EDF met déjà l'informatique quantique en pratique

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EDF défriche le quantique pour étendre ses capacités de calcul intensif

Par Alain Clapaud, publié le 14 septembre 2023

l’énergéticien est un des acteurs majeurs du HPC (High Performance Computing) en France. Le groupe dispose de supercalculateurs en propre, et développe ses codes de calcul dans de multiples domaines. Autant de raisons qui poussent dès aujourd’hui EDF à s’intéresser activement au calcul quantique.

En mars 2021, EDF mettait en exploitation Cronos, le 8e plus gros calculateur de France et le 67e au niveau mondial. La R&D d’EDF dispose de 650 millions d’heures de calcul par année pour sa R&D. EDF est ainsi un poids lourd du calcul en France et ses chercheurs développent ses propres logiciels de simulation, essentiellement dans le domaine des sciences physiques, avec de la mécanique des fluides, de la neutronique, mais aussi des logiciels d’optimisation du placement des moyens de production dont les programmes d’implantation tournent sur ces supercalculateurs, ainsi que les plans de rechargement des réacteurs nucléaires.

Etienne Décossin, responsable de programme Technologies de l’information chez EDF R&D, au sein de l’EDF Lab de Paris Saclay, explique : « Nous sommes notre propre acteur de calcul scientifique et nous sommes donc amenés à réfléchir sur ses évolutions pour adapter nos simulations au hardware d’aujourd’hui, à celui de demain. Et pour après-demain, aux moyens d’intégrer l’informatique quantique dans nos chaînes de calcul. »

C’est en 2017 qu’EDF Lab a vraiment initié sa stratégie quantique. Le but est de monter en compétence en interne sur cette technologie de rupture par rapport au HPC traditionnel, rupture qui va pousser l’énergéticien à réécrire ses grands codes de calcul pour en tirer parti. « Nous sommes impliqués dans la recherche sur les algorithmes quantiques depuis 2017 », explique Joseph Mikael, responsable Quantum de l’EDF Lab. « Nous avons entrepris cette démarche très tôt pour garder la maîtrise sur nos codes de calcul. Et si l’informatique quantique décolle, ils devront être mis à jour et nous voulons donc développer un pool d’experts internes capables de développer et maintenir ces algorithmes. Nous nous formons par la R&D et nous tissons des partenariats avec de nombreux chercheurs. »


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De nombreux cas d’usage éligibles au quantique

Les cas d’usage du quantique sont potentiellement très nombreux chez EDF : planification des arrêts de tranches pour maintenance, optimisation de la charge de flottes de véhicules électriques, simulation des matériaux avec notamment l’étude du vieillissement des batteries, irradiation des matériaux nucléaires… La moitié du temps de calcul des supercalculateurs d’EDF est consacrée à la résolution des équations différentielles partielles pour ces types d’optimisation !

Le campus d’EDF Lab de Saclay regroupe 800 personnes. Il s’agit de l’un des neuf centres de recherche qu’EDF possède en France et dans le monde.

Par exemple, pour la planification de la maintenance de ses tranches nucléaires, EDF met pour l’instant en œuvre le code de calcul code_aster, publié par ses chercheurs en open source. « Ce code représente l’état de l’art en HPC , commente Joseph Mikael. Nous voulions appliquer le calcul quantique pour accélérer ces calculs et accroître leur taille, tout en réduisant leur empreinte carbone. Notre première conclusion est qu’il n’est pas possible d’utiliser des algorithmes sur étagère qui répondent à nos besoins : il faut toujours faire des mathématiques et un effort de portage. »

Un autre cas d’usage testé par les équipes d’EDF Lab, typique du secteur nucléaire, concerne le calcul de risque lié à la sécurité (Safety Risk Assesment). Il repose sur d’énormes arbres combinatoires dans lesquels il faut trouver les chemins qui peuvent conduire à un incident majeur. Dans le nucléaire, ces arbres peuvent être particulièrement complexes car chaque équipement de sécurité est triplé, quadruplé. « L’explosion combinatoire est une réalité pour nous. Nous avons testé une solution qui semble fonctionner sur 20 qubits, mais si nous pouvions disposer d’un ordinateur quantique de 100 qubits, nous pourrions nous engager plus avant dans cette approche. Là encore, beaucoup reste à faire en termes de recherche, mais sur ces deux cas d’usage, nous avons des raisons d’être optimistes. »

Joseph Mikael

Responsable Quantum chez EDF Lab

« Nous ne travaillons pas sur le quantique pour la beauté du geste. Il peut vraiment avoir un gros impact sur notre business. »

L’arbre de défaillance d’une centrale nucléaire et de ses milliers d’équipements redondés représente une combinatoire absolument considérable et, de fait, les problèmes résolus par EDF avec ses moyens de calcul classiques peuvent atteindre jusqu’au million de degrés de liberté, mais au prix de plusieurs semaines de calcul. « Nous pouvons réaliser la même chose sur un ordinateur quantique en moins de temps, donc moins d’énergie, ou accroître le maillage du calcul pour obtenir une meilleure précision. Ce sont des critères très intéressants pour les entités opérationnelles d’EDF. »

Le quantique pour faire face à l’explosion combinatoire

Les algorithmes d’optimisation combinatoire représentent un autre cas d’usage potentiel très important pour EDF Lab. De nombreuses méthodes dans ce domaine sont d’ailleurs en partie nées à EDF. Ces algorithmes sont mis en oeuvre un peu partout dans le groupe, que ce soit pour planifier la maintenance des moyens de production, la recharge d’une flotte de véhicules électriques ou encore la tournée d’agents sur les sites de maintenance. « Notre souhait initial était d’utiliser un algorithme d’optimisation sur étagère [NDLR : de type QAOA (Quantum approximate optimization algorithm)], mais cela n’a pas fonctionné, souligne Joseph Mikael. Nous avons alors changé notre point de vue et adopté une approche hybride avec un autre algorithme qui n’est lancé que lorsque l’approche classique ne produit aucune solution. Cela nous permet d’obtenir de meilleures solutions dans certains cas. »

Enfin, les chercheurs d’EDF sont très avancés en termes de simulation des matériaux, et notamment de leur vieillissement. « Nous voulons simuler le comportement de l’acier des cuves de réacteur qui est soumis aux radiations et prévoir le vieillissement de nos installations. C’est très important pour nous. » Les chercheurs travaillent aujourd’hui sur un nouveau type d’algorithme quantique. Un papier de recherche sera publié très prochainement pour présenter ces travaux.


Les 100 qubits pour aller plus loin

Les chercheurs d’EDF Lab ont pu utiliser des calculateurs quantiques d’IBM et de D-Wave et se préparent à tester les machines quantiques du français Pasqal. Pour Joseph Mikael, il faudra atteindre les 100 qubits
pour débloquer de nombreux cas d’usage du quantique qui restent pour l’heure à l’état théorique. Ces machines sont attendues pour fin 2024. Dès lors, l’essor des usages pourrait s’accélérer de manière significative.


LE PROJET EN CHIFFRES

  • 20 chercheurs
  • 14 000 citations
  • 20 papiers de recherche publiés sur les algorithmes quantiques

L’ENTREPRISE EDF

Activité    : R&D (pour EDF)
Effectif    : 1 780 personnes dans neuf centres de R&D
Budget 2021 : 487 M€ dont un tiers sur les projets d’avenir



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