Le Web n'est décidément pas Green... Le premier baromètre dépeint un univers de pages Web et de sites sans aucune volonté d'éco-conception.

Green IT

Ecoconception des sites Web : la maîtrise technique est là, pas la volonté

Par Marie Varandat, publié le 27 septembre 2022

Selon le baromètre publié par Razorfish et le collectif GreenIT.fr, la majorité des sites Web ne respectent pas les règles de l’écoconception. Autrement dit, les entreprises ont encore beaucoup de marge de manœuvre pour agir positivement sur l’empreinte environnementale de leur site et se conformer à une législation qui ne saurait tarder.

Discipline informatique récente, l’écoconception consiste à réduire l’impact environnemental des services numériques dès la phase de conception. Optimisation technique, architecture et choix des technologies, innovation fonctionnelle, maintenance et gestion du cycle de vie… Identifiées dans un ouvrage publié par le collectif GreenIT.fr, les bonnes pratiques sont de mieux en mieux maitrisées, mais peu d’entreprises les appliquent si l’on en croit le premier baromètre dédié à l’éco-conception des sites Web.

Réalisé par l’agence marketing Razorfish, en partenariat avec le collectif GreenIT.fr, il analyse les “90 sites les plus représentatifs du paysage économique et numérique” français. En pratique, les 10 pages les plus visitées des sites de groupes du CAC 40, ainsi que du top 50 des sites marchands, d’information, de divertissement et du service public ont été scannées et analysées dans le cadre de ce baromètre. Et force est de constater que les entreprises ont encore des efforts à réaliser si elles veulent se tailler une image éco-responsable : avec une note moyenne de « 29/100 », la majorité des sites sont mauvais en matière d’éco-conception.

Un niveau homogènement bas, quel que soit le secteur

Pour réaliser son baromètre, Razorfish s’est appuyé sur l’outil open source gratuit EcoIndex mis au point par GreenIT.fr. À l’image du système d’étiquetage nutritionnel (le fameux Nutri-Score), EcoIndex classe les sites selon cinq niveaux, allant de A à E et du vert au rouge. La note obtenue est le résultat d’un calcul associant l’empreinte applicative (nombre d’éléments du DOM, nombre de requêtes, etc.) à l’empreinte physique qui en découle (consommation processeur / CPU et mémoire vive / RAM, quantité de données échangées, etc.).

Équivalent d’un « E », la note moyenne obtenue par les 90 sites testés est d’autant plus mauvaise qu’elle reflète le paysage global du Web : les trois quarts des sites étudiés ont une note égale ou inférieure à E ! Une union dans la médiocrité puisqu’on ne distingue pas de bons élèves qui feraient plonger les mauvais et vice-versa. Seule exception notable, le site d’Essilor se distingue avec un B, note maximale octroyée à l’occasion de ce premier baromètre.

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Les auteurs de ce dernier précisent toutefois que les sites marchands se classent en bas du tableau avec une note de 18/100 tandis que les sites de services publics tirent la moyenne vers le haut avec un tout petit « D » équivalant à une note de 37/100. Ils sont suivis par les sites institutionnels du CAC 40 (34/100) et les sites d’information et de divertissement (27/100).

Il convient toutefois de pondérer ces résultats en prenant en compte la vocation intrinsèque des sites testés : par nature, un site marchand est forcément plus transactionnel qu’un site d’information. Il est donc plus consommateur de ressources IT.

Cependant, certaines apparences sont parfois trompeuses ainsi que le soulignent les auteurs du baromètre : composée uniquement de texte qui à priori n’engendre pas une grosse consommation de ressources, la page Wikipédia de la biographie de Jean-Paul Belmondo (page Wikipédia la plus consultée en 2021) est pourtant écologiquement une catastrophe. En cause ? La multitude de liens hypertextes embarqués. Preuve que, comme le souligne Frédéric Bordage, fondateur de GreenIT.fr « l’écoconception ne se devine pas, ne se voit pas toujours à l’œil nu et qu’il y a encore trop d’idées préconçues autour de l’éco-conception de services numériques ».

Changer d’échelle pour infuser une véritable culture de l’écoconception

Reste qu’entre 1995 et 2021, le poids moyen d’une page Internet a été multiplié par 155 ! Et, en l’état, ces 90 sites étudiés représentent un équivalent d’émissions de CO2 de l’ordre de 8000 tonnes et consommeraient quelque 120 millions de litres d’eau, soulignent les auteurs de l’étude qui cherchent avant tout à sensibiliser, ainsi que le souligne Charlotte Dollot, directrice générale de Razorfish France : « Il était nécessaire qu’au-delà de l’outil de mesure, nous puissions créer un électrochoc en provoquant la comparaison, pour que chaque entreprise puisse se mesurer aux normes du marché ».

Désireux de faire bouger les lignes sur l’éco-conception des services numériques, Razorfish et GreenIT.fr précisent qu’en supprimant les contenus non sollicités, en optimisant le poids et la résolution des contenus à un niveau jugé nécessaire, en réduisant la longueur des pages et en insérant des vidéos avec parcimonie, les entreprises pourraient déjà drastiquement améliorer leur EcoIndex sans sacrifier de contenus, informations ou fonctionnalités essentiels.
Ils préconisent aux entreprises une démarche en trois volets : actionner les quick-wins avant de se lancer dans de gros chantiers, simplifier les services et les usages en ligne et, enfin, changer d’échelle de façon que l’éco-conception dépasse le simple cadre de la RSE (responsabilité sociétale des entreprises) pour devenir un sujet d’entreprise, avec une culture de la sobriété numérique infusée à tous les niveaux et dans toutes les directions.

Une confusion législative peu encourageante

En attendant, d’un point de vue réglementaire, rien n’oblige une entreprise à adopter une démarche éco-responsable pour concevoir son site Web.

Ainsi que le soulignait l’ADEME dans son Baromètre Ecoconception 2020, la première raison qui pousse une entreprise actuellement à se lancer dans l’éco-conception est liée à la conviction personnelle de son dirigeant. L’anticipation de futures réglementations arrive toutefois en seconde position.

L’ARCEP et le BEREC (Body of European Régulators for Electronic Communications) se sont emparés du sujet ainsi que le souligne Sandrine Elmi Hersi, co-présidente Soutenabilité au BEREC et chargée d’affaires européennes à l’ARCEP, lors de la présentation du baromètre, « mais nous n’avons pas vocation à formuler des recommandations politiques. En tant que régulateurs, notre principal objectif est de mettre notre expertise à disposition ». Expertise qui aujourd’hui se concrétise par une multiplication d’études et de méthodologies liées à la sobriété numérique.

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De son côté, le législateur n’est guère plus clair : entre la loi climat, la loi REEN, les dispositions européennes, les propositions de mesures sénatoriales et les standards de facto susceptibles de devenir un jour des directives européennes, l’entreprise ne sait plus à quel saint se vouer.

Même en isolant le sujet de l’éco-conception des autres problématiques du GreenIT, les échéances restent très vagues ainsi que le souligne Lise Breteau, avocate au barreau de Paris et membre du collectif GreenIT.fr : « La loi REEN reste une loi-cadre qui présente l’avantage de mettre tous les sujets sur la table, sans toutefois rendre des choses obligatoires où créer vraiment un régime juridique complet. Sur le sujet de l’éco-conception, elle prévoit l’élaboration d’un référentiel d’éco-conception de service numérique à partir de 2024. On n’en sait pas plus. Autrement dit, nous n’avons aucune idée de la date de livraison de ce référentiel qui aura vocation à devenir obligatoire et que la France pourrait pousser au niveau européen pour qu’il intègre le cadre réglementaire européen qui est par ailleurs en cours de constitution ».

Que faire en attendant la réglementation ?

Pour Lise Breteau, la problématique posée par l’écoconception des services numériques est assez similaire à celle des sujets de conformité, telle l’application du RGPD. « On est un peu dans le même mouvement. Soit, on procrastine et on attend qu’elle devienne vraiment obligatoire avec un risque de sanction et là, les entreprises devront alors se conformer à la législation dans la douleur. Soit, elles essaient d’en faire un levier de différenciation, de compétitivité, d’innovation, etc. ».

Pour celles qui choisiraient d’anticiper l’obligation réglementaire, Frédéric Bordage rappelle que les règles d’application de la méthodologie PEF (Product Environmental Footprint) sont attendues pour cette année. Cette méthodologie, sur laquelle est basé l’EcoIndex, s’inspire des séries de standards ISO 14040 et ISO 14020. Elle a pour objectif de définir objectivement l’empreinte environnementale des produits et d’en donner une méthode de mesure rigoureuse commune à tous les pays membres de l’UE.

« L’idée n’est pas de créer une écologie punitive, précise le fondateur du collectif GreenIT.fr. Nous préconisons une démarche plutôt incitative, d’où la création de l’EcoIndex et de son étiquetage calqué sur celui du nutri-score. Le concept fonctionne pour l’alimentation, pourquoi ne fonctionnerait-il pas pour les services numériques ? D’autant que certains pays, comme l’Allemagne, cherchent à contraindre les grands moteurs de recherche à afficher des impacts environnementaux dans les résultats de recherche. Typiquement, Google, qui possède le moteur de recherche le plus utilisé, pourrait accélérer le processus en affichant un numéri-score pour chaque site Web. Et ce, en s’appuyant sur les futurs standards qui sont déjà définis par la Commission européenne, comme le PEF, et qui font l’objet d’un consensus et non pas sur leurs propres solutions comme ils ont l’habitude de le faire ».

À bon entendeur, salut !

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