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Dell Technologies entre dans l’an 3 après ChatGPT
Par Vincent Verhaeghe, publié le 08 décembre 2025
Alors que l’euphorie autour de l’IA laisse place à une phase d’industrialisation plus exigeante, Dell présente lors du Dell Technologies Forum sa stratégie pour aider les entreprises à dépasser l’ère des POC et entrer dans celle de la valeur mesurable. Entre ambition assumée, discours plus lucide et incertitudes persistantes sur les modèles, les données et les infrastructures, le constructeur mise sur son approche “AI Factory” pour structurer un marché encore hésitant. Mais la route vers une IA vraiment productive reste semée de défis.
L’emballement initial est passé. Trois ans après le surgissement de ChatGPT, les grandes entreprises ne parlent plus d’IA comme d’un gadget spectaculaire mais comme d’un chantier industriel complexe. Dell Technologies n’échappe pas à cette transition : au Dell Technologies Forum organisé au Carrousel du Louvres avec plus de 2000 clients et partenaires, le ton était moins euphorique, plus stratégique, limite introspectif. « Nous ne sommes plus dans l’âge de la fascination, mais dans celui de la structuration », résume Anwar Dahab, président de Dell France. Senior Vice President de Dell Technologies et président de la filiale française.
La ligne directrice de cette structuration porte un nom : AI Factory. L’expression, répétée comme un mantra, englobe tout ce qui fait la force historique de Dell — la maîtrise de la chaîne complète, du device au data center — combinée à une volonté affichée de donner un cadre méthodologique aux entreprises. « Les données sont au cœur de tout, et les stocker, les protéger, les organiser, puis les transformer en action produit du vrai progrès », rappelle Michael Dell lors d’une vidéo projetée pendant l’évènement.
Selon Vivek Mohindra, Special Advisor to Vice Chairman, présent au Carrousel du Louvre et l’une des voix influentes du groupe, plus de trois mille clients utilisent déjà cette approche dans des cas concrets. « Et un grand nombre sont passés par des partenaires pour les mettre en œuvre. Mais cela ne peut se faire que si le partenaire lui-même entreprend une approche de transformation de sa stratégie avec et pour l’IA » résume Alexandre Brousse, Vice President Channel and Global Alliances de Dell EMEA.
Des cas d’usages concrets
Mais derrière la promesse d’industrialisation et les réalisations déjà atteintes, Dell ne se voile pas la face en annonçant que le travail est fait. « Beaucoup d’organisations restent bloquées dans l’entre-deux, conscientes du potentiel de l’IA mais incapables de dépasser la phase de POC. En cause notamment la fragmentation des données qui reste le défi numéro un », souligne Anwar Dahab. Les entreprises disposent désormais d’une variété de données qu’elles n’avaient pas il y a dix ans, mais ces gisements sont éparpillés, hétérogènes, parfois inutilisables. L’IA n’est performante qu’à la hauteur de cette gouvernance data, encore immature dans nombre d’organisations.
Dell se montre moins prescriptive qu’auparavant et davantage centrée sur un accompagnement stratégique. Comme Vivek Mohindra le répète « l’IA doit être alignée sur les priorités métier, faute de quoi elle devient une source d’éparpillement ». Chez Dell, cette transformation est déjà engagée en interne, dans la R&D, la supply chain ou le support technique. L’exemplarité est un message politique : si Dell peut se transformer avec ses propres outils, ses clients le peuvent aussi. Ainsi Alexandre Brousse a pris l’exemple d’un projet interne qu’il nomme NBA pour Next Best Action. « Il consiste à exploiter l’IA pour prendre les meilleures décisions notamment dans le suivi du SAV. Résultat, nous avons baissé de 30 % les problèmes d’envoi de pièces détachées. »

« L’IA doit être alignée sur les priorités métier, faute de quoi elle devient une source d’éparpillement », Vivek Mohindra, Special Advisor to Vice Chairman
Faire travailler les IA ensemble
Reste que la confiance dans les modèles et leur interopérabilité représente un second champ d’incertitude. Les LLM — Gemini, DeepSeek, Llama, Mistral et les autres — évoluent à un rythme tel que les entreprises peinent à stabiliser leurs choix. Mohindra reconnaît qu’il est « difficile de déterminer aujourd’hui quel modèle dominera demain », ce qui complique les investissements de long terme. L’avènement des agents ne simplifie pas les choses : « L’interopérabilité est clé. Les agents doivent pouvoir dialoguer entre eux, interroger l’entreprise, consulter Internet et solliciter l’utilisateur. Mais cela ouvre autant de possibilités que de risques » note Anwar Dahab.
La question de la sécurité devient alors stratégique : si les agents sont considérés comme des utilisateurs, alors ils doivent être intégrés aux annuaires, dotés de droits, limités dans leurs actions, surveillés. La promesse d’automatisation se heurte alors aux exigences de conformité, du moins dans les pays qui ont mis en place des garde-fous.

« Au rythme où vont les choses, on peut s’attendre à ce que 100 % des postes clients disposent de fonctionnalités IA d’ici à cinq ans », Anwar Dahab, Senior Vice President at Dell Technologies
Opportunités sur l’infra
Ce réalisme s’étend également à l’infrastructure. Dell plaide pour un rapprochement de l’IA et de la donnée, une inversion de la logique du cloud-first. « C’est l’IA qui doit aller à la donnée et pas l’inverse » résume Alexandre Brousse. Dans les faits, la modernisation des data centers et la montée en puissance du Edge représentent des investissements lourds, que tous les acteurs ne peuvent pas assumer au même rythme. L’explosion de données produites sur le terrain — dans les usines, les commerces, les hôpitaux — impose des architectures hybrides et une orchestration qui reste, aujourd’hui encore, un défi technique majeur.
Dell mise aussi sur la montée en puissance des PC IA. Mais Anwar Dahab reconnaît implicitement que cet modernisation ne concernera pas tous les collaborateurs à court terme et que les usages restent inégaux selon les métiers. Les promesses de gains de productivité devront encore franchir l’épreuve du réel. « Toutefois au rythme où vont les choses, on peut s’attendre à ce que 100 % des postes clients disposent de fonctionnalités IA d’ici à cinq ans. »
Clarifier le modèle
Pour Michael Dell dont une vidéo fut projetée pendant l’évènement, l’optimisme reste de mise : l’IA est « accessible » et peut générer une valeur durable si elle est structurée avec méthode et cohérence. Mais derrière cette vision, l’entreprise sait que les prochains mois seront ceux de la clarification : quel modèle pour quel métier ? Quel degré d’automatisation ? Quelle souveraineté sur les données ? Quelle capacité à rendre l’IA réellement productive ?
Dell avance avec une stratégie claire, fondée sur sa stature d’industriel global, mais l’avenir reste marqué par des incertitudes technologiques, réglementaires et opérationnelles. Le groupe en a conscience et choisit désormais un discours plus sobre, moins triomphaliste, plus ancré dans la réalité des transformations. Une posture qui pourrait précisément renforcer sa crédibilité dans une période où l’IA promet beaucoup, mais ne délivre pleinement que lorsqu’elle s’appuie sur rigueur, gouvernance et lucidité.
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