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Une guerre des processeurs au cœur du datacenter

Par Laurent Delattre, publié le 12 août 2018

Les derniers résultats financiers des fondeurs Intel et AMD marquent un grand retour du second au détriment du premier dans les datacenters. À l’heure de l’IA et du Big Data, la guerre des processeurs bat son plein…

Ces dernières années, CIO, DSI et administrateurs ne se sont guère intéressés aux processeurs qui animaient leurs serveurs, focalisant essentiellement leur attention sur des métriques concrètes comme le nombre de VMs supportées ou la mémoire embarquée. C’est ainsi que les Intel Xeon ont outrageusement dominé le marché.
Pourtant, plusieurs éléments viennent aujourd’hui brouiller les pistes et imposent aux IT de s’intéresser, de nouveau, aux processeurs (au sens large) à faire entrer à courts et moyens termes dans leur datacenter pour tirer profit des nouvelles technologies : bureaux déportés pour l’ingénierie 3D (VDI 3D), réalité mixte, deep learning, etc.

Le retour des CPU AMD

Ces dix dernières années, Intel a véritablement taillé des croupières à AMD, ce dernier n’ayant jamais réussi à trouver un successeur viable aux fameux « Opteron » qui en ont fait un leader du datacenter jusqu’en 2009.  Mais depuis 2014, AMD prépare son retour avec sa toute nouvelle architecture Zen. Et 2018 marque l’heure de la contre-offensive pour la marque. Dans un monde où les serveurs à un seul CPU sont redevenus à la mode (grâce aux nombres de cœurs embarqués), ses processeurs EPYC séduisent par leur rapport performance/prix et ont déjà trouvé leur place dans plus d’une quarantaine d’offres serveurs à commencer par certains modèles Dell EMC PowerEdge, HPE ProLiant DL325 et Cisco UCS. Microsoft Azure et le cloud chinois Tencent ont également adopté les processeurs EPYC pour certaines instances à louer. Un engouement qui se traduit dans les résultats d’AMD. Pour le second semestre 2018, le fondeur a annoncé un chiffre d’affaires de 1,76 milliard de dollars en hausse de 53% par rapport à l’an dernier. Et c’est le département « Enterprise, Embedded and Semi-Custom » qui explique en grande partie cette croissance.
Un retour aux avant-postes d’AMD qui tombe à un bien mauvais moment, alors que de nouvelles failles « Spectre » continuent de plomber l’image des processeurs Intel (cf : Le feuilleton Spectre continue cet été).
Selon l’institut Mercury, qui analyse le marché des composants, les ventes de serveurs AMD ont augmenté de 181% en un an. D’ailleurs, en juin dernier, Brian Krzanich, alors encore CEO d’Intel, reconnaissait face aux analystes financiers de Nomura, que sa firme s’attendait à perdre des parts de marché en faveur d’AMD durant le second semestre 2018 et qu’un des devoirs de son entreprise était de s’assurer que son concurrent ne puisse capturer plus de 15 à 20% de parts de marché. La tâche s’annonce difficile puisqu’AMD devrait introduire en 2019 une seconde génération de processeurs EPYC gravés en 7 nm et prendre ainsi les devants sur Intel actuellement coincé à 14 nm et dont l’architecture Cannon Lake à 10 nm a été reportée à fin 2019.
La menace n’est d’ailleurs pas limitée aux serveurs. AMD pourrait aussi venir s’imposer dans l’univers des stations de travail. Son nouveau processeur Ryzen Threadripper 2990WX doté de 32 cœurs se montre 53% plus performant sur certains tests (tels que Cinebench) que l’actuel haut de gamme d’Intel, le Core i9-7980XE (et ses 18 cœurs), tout en étant moins cher. Toutefois, Intel n’est jamais aussi inventif et combatif que lorsqu’il voit ses parts de marché fondre, et le fondeur ne restera pas sans réagir. Il a d’ailleurs débauché plusieurs têtes d’AMD ces derniers mois.

En attendant l’ARM

Outre AMD, une autre menace pour Intel pointe depuis plusieurs années déjà, même si elle tarde à se concrétiser. Les processeurs ARM qui animent nos smartphones et tablettes sont aujourd’hui assez mâtures pour s’imposer dans nos datacenters. Microsoft maintient une version ARM de Windows Server 2016 dans l’ombre et Red Hat, Ubuntu et Suse sont aussi sur les starting-blocks et n’attendent qu’un réel démarrage du marché.  Et même si certaines rumeurs laissent à penser que Qualcomm réfléchirait déjà à laisser tomber le marché des serveurs avec son Centriq 2400 – pourtant à peine introduit en début d’année -, son concurrent Cavium connaît quelques succès de prestige avec son Thunderx2. Ce dernier se retrouve dans certaines offres Cray, HPE, ou encore Penguin Computing.  Il anime également les super-calculateurs Bull Sequana X1310 d’Atos ou encore le super-calculateur Astra à 145 000 cœurs de la NNSA (l’agence nucléaire américaine) construit par HPE (à base de HPE Apollo 70). Une autre startup, Ampere, créée par des anciens d’Intel, espère, elle aussi, contribuer à faire entrer les processeurs ARM 64 bit dans les datacenters.

L’ère des GPU et des accélérateurs dédiés

Les temps sont d’autant plus durs pour Intel que l’attention des DSI ne doit plus se limiter aux seuls CPU. Désormais, les GPU tiennent une place de plus en plus importante dans le datacenter. Et pas uniquement parce que la demande de VDI supportant les applications 3D s’est accrue. Le Deep Learning exige des capacités de calcul phénoménales, notamment durant les phases d’apprentissage. Un marché que les constructeurs de GPU n’ont pas l’intention de laisser aux co-processeurs dédiés comme les TPU (Tensor Processor Unit) de Google qui accélèrent les services de Machine Learning de son cloud (GCP), ou les FPGA désormais intégrés dans tous les serveurs Azure (et qui sont au cœur des projets Catapult et Brainwave).
NVidia rencontre un certain succès avec ses serveurs DGX-1 et DGX-2 au cœur d’architectures de référence dédiées à l’IA chez NetApp et chez Pure Storage (cf. Des architectures pour simplifier les projets deep-learning). AMD a également récemment annoncé ses propres GPU Radeon Instinct destinés aux infrastructures de Deep Learning.
De son côté, Intel semble plutôt jouer la carte des processeurs spécialisés malgré la présence des Xeon Phi. Avec les NNP (Neural Network Processor) Nervana et Loihi, le fondeur compte bien prendre part à la fête de l’IA dans le datacenter. Le marché des processeurs dédiés à l’IA est très actif comme en témoigne la liste exhaustive « Deep-Learning-Processor-List » maintenue par Shan Tang sur GitHub.

 

 

 

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