ci ».

S’il reconnaît que son niveau de vie n’a pas augmenté, c’est pour ajouter aussitôt que ce n’était pas forcément l’objectif. « Le but, c’était une meilleure qualité de vie, et il est atteint. » D’autant qu’il a monté une structure, petite par vocation et qui le restera, pour réunir désormais sept DSI en temps partagé et autant de chefs de projets. « ISI-DSI nous permet de mutualiser les aspects commerciaux et administratifs ; c’est aussi un lieu de partage de connaissances entre professionnels. Nos clients savent que le vendredi est réservé au travail d’équipe. Ce travail finit toujours par lui servir par rebond », conclut-il. Le DSI en temps partagé a aussi besoin de temps de partage…


Raphaël Desberg, DSI du groupe Edilians

Le voyage dans l’autre sens

Aujourd’hui DSI du groupe Edilians, Raphaël Desberg a fait le parcours inverse de celui de la plupart des managers de transition. « J’ai plutôt commencé par-là », explique-t-il. Après quelques années en SSII en effet, il décide de créer sa propre structure de services pour se libérer des contraintes commerciales de son ancien rôle et pouvoir vraiment conseiller ses clients en toute objectivité par rapport aux fournisseurs.

Un positionnement qui leur convient si bien que plusieurs d’entre eux commencent à lui confier des missions liées à la gouvernance de leur système d’information, à lui demander des aides au recrutement, du coaching, du pilotage de gros projets… « C’était surtout en temps partagé et pour des PME/ETI. Mais je n’ai jamais formalisé cette offre de management de transition », précise-t-il.

Au bout de douze ans, il revend sa société à une société de conseil puis, deux ans plus tard, la quitte pour rejoindre le groupe Vicat en tant que directeur des projets stratégiques – dont la création d’une digital factory en mode start-up. En 2021, il devient DSI du groupe Edilians : l’entité lui a demandé de reprendre la Direction informatique qui avait été confiée pendant plusieurs mois à… un manager de transition.


Linda Djaoud

La liberté de choix en plus

Linda Djaoud, ex-consultante chez Deloitte, a sauté le pas il y a cinq ans pour poursuivre une activité qui la passionnait avec une meilleure maîtrise de son temps et de sa qualité de vie. « La diversité des missions et des clients est ce qui m’a le plus attirée dans ce nouveau rôle. C’est une prolongation de ce que je faisais en cabinet de conseil, la liberté de choix en plus ! »

Après un premier contrat pour accompagner la transformation digitale de huit institutions de micro-finance en Afrique (sous l’égide de l’AFD), elle collabore depuis trois ans avec une grande banque engagée dans un programme de transformation de son serveur mainframe. « Je ne suis pas dans des rôles de DSI ; mais je pilote de grands projets IT transverses et coordonne les travaux des équipes fonctionnelles et techniques qui y contribuent. »

Même si elle continue de travailler beaucoup, son bilan est largement positif. Elle contribue activement aux projets de transformation IT de ses clients, mettant au cœur de sa stratégie la valeur ajoutée qu’elle leur apporte et leur satisfaction, et continue de se former pour aller toujours plus loin dans les projets qu’elle accompagne. Carnet de commandes toujours plein, Linda Djaoud ne néglige jamais son réseau. « Je pense que pour bien réussir en tant que consultant freelance, il faut continuellement le cultiver, aller vers les autres et se faire connaître… En parallèle de mes missions, je suis senior advisor au sein de Weem et participe activement à son développement. D’abord pour faire rayonner le freelancing auprès des clients, mais aussi pour continuer de rencontrer des pairs et nous enrichir mutuellement de nos expériences. »


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