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Social Business et exception culturelle française

Par La rédaction, publié le 03 juin 2013

Les dirigeants français rechignent trop souvent à faire évoluer la structure et l’organisation de l’entreprise. Des changements sont pourtant nécessaires à l’adoption des technologies sociales.

Réseaux sociaux et collaboration interne, service client, communication externe, marque et réputation : toutes ces technologies sociales (terme que je préfère largement à celui de médias) changent la donne pour les entreprises. Mais ce changement n’a pas un caractère aussi universel que les technologies concernées. Si ces dernière se déploient, lentement mais sûrement et de manière uniforme à travers le globe, l’usage qui en est fait diffère radicalement selon les pays.

Rassembler les gens, mais pour quoi faire ?

Les initiatives visant à implanter les technologies sociales dans l’entreprise afin de changer la manière dont on travaille se multiplient sans pour autant que le résultat soit systématiquement à la hauteur. Mais une lecture plus fine permet de faire d’intéressants distinguos entre les pays, comme celle opérée par Pierre Audoin Consultants dans une récente étude. Toutes les entreprises ne font ainsi pas face aux mêmes difficultés, qui dépendent du but recherché. En l’occurrence, il existe une spécificité française forte en la matière. Là où nos voisins cherchent à améliorer les opérations et l’exécution au quotidien, la vision française est davantage d’essayer de rassembler les gens. Les rassembler pourquoi ?

En tout cas, pas pour travailler, visiblement, puisque les autres spécificités françaises mises en avant par l’étude(1) montrent que la vision de la structure des organisations et de l’organisation du travail en France est ce qu’elle est, et on n’entend pas la changer. Adapter les processus de décision, la structure et le reporting – pour ne parler que de cela – à un contexte en évolution permanente soit n’est pas jugé pertinent, soit fait peur malgré une prise de conscience réelle. Dans les deux cas, le résultat est le même : on rassemble sans oser donner de buts ni d’objectif aux salariés et au management et, de toutes manières, on ne les met pas dans un contexte favorable à cette nécessaire adaptation. Si des choses se passent spontanément, tant mieux, à la marge voire à l’opposé du système. Sinon tant pis, mais hors de question de toucher à la structure. Contraste intéressant avec nos voisins qui, eux, se posent justement ces questions et où on s’intéresse davantage aux leadership et à l’évolution des business process.

Mais j’admets que le sujet du « social interne » est relativement complexe et structurant. Alors, regardons vers l’externe.

Une communication en panne au plus haut niveau

J’ai eu dernièrement l’occasion de discuter avec quelques spécialistes de la question de l’activité des dirigeants des grandes entreprises sur les médias sociaux, en France comme à l’étranger. Il est bien entendu qu’on ne parle pas, à ce niveau, du simple plaisir d’exister ou de gazouiller en public. On parle de leadership, de réputation, d’impact. La comparaison entre les entreprises françaises et étrangères – notamment anglo-saxonnes – est encore frappante. Mais quelle en est la cause ? Elle n’est certainement pas unique, mais la crainte de l’exposition, du feedback et de devoir expliquer, justifier, convaincre tient visiblement un rôle majeur. Là encore, conséquence d’une vision : il y a ceux qui savent et décident, ceux qui travaillent, ceux qui achètent et nul n’est légitime à sortir de son rôle car c’est ainsi que le monde est construit. Malheureusement, le refus de s’engager revient à casser le thermomètre : ça n’est pas parce qu’on refuse la conversation qu’elle ne se déroule pas. Pire, cela peut rendre la fièvre incontrôlable et faire d’une tempête dans un verre d’eau… une tempête tout court.

Et en interne la situation n’est pas meilleure. Combien de dirigeants prennent la parole devant leurs salariés et accepte la transparence et la conversation ? Remarquez que tout n’est pas de leur responsabilité : c’est parfois de la direction de la communication que vient le veto. Car là aussi, on a sa vision des choses.

Donner l’exemple en tant que dirigeant

Autre point intéressant de l’étude mentionnée plus haut : les dirigeants poussent-ils à la transformation digitale ? Souvent. Donnent-ils l’exemple ? Pour ce qui est de la France, non. Le changement, c’est pour les autres. Préservons la structure existante et parons-la d’un habillage nouveau.
Si l’entreprise a besoin d’un travail sur ses structures et son organisation, ses dirigeants ont besoin d’un accompagnement, d’un coaching car c’est de leadership et de postures qu’on parle ici. Car la compétence est là et ne fait pas défaut, c’est de la manière dont elle s’exprime dans un environnement aujourd’hui transparent et connecté qu’il est question. Peut-on être un leader sans leadership digital en 2013 ? La réponse est non. Et sans la compréhension d’un monde qui change qui rend ce leadership nécessaire ? Non plus.

Une France trop tournée vers son passé

Dans le numérique, comme dans d’autres domaines, il existe une exception culturelle française. Une vision de nos structures profondément ancrée dans une époque glorieuse mais révolue, qui nous fait prendre les outils de transformation comme des outils d’habillage d’un passé que l’on veut préserver – ou tout du moins l’illusion de ce passé.
Dans chaque pays, chaque culture, on voit des difficultés à transformer l’entreprise. Mais il s’agit de difficultés d’exécution alors que nous sommes encore dans le déni de vision. Il n’y pas qu’en matière de climat qu’il y a des vérités qui dérangent.
Quittons nous sur les saines paroles d’un homme qui, dans les années 90, a sauvé une grande entreprise d’une mort à court terme programmée et inévitable : « Pour moi, réorganiser c’est mélanger des boîtes. Transformer signifie de fondamentalement changer la manière dont l’organisation pense, réagit, entraîne. C’est beaucoup plus que jouer avec des boîtes », assurait Lou Gerstner, ancien PDG d’IBM.

(1) Un plus faible niveau d’autonomie des collaborateurs, par exemple

Bertrand Duperrin

Bertrand Duperrin

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