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Plateformes agentiques : l’autonomie des métiers, nouvelle frontière du no-code

Par Thierry Derouet, publié le 09 octobre 2025

Pour Stéphane Roder, CEO d’AI Builders, et Pauline de Lavallade, Head of AI Builders Research, le sujet n’est plus de savoir si les agents IA vont transformer l’entreprise, mais par qui cette transformation sera portée. Leur étude, un benchmark de 29 plateformes no-code et low-code, en a retenu 19, capables de faire émerger une nouvelle manière de travailler : l’autonomie gouvernée.

«Les cas d’usage à faible ROI, c’est trop petit pour un data office », lâche Stéphane Roder, le regard pétillant. Trop petit, sans doute, pour figurer dans un plan de transformation. Mais trop nombreux pour être négligés. Car dans les grandes organisations, les micro-cas d’usage pullulent. Un script d’automatisation, un assistant pour trier des mails, un agent qui rédige une synthèse… Pris isolément, le gain semble marginal. Additionnés, ces gestes répétés chaque jour par des milliers de collaborateurs finissent par déplacer les montagnes.

« La somme de ces petits cas d’usage, faite par ceux qui font le travail, vaut plus que quelques grands projets », résume le fondateur d’AI Builders. C’est tout l’enjeu de cette « longue traîne » de la productivité, désormais au cœur du benchmark que son équipe vient de publier : l’AI Decision Matrix des plateformes agentiques no-code et low-code.

Du data office centralisé au Self AI fédéré

Présentée le 9 octobre 2025 par AI Builders Research, l’étude dirigée par Pauline de Lavallade dresse un constat sans appel : le modèle historique des data offices, concentré sur les 20 % de cas d’usage générant 80 % de la valeur, a atteint ses limites. Ces dix dernières années, les organisations ont su industrialiser les “gros” projets data, rationaliser leurs processus et bâtir des architectures solides. Mais au prix d’un angle mort : toute une constellation d’usages “à faible ROI” — modestes, empiriques, souvent locaux — restée hors radar.

Avec l’émergence du Self AI, ces usages refont surface. Les collaborateurs veulent désormais créer leurs propres outils, leurs propres agents, leurs propres automatisations. Ce n’est plus un élan d’initiative : c’est une attente. Et pour y répondre, il faut réinventer la gouvernance.

« Les entreprises doivent évoluer vers un modèle de Data Office fédéré, capable d’encadrer cette production décentralisée », explique Pauline de Lavallade. En d’autres termes : la DSI ne peut plus tout faire — elle doit apprendre à orchestrer l’autonomie.

Cartographier le marché de l’autonomie

Pour cette édition, l’équipe d’AI Builders Research a passé 29 plateformes au crible, dont 19 ont été retenues. Le travail, minutieux, s’est appuyé sur des critères mêlant technologie et usage : la connectivité aux grands modèles de langage, la traçabilité des agents, la qualité de la documentation, la maturité des communautés open source, la conformité réglementaire — RGPD et AI Act —, mais aussi la facilité d’accès pour des profils non techniques.

« Sans métriques d’adoption ni logs d’usage, on pilote à l’aveugle », insiste Pauline de Lavallade. Derrière la promesse d’autonomie, l’équipe d’AI Builders rappelle que la rigueur doit précéder la liberté.

Trois grands types de plateformes émergent de ce benchmark.

Les premières, dites orientées workflows, comme OpenAI Agent Builder, Mindflow ou n8n, séduisent les profils techniques. Le principe : un environnement visuel en drag & drop, où l’on assemble des chaînes d’actions, des appels d’API, des modèles d’IA. De puissantes mécaniques, capables d’orchestrer des processus complexes, mais qui exigent une vraie acculturation technique. « N8N, c’est super, on peut tout faire… mais quand on rentre dedans, c’est un peu plus galop », sourit Stéphane Roder.

Les secondes, plus spécialisées, comme Prisme.ai, Konverso ou Dust, parlent la langue des métiers. Ici, pas besoin de coder : une interface claire, des agents prêts à l’emploi, des modèles qui comprennent le langage naturel. Dust a même recodé pour Doctolib un connecteur Salesforce sur mesure — un investissement de plusieurs semaines, mais rentable sur la durée. Ces outils privilégient la rapidité, la simplicité et l’adoption. Ils incarnent l’âme du Self AI.

Enfin, les troisièmes, intégrées à un écosystème, rassemblent les géants du cloud : Microsoft Copilot Studio, Amazon Bedrock Agents, Agentforce, ServiceNow. Leur force réside dans l’intégration, la sécurité, la scalabilité. Leur faiblesse, dans la dépendance : tout est fluide, à condition d’accepter le cadre. « Les coûts restent flous, observe Pauline de Lavallade. On parle de facturation “par message” sans jamais dire ce qu’est un message. »

Du low-code technique aux plateformes métiers, jusqu’aux écosystèmes intégrés : la cartographie du Self AI.

Du low-code technique aux plateformes métiers, jusqu’aux écosystèmes intégrés : la cartographie du Self AI.

Souveraineté, open source et nouvelle maturité

Au-delà des fonctionnalités, l’étude met en évidence une ligne de fracture : celle entre confort et contrôle. Les grands acteurs promettent la simplicité d’un monde intégré, mais enferment les données dans leurs silos. Les plateformes open source, elles, offrent une liberté plus rugueuse, mais essentielle à qui veut maîtriser sa souveraineté numérique.

L’AI Decision Matrix révèle ainsi une maturité encore disparate, mais une direction claire : le marché entre dans une phase d’accélération. Les entreprises ne se contentent plus d’industrialiser quelques cas d’usage phares ; elles cherchent à démocratiser la production d’agents IA tout en maintenant un cadre rigoureux.

« Le Self AI, c’est l’équilibre entre la liberté d’agir et la rigueur de gouverner », résume Pauline de Lavallade. Les DSI n’ont plus à choisir entre innovation et maîtrise : elles doivent rendre possible la première, sans renoncer à la seconde.

L’ère de la capillarité productive

Pour Stéphane Roder, l’enjeu dépasse la technologie : « Refuser ces outils, c’est comme dire : je ne veux pas de bureautique dans mon entreprise. On se condamne à des coûts que les autres n’auront plus. »

L’analogie est limpide. Après la bureautique dans les années 80, l’ERP dans les années 2000 et les suites métiers dans les années 2010, voici venue la couche d’optimisation agentique, celle qui s’insinue dans les interstices du quotidien pour automatiser l’invisible.

Stéphane Roder

CEO AI Builders

Refuser d’y aller, c’est comme dire : “je ne veux pas de bureautique dans mon entreprise.”On se condamne à des coûts que les autres n’auront plus. »

Cette nouvelle ère ne se gagne pas avec un logiciel, mais avec une culture. Il faut apprendre à gouverner l’autonomie, à former les équipes, à sélectionner les bons outils selon trois critères essentiels : leur maturité, leur souveraineté et leur capacité d’intégration.

Et surtout, il faut comprendre que la valeur ne se décrète plus d’en haut : elle se propage. Par capillarité. Par usage. Par intelligence collective.

La conclusion est aussi un avertissement.

L’entreprise augmentée n’est pas celle qui adopte l’IA la première, mais celle qui la diffuse partout, avec méthode et confiance. Là où les grands projets de transformation cherchaient à tout rationaliser, le Self AI, lui, apprend à laisser faire — tout en gardant le fil. « Ce qui doit être mis en place maintenant, c’est l’organisation, rappelle Stéphane Roder. Former, certifier, gouverner. La technique suivra. »

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VIDÉO À REVOIR Pauline de Lavallade, Head of AI Builders Research, a présenté l’AI Decision Matrix lors du salon Big Data & AI Paris. Une intervention à revoir pour comprendre comment 19 plateformes agentiques redéfinissent l’équilibre entre autonomie et gouvernance.

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