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66 % des dirigeants incapables de former leurs équipes à l’IA

Par Thierry Derouet, publié le 05 avril 2024

Une étude du Groupe Adecco révèle les réticences des managers à former les équipes existantes à l’IA et confirme un retard manifeste dans la digitalisation des entreprises.

Une récente étude menée par le Groupe Adecco auprès de 2.000 dirigeants « C-levels » dans neuf pays clés*, dont la France, met en lumière une réalité inquiétante : « la majorité des chefs d’entreprise ne comptent pas former leurs équipes à la maitrise de l’IA ».

Nos dirigeants ont pourtant un mandat clair pour l’adoption de l’IA : 61 % d’entre eux considèrent que l’IA va changer la donne. Côté salarié, même constat : 62 % des salariés s’attendent à ce que la technologie ait un impact positif sur leur rôle.
Pourquoi ça coince ? C’est ce qu’a cherché à comprendre cette étude. Denis Machuel, CEO du Groupe Adecco, reste optimiste : « Il est évident que de nombreuses entreprises adopteront rapidement ces nouveaux outils passionnants ; ce que nous savons maintenant, c’est que les plus performantes le feront en plaçant les personnes au cœur de leur stratégie en matière de talents. »
Mais de quels talents parlons-nous ? Nos entreprises sont-elles réellement convaincues par l’importance de cette révolution que l’IA peut apporter à leur business ?

Des CEO et des CFO convaincus pour eux mais pas pour les autres

Dans cette étude, les CEO (51 %) et les CFO (50 %) — donc occupant des postes stratégiques — sont moins convaincus par exemple des bénéfices que l’IA peut apporter que leurs homologues aux manettes de postes plus opérationnels. Cette situation ne peut pas perdurer. Si les décideurs ne comprennent pas les opportunités commerciales de l’IA, comment peuvent-ils définir la stratégie d’investissement qu’il leur a été suggéré ?

Les directions : le maillon faible de l’IA ?

57 % des dirigeants estiment que leur équipe n'est pas adaptée pour gérer la transition vers l’IA

Adecco a également essayé de comprendre pourquoi 57 % des dirigeants estiment que leur équipe n’est pas adaptée pour gérer la transition vers l’IA. La réponse serait liée à un sérieux manque de compétences, et ce au plus haut niveau, une majorité de nos 2.000 cadres déclarant qu’ils n’ont pas confiance dans les compétences de leur équipe de direction en matière d’IA. Ne dit-on pas que « le poisson pourrit toujours par la tête ? »

Selon Adecco, pour faire face aux bouleversements de l’IA, c’est pourtant aux dirigeants qu’il appartient d’adopter un état d’esprit « adaptatif » – et rapide. Adecco souligne avec insistance que « lorsque les dirigeants ne sont pas prêts, c’est toute l’organisation qui prend du retard ». Les équipes dirigeantes n’auraient ainsi pas les compétences et les connaissances nécessaires pour comprendre l’IA et seraient donc moins susceptibles de fournir à leur personnel des compétences et des conseils. Pour rallier leur personnel aux opportunités offertes par l’IA, les dirigeants doivent montrer qu’ils sont déterminés à en apprendre davantage sur le sujet. Une simple question d’acculturation comme de « mindset » ?

Une digitalisation à la traine, le véritable sujet ?

Cette étude montre également que la digitalisation des entreprises est à la traine, avec seulement 11 % des dirigeants qui affirment avoir réalisé des progrès significatifs dans ce domaine au cours des dernières années. Les dirigeants français sont particulièrement en retard, avec seulement 9 % ayant progressé dans la digitalisation, contre 14 % aux États-Unis.

Des dirigeants conscients de devoir s’y mettre

Nos dirigeants sont donc lucides et reconnaissent qu’il est de leur responsabilité d’inspirer les salariés afin de leur donner les moyens de rester « employables » tout au long de leur vie professionnelle. Les entreprises déclarent ainsi agir depuis ces dernières semaines et dans les mois à venir : 81 % d’entre elles renforcent le développement de leur leadership cette année, essentiellement au Canada (90 %) et au Royaume-Uni (85 %). La France (78 %), l’Allemagne (78 %) et l’Espagne (76 %) sont sur ce point légèrement à la traine.

Toutefois, les décideurs n’agissent pas assez vite : plus de la moitié des entreprises doivent encore élaborer un cadre pour utiliser l’IA de manière responsable, alors que 51 % des salariés se disent préoccupés par l’utilisation éthique de l’IA. Adecco met en avant l’idée que dès le départ, les entreprises doivent créer un cadre pour l’utilisation éthique et responsable de l’IA. Car l’IA façonne le recrutement et aura un impact important sur la stratégie de talents. Les politiques responsables en matière d’IA sont essentielles pour obtenir l’adhésion de l’ensemble de l’entreprise, instaurer la confiance et prendre de l’avance dans l’adoption de l’IA.

Une IA éthique et responsable à déployer

L’utilisation responsable de l’IA est un autre domaine dans lequel la France est à la traine, avec seulement 45 % des dirigeants ayant mis en place un cadre éthique interne et des règles de conformité, contre 51 % aux États-Unis. Cette situation souligne l’urgence pour les entreprises françaises de développer des lignes directrices éthiques et des règles d’utilisation de l’IA adaptées à leur organisation, car la majorité d’entre elles n’ont pas encore franchi cette étape cruciale.

66 % des chefs d’entreprises privilégient le recrutement externe

La solution pour Adecco sonne comme une évidence : elle passe par la formation massive des salariés comme des cadres supérieurs. Or cette étude révèle que nos entreprises ont une préférence pour le recrutement externe plutôt que pour la formation des équipes existantes. Et le résultat est écrasant, avec 66 % des chefs d’entreprise préférant cette option.

Cette tendance révèle une méfiance profonde envers la capacité de leurs propres équipes à s’adapter aux exigences technologiques contemporaines. Et cela se traduit dans les faits par ce chiffre : seuls 43 % des dirigeants ont mis en place des programmes de formation pour combler cette lacune. Seulement la moitié d’entre eux offre des conseils internes sur l’utilisation de l’IA au travail. Un comble quand la majorité des dirigeants affirme que « la GenAI sera essentielle pour améliorer les compétences et le développement, ainsi que pour encourager la mobilité interne. »

“Le recrutement de talents hors de l’entreprise constitue une réponse à court-terme, mais elle ne peut pas suffire.

Si la majorité des dirigeants a pleinement conscience de la révolution engendrée par l’intelligence artificielle, les moyens déployés pour se l’approprier ne sont pas encore suffisants.”

Denis Machuel  
CEO du groupe Adecco

Ce manque de confiance envers leurs équipes est souligné par cette autre affirmation où l’on apprend que « les dirigeants affirment qu’ils accordent plus d’importance aux qualités humaines — créativité, empathie, esprit d’innovation — qu’aux connaissances technologiques ». Ils affirment également qu’ils ont besoin de plus de ces qualités, car la « créativité et l’innovation » constituent la plus grande lacune en matière de compétences aujourd’hui.

Des salariés plus adaptés à des tâches répétitives qu’à être créatifs ?

Pourtant le développement d’une culture de l’IA au sein de la main-d’œuvre pourrait être la solution : elle réduit le fardeau des tâches répétitives, ce qui permet aux employés d’être plus créatifs. Mais visiblement cela ne serait pas la première des qualités qu’ils reconnaissent à leurs propres salariés.

Selon Adecco cette approche risque à terme de créer une « pénurie de compétences » et de faire grimper les salaires. L’état d’esprit qui correspond à aller chercher les talents à l’extérieur de l’entreprise peut également créer une main-d’œuvre à deux vitesses. Car seule la moitié des dirigeants affirment qu’ils re déploieront les employés touchés par l’IA et 41 % d’entre eux s’attendent à employer moins de personnes d’ici cinq ans.

L’externalisation des compétences en IA et dans d’autres domaines spécialisés comme la data science est perçue comme une solution à court terme face à la révolution numérique. Un chiffre doit tous nous interpeler : seulement 34 % des dirigeants envisagent de former leurs employés à l’utilisation de l’IA. Seul petit rayon de soleil pour notre hexagone : « les dirigeants français se démarquent en privilégiant la réorientation de leurs collaborateurs vers d’autres postes en cas d’impact de l’IA sur leur emploi (51 % des dirigeants français contre 46 % au niveau mondial) ». La belle affaire ?

* Étude « Leading through the great disruption » réalisée entre octobre et décembre 2023 auprès de 2.000 dirigeants et cadres supérieurs dans neuf pays, dont la France, l’Allemagne, l’Espagne, le Royaume-Uni, le Canada, les États-Unis, l’Australie, le Japon et Singapour.


Les 5 recommandations d’Adecco

1/ Sensibiliser l’ensemble du personnel à l’IA :

– Sensibiliser l’ensemble du personnel — y compris les dirigeants — à l’impact, à la pertinence et à l’opportunité de l’IA.
– Fournir une formation et des conseils pour garantir une utilisation responsable de l’IA dans l’ensemble de l’organisation.
– Répondre à la perturbation de l’IA avec plus d’urgences, en dépassant la phase d’expérimentation tout en garantissant la valeur commerciale.

2/ Intégrer le leadership adaptatif :

– Développer les connaissances en matière d’IA par des mises à jour contextuelles régulières afin de suivre le rythme du changement.
– Intégrer un état d’esprit adaptatif en offrant aux dirigeants des possibilités de coaching régulières.
– Renforcer les programmes de développement du leadership en mettant l’accent sur la gestion des changements complexes et de l’incertitude.

3/ Démarrer avec un cadre d’IA responsable :

– Adopter une approche de la transformation technologique centrée sur les personnes en protégeant l’employabilité et non les emplois.
– Veiller à ce que les politiques liées à l’IA et la planification de la main-d’œuvre tiennent compte de l’inclusion, de la sécurité, de la transparence, de la vie privée et de la responsabilité.
– Les dirigeants doivent répondre aux préoccupations de manière transparente et positive afin de créer plus de confiance, d’ouverture et de plaidoyer.

4/ Intégrer la mobilité interne :

– Aligner la stratégie en matière de talents sur le passage fondamental à une économie fondée sur les compétences et non plus sur les emplois.
– Fournir des conseils transparents sur les compétences nécessaires pour les prochaines étapes de la carrière et promouvoir des parcours de carrière non linéaires pour tous les travailleurs.
– Célébrer et renforcer les compétences transférables en garantissant autant d’opportunités de redéploiement que possible pour la main-d’œuvre en place.

5/ Accompagner les compétences humaines :

– Promouvoir le développement des compétences propres à l’être humain en développant les leurs grâce au coaching, à la formation et au développement du leadership.
– Libérer le temps des travailleurs pour qu’ils se concentrent sur le travail requérant des compétences humaines : faire un objectif de la place de l’IA dans les process de travail.

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