Les Robots humanoïdes sont encore loin d'envahir nos entreprises et nos foyers. De nombreux défis à leur création restent à relever...

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Robots humanoïdes : entre science-fiction, prototypes et dures réalités…

Par Laurent Delattre, publié le 04 octobre 2022

Les robots humanoïdes feront probablement un jour partie de notre quotidien. Si les annonces se multiplient ces dernières semaines, on est encore bien loin de modèles fonctionnels comme en témoigne la déroutante présentation de Tesla la semaine dernière. Mais, pour les DSI, il n’est pas nécessairement trop tôt de s’y intéresser…

De C3PO (Star Wars) à R. Daneel Olivaw (Le cycle des robots)… Du T-1000 (Terminator) à Roy Batty (Blade Runner)… Les robots humanoïdes ont envahi la science-fiction depuis bien longtemps. Mais les récents progrès réalisés en robotique, en intelligence artificielle et en matière d’actionneurs élastiques et de capteurs rendent désormais envisageables la création de robots de compagnie à vocation professionnelle ou familiale pour nous accompagner au quotidien dans des tâches réclamant de la force physique et de l’équilibre.

Ces derniers mois, le sujet a connu une certaine accélération médiatique avec les présentations/annonces du CyberOne de Xiaomi et de l’Optimus de Tesla. Mais les temps médiatiques ne sont dans ce domaine clairement pas alignés avec les temps nécessaires pour la R&D. La présentation de « Bumble-C » lors du Tesla AI Day en fin de semaine dernière nous l’a cruellement rappelé.

L’Optimus de Tesla en délicatesse…

L’an dernier, Elon Musk avait créé la sensation en annonçant que son entreprise allait développer un robot humanoïde tout en présentant au public un homme dans un costume de robot.

Un an plus tard, le premier prototype public de la série « Optimus », dénommé Bumble-C a pu faire ses premiers pas plus qu’hésitants devant des journalistes et observateurs. Une démonstration qui en a déçu plus d’un. Une déception née du décalage qui existe entre les annonces enthousiastes et irréalistes d’Elon Musk et la difficulté technologique ambitionnée. D’autant que, pour Elon Musk, cette présentation avait davantage pour objectif de susciter des vocations et recruter des talents que de démontrer les progrès de Tesla en matière de robotique humanoïde.

Elon Musk est certes un habitué du fait mais le railler serait une erreur, car cela reviendrait à oublier tous ceux qui se sont moqués de lui en 2005 lorsqu’il prétendait vouloir construire des véhicules électriques abordables et en faire un marché de masse ou lors des deux premiers échecs des fusées SpaceX « réutilisables » en 2006 et 2007.

Bumble-C, premier prototype public du projet Optimus, est un rien effrayant avec ses fils et composants bien visibles.

Alors oui, le premier prototype d’Optimus n’a convaincu personne. Avec son design de labo ambulant très éloigné du costume présenté l’an dernier, sa démarche peu assurée, son déhanché peu démonstratif, « Bumble-C » est bien éloigné des prétentions de Tesla. Une démonstration volontairement limitée pour s’assurer « que le robot ne se casse pas la figure en public » a expliqué le patron de Tesla qui a par ailleurs diffusé des vidéos où son robot en faisait un peu plus (arroser des fleurs, porter des colis, etc.).

Et bien évidemment l’espérance d’Elon Musk de voir ce projet se concrétiser d’ici trois à cinq ans paraît difficilement crédible. « Je pense qu’Optimus va devenir incroyable, du genre époustouflant, dans 5 à 10 ans » reconnaît il lui-même. Beaucoup d’observateurs estiment ces échéances simplement irréalisables. « Il y a beaucoup d’enseignements à tirer de la compréhension du fonctionnement des humanoïdes », explique Tom Ryden, executive director de l’incubateur Mass Robotics. « Mais pour ce qui est d’avoir directement un humanoïde accessible au grand public, je doute que cela sorte de sitôt ».

De la difficulté d’inventer des robots bipèdes

L’un des problèmes – qui illustre bien le décalage entre les attentes des observateurs et la réalité des développements de Tesla – est résumé par Cynthia Yeung, chef produit de Plus One Robotics : « rien de ce qui a été montré n’est à la pointe du progrès » en la matière.

Elon Musk en avait d’ailleurs bien conscience rappelant qu’il existe des robots plus sophistiqués sur le marché mais qui sont hors de prix et « dénués de cerveaux ».

Le patron de Tesla fait ici référence aux robots étonnamment agiles de Boston Dynamics mais aussi aux autres robots « bipèdes » du début des années 2000 à l’instar des Honda P2, P3, et Asimo, Sony QRio, HRP-2 de Kawada/AIST, M2V2 de Yobotics. Il oublie un peu vite certains prototypes récents à l’instar du TALOS de PAL Robotics développé avec le concours du CNRS ou l’ATLAS de Boston Dynamics.

Comme l’explique Tom Ryden de Mass Robotics, « la partie la plus difficile n’est pas de construire un robot, c’est de faire en sorte que ce robot fasse des choses utiles »

Le challenge d’un robot humanoïde est double. D’abord, il doit pouvoir tenir debout ce qui est déjà un exploit en soi. Ensuite, il doit pouvoir se déplacer en toute autonomie et réaliser des tâches utiles, ce qui nécessite une bonne dose « d’intelligence » embarquée.

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Se tenir debout est bien plus complexe qu’il n’y paraît. Cela nécessite une bardée de capteurs en tous genres, des mécaniques d’articulation complexes, et du Machine Learning de sorte que le robot maintienne son équilibre en toute occasion et puisse profiter des avantages d’être bipède pour marcher, monter et descendre des escaliers mais aussi enjamber des obstacles. D’ailleurs, pour Tom Ryden, Tesla n’a pas pris la route la plus aisée et la plus rapide : « lorsque vous essayez de développer un robot qui soit à la fois abordable et utile, une forme et une taille humanoïdes ne sont pas nécessairement la meilleure solution ».
Ainsi, Tesla a encore bien des progrès à faire et du pain sur la planche pour que son robot reste stable, puisse tomber sans s’abimer et se relever seul. D’autres robots l’ont certes fait bien avant Optimus mais sont restés d’impressionnantes démos sur YouTube sans trouver d’usages concrets.

Car pour être utiles, ces robots humanoïdes doivent aussi acquérir suffisamment d’autonomie pour se déplacer seuls et réaliser des tâches pratiques au quotidien. C’est ce que le boss de Tesla sous-entend par des concurrents « dénués de cerveau ». Mais il va falloir là aussi beaucoup d’efforts pour inventer les IA de tels robots. C’est d’ailleurs là que se trouve tout l’intérêt pour Tesla de développer Optimus. Selon Elon Musk, « un robot est comme une voiture autonome dotée de jambes ». Si l’analogie est contestée par bien des chercheurs, du côté de Tesla on estime et on développe des IA autonomes similaires pour piloter voitures et robots bipèdes. La recherche sur la voiture autonome enrichit celle sur l’IA d’Optimus et l’inverse est probablement vrai.

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Reste que l’autonomie de « circulation » dans un univers aux événements imprévisibles est une chose mais rendre ces robots utiles en est une autre. Comme l’explique Tom Ryden, « la partie la plus difficile n’est pas de construire un robot, c’est de faire en sorte que ce robot fasse des choses utiles, et je pense que Musk est encore très loin de pouvoir atteindre cet objectif ».

Des lois de la robotique au cœur des débats

Outre la capacité à se déplacer sûrement et à agir en toute autonomie, l’IA du robot doit aussi intégrer dès le départ tout un ensemble de sécurités. Elon Musk explique que l’IA d’Optimus embarque dès la conception le souci de « protéger à la fois le robot et les personnes autour du robot tout en évitant des ‘scénarios à la Terminator ».

Sur Twitter nombre d’observateurs se sont ainsi demandé si et comment Tesla avait implanté les lois de la robotique inventée par Asimov dans son célébrissime cycle des robots (cf encadré ci-dessous).

Tesla a également dévoilé le design de la prochaine génération de prototypes. Ce modèle n’était pas fonctionnel et a été amené sur scène porté par des collaborateurs.

Quoiqu’il en soit, la présentation d’Optimus a relancé sur les réseaux sociaux les débats sur l’utilité des robots et les risques que l’IA peut engendrer pour l’humanité. Une étude de l’Université de New-York montre d’ailleurs que plus d’un chercheur en IA sur trois pensent que « l’IA pourrait causer une catastrophe mondiale de même ampleur qu’une guerre nucléaire ». Les débats en la matière sont encore bien loin d’être tranchés mais rappelons que le conseil de l’Europe planche sur le sujet et a non seulement élaboré en 2021 un « AI Act » mais a aussi publié la semaine dernière deux propositions pour réguler les IA afin protéger les personnes tout en permettant l’innovation.

Tesla et Xiaomi : Une focalisation sur une production en masse

Même si la démonstration de Tesla n’était pas à la hauteur de la « Hype » provoquée par l’annonce d’Optimus il y a un an, deux choses demeurent néanmoins remarquables. D’abord en à peine un an de R&D, les équipes de Tesla ont réussi à produire un prototype relativement évolué. Ensuite, ils se sont évertués à construire un robot « manufacturable » massivement.

Le concurrent “CyberOne” en développement chez Xiaomi Robotics

À l’instar du concurrent chinois Xiaomi et son robot humanoïde CyberOne, Tesla n’a pas conçu son Bumble-C comme une démonstration de l’état de l’art mais bien comme un produit manufacturable. « Nous l’avons conçu en utilisant la même discipline que pour la conception de nos voitures, c’est-à-dire en le concevant de sorte qu’il soit possible de fabriquer le robot en grande quantité, à faible coût et avec une grande fiabilité. C’est un point extrêmement important et différenciateur :Optimus est conçu pour être un robot extrêmement performant, mais fabriqué en très grand volume, à terme en millions d’unités. Et il devrait coûter bien moins cher qu’une voiture – bien moins de 20 000 dollars américains, à mon avis » explique Elon Musk.

Vers une nouvelle civilisation ?

Construire des unités par millions… La phrase n’est pas anodine. Cette volonté de faire des robots fabriqués en masse aura nécessairement de multiples impacts dans l’univers des usines, des entrepôts, des hôpitaux et à termes dans les foyers. Les Japonais ont depuis longtemps admis que pour faire face au vieillissement de la population et des besoins de services à la personne, les robots deviendront inévitables. Elon Musk expliquait en juin que « l’importance d’Optimus deviendra évidente dans les années à venir ».

Tesla a dévoilé quelques données techniques sur les composants internes de son prototype.

À l’occasion du Tesla AI Day, il a développé un peu plus sa vision : « Il y a encore beaucoup de travail à faire pour affiner Optimus et l’améliorer, et c’est vraiment la raison pour laquelle nous avons organisé cet événement – pour convaincre certaines des personnes les plus talentueuses au monde de rejoindre Tesla et de contribuer à sa réalisation, à sa concrétisation à grande échelle afin qu’il puisse aider des millions de personnes… Optimus nous permet d’entrevoir un avenir d’abondance, un avenir où il n’y a pas de pauvreté, où vous pouvez avoir tout ce que vous voulez en termes de produits et de services. Il s’agit vraiment d’une transformation fondamentale de la civilisation telle que nous la connaissons ».

En attendant, si les ingénieurs de Tesla arrivent déjà à nous sortir un robot fiable et accessible qui puisse servir à quelque chose ça ne sera déjà pas si mal…


LES TROIS LOIS DE LA ROBOTIQUE D’ISAAC ASIMOV

À l’occasion de son cycle des robots, le romancier Isaac Asimov a formalisé les « lois » qui doivent régir l’intelligence artificielle des robots pour que ces derniers puissent servir l’humanité utilement et sans risque.

Première Loi : « Un robot ne peut porter atteinte à un être humain ni, restant passif, laisser cet être humain exposé au danger. »

Deuxième Loi : « Un robot doit obéir aux ordres donnés par les êtres humains, sauf si de tels ordres sont en contradiction avec la Première Loi. »

Troisième Loi : « Un robot doit protéger son existence dans la mesure où cette protection n’entre pas en contradiction avec la Première ou la Deuxième Loi. »

Ces trois lois sont codées dans le « hardware » de l’IA robotique, le cerveau positronique.

Au fil des ouvrages, les robots pour ne pas sombrer dans des cercles vicieux engendrés par les contradictions des comportements humains y ajouteront d’eux-mêmes une « Loi Zéro » : « un robot ne peut pas faire de mal à l’humanité, ni, par son inaction, permettre que l’humanité soit blessée ».


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