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Campus Cyber, V2 : de la vitrine au terrain
Par Thierry Derouet, publié le 04 juillet 2025
Trois mois après sa nomination, Joffrey Célestin-Urbain veut donner un second souffle au Campus Cyber en le transformant en levier actif de souveraineté numérique. Finie la logique immobilière : place à une stratégie servicielle, territoriale et collective, portée par une vision de long terme.
“La V1, c’est ce que vous voyez : une magnifique tour, des bureaux premium, un écosystème en vitrine. La V2, c’est ce que je suis venu construire : du liant, du sens, des effets d’entraînement ». En une phrase, Joffrey Célestin-Urbain plante le décor. Ancien chef du service de l’information stratégique et de la sécurité économique (SISSE), fin connaisseur des arcanes de Bercy et des réseaux cyber, le nouveau président du Campus Cyber arrive avec une mission explicite : transformer la vitrine en une véritable machine opérationnelle.
« Le projet immobilier est achevé, on ne va pas acheter ou louer une deuxième tour. Maintenant, l’enjeu, c’est de rentabiliser le capital humain », explique-t-il. Il assume un diagnostic sans ambiguïté sur les années précédentes : « Le Campus a concentré ses énergies sur la brique, l’effet waouh. Mais il faut remettre du bois dans la cheminée, construire des synergies, catalyser une chaîne de valeur. »
Interrogé sur les départs de certains résidents, les loyers jugés trop élevés ou encore le flou sur le mix actuel des locataires, il répond posément : « Il faut objectiver les coûts, créer de la transparence, faire le comparatif avec ce qui se pratique à la Défense ou ailleurs. Et surtout distinguer ce qui est de la compétence du Campus, de ce qui relève des attentes décalées ».
Redonner du sens au collectif : l’effet d’entraînement comme doctrine
« Il y a des gens formidables dans cette tour, mais parfois ils ne se connaissent pas » raconte-t-il, presque amusé. « Une entreprise découvre au bout de trois ans qu’un labo public partage son étage. » Le projet « Cœur Campus » doit corriger cela : « prendre soin des résidents pour qu’ils se sentent bien, créer du brassage, faciliter les échanges pour raccrocher les chaînes de valeur. »
Mais au-delà des relations de voisinage, c’est bien la souveraineté numérique qui devient la boussole. « On est passé de la préservation à la reconquête. On est aujourd’hui dans une logique de conquête. Il faut assumer notre retard ». La démarche est offensive : « Le Campus n’est ni un régulateur ni un certificateur. Mais c’est un espace unique pour structurer l’interface entre l’offre et la demande, pour créer un réflexe Campus Cyber ».
En ligne de mire, le choc de NIS2, les collectivités démunies, les TPE sans boussole. « On ne va pas aider 36 000 communes et 3,5 millions d’entreprises. Mais on peut organiser un premier cercle, leur offrir un parcours, et fournir aux campus régionaux les outils pour le faire ».
Il précise : « Ce rôle d’ensemblier, d’architecte de politiques cyberterritoriales, personne ne le joue encore. Et pourtant, il est fondamental. »
Que reste-t-il de la V1 ?
Sur l’héritage de la première phase, Joffrey Célestin-Urbain se montre mesuré. Il salue l’audace de Michel Van Den Berghe pour avoir bâti un lieu, fédéré des acteurs, et donné un visage physique à la cybersécurité française. Mais il assume une rupture : « Le temps de la pierre est derrière nous. Il faut maintenant écrire une nouvelle page, plus ouverte, plus mobile, plus exigeante. »
Aucune critique frontale n’est formulée, mais l’évocation d’un Campus trop centré sur sa vitrine immobilière transparaît à plusieurs reprises. Et si l’audit de l’existant n’est pas évoqué formellement, la gouvernance actuelle semble chercher une plus grande horizontalité.

Le Campus, miroir ou moteur de la stratégie nationale ?
L’État reste omniprésent dans la genèse et le pilotage du Campus, mais peu de choses sont dites sur ses liens concrets avec les administrations clés : DGE, ANSSI, DNUM, DGA… À demi-mot, Joffrey Célestin-Urbain évoque le besoin d’un alignement stratégique entre l’appareil public, les start-ups et les industriels : « On a besoin d’un langage commun, de métriques partagées, et d’un lieu pour faire émerger des standards. »
S’il ne cite pas directement la gouvernance actuelle, on comprend que la V2 devra aussi mieux articuler le rôle des grands acteurs publics avec celui du privé. Le nouveau président incarne à lui seul ce pont entre deux cultures : celle du service de l’État, et celle des filières industrielles en reconquête.
Un projet économique, politique et narratif
Sous la technicité du propos, le président revendique une vision politique assumée : « Il ne suffit pas de parler de souveraineté. Il faut produire une rationalité économique qui l’incarne ». Pour lui, le Campus Cyber, doit devenir le lieu où l’on quantifie les risques : « Il n’y a pas de chiffre d’autorité sur le coût du pompage de données, comme il existe une valeur tutélaire du carbone. »
Il n’évoque pas explicitement la création d’un observatoire, mais pose la question d’une métrique partagée : « Si l’on veut parler de coût de la cyber, il faut commencer par en donner une estimation consensuelle. Aujourd’hui, chacun y va de son chiffre. »
Quant à la méthode, elle est très « Bercy » : précaution, benchmark, cap clair, mais étapes assumées. « Je suis là pour 3 ans. On aura un business plan sur 2026-2028. L’objectif : un Campus à l’équilibre, qui passe d’une logique foncière à une offre de services ».
Et de conclure en citant Antoine de Saint-Exupéry : « La pierre n’a point d’espoir d’être autre chose que Pierre. Mais en collaborant, elle devient temple ». Le chantier de la V2 est donc ouvert. Reste à le bâtir.
Et demain ? Vers un Campus plus ouvert ?
Un dernier sujet, souvent latent, s’invite en filigrane : l’ouverture du Campus à d’autres publics. « On ne peut pas prétendre à la souveraineté si l’on ne partage pas la culture du risque », avance Joffrey Célestin-Urbain. Il dit vouloir renforcer les liens avec les universités, les territoires, les élus locaux, mais aussi le monde judiciaire. « Le droit, l’assurance, la compliance… Ce sont des chaînes de valeur essentielles qui doivent mieux dialoguer avec les techs. »
La volonté de décloisonner le campus est claire. Les campus régionaux pourraient aussi trouver là un levier de différenciation : chacun pourrait porter une couleur spécifique (santé, supply chain, collectivités…). « À terme, je souhaite que chaque région trouve sur un campus une réponse locale et qualifiée à ses enjeux en cybersécurité. »
Et, pourquoi ne pas s’inspirer de modèles étrangers ? Interrogé sur Israël ou Singapour, Joffrey Célestin-Urbain botte en touche : « Ces modèles sont intéressants, mais très différents dans leurs structures politico-industrielles. L’enjeu pour nous, c’est de rester français tout en étant performants. »

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