Gouvernance

J’ai passé un entretien pour prendre ton poste

Par Mathieu Flecher, publié le 16 octobre 2018

Un entretien de recrutement est à la fois un excellent exercice et un moment passionnant quand vos recruteurs vous expliquent pourquoi vous êtes devant eux.

Bref, j’ai passé des entretiens. Je ne vais pas vous parler de la façon dont j’ai été chassé, dragué, amadoué, mais plutôt de la phase des entretiens, pendant laquelle j’ai été très étonné d’une rengaine qui revient sans cesse dans la bouche des recruteurs. Quand je parle des recruteurs pour les postes de DSI, je ne parle pas seulement du « HR Business Partner » mais plus généralement de votre futur patron (DAF, CEO, COO dans le pire des cas), et bien sûr de vos futurs « clients ». Qui sont ces clients ? Les membres du CODIR, parfois vos futurs collègues, et parfois vos futurs « clients internes ». Bien que nous soyons en 2018, où nous sommes censés avoir évolué vers des DSI 2.0, il est très fréquent de retrouver dans la bouche de ces « clients internes » une insatisfaction notoire quant à la prise en compte de leur besoin. J’ai eu le droit à des qualificatifs divers et variés sur leur perception du service rendu et sur l’écoute des équipes IT face à leurs besoin : « Vous savez, la DSI, chez nous, c’est le département-qui-dit-non », ou bien « On a arrêté de bosser avec eux, on fait faire par des consultants externes », etc. Il faut être cependant lucide. Si vous passez des entretiens pour être DSI dans une entreprise, c’est que, dans le meilleur des cas, que nous ne traiterons pas ici, l’actuel DSI part à la retraite, et dans le pire des cas, qui est le plus fréquent, c’est que, selon le recruteur, « on a tout essayé, mais on pense qu’il faut changer de DSI ».

Que s’est-il donc passé alors pour que je finisse dans le bureau d’un DRH ? Que s’est-il passé dans cette entreprise pour que le dialogue DSI-Métiers soit rompu ? Plein de phénomènes liés au consumérisme entrent en jeu ici. Les utilisateurs sont de plus en plus informés sur les nouvelles technologies, les vivent au quotidien, ont l’habitude du freemium, voire du gratuit, de solutions « good-enough technology » comme les qualifie le serial entrepreneur Peter Hinssen, et surtout avec un delivery proche du « c’était pour hier ». Il est vrai que, dans ces conditions, les DSI monolithiques, très « processées », n’ont aucune chance de faire le poids face à ce raz-de-marée de jeunes « clients » qui ne comprennent pas le mode de fonctionnement d’une DSI. 

Nous ne faisons pas un métier facile, n’est-ce pas ? Je ne suis pas là pour donner la bonne recette, simplement déjà car il n’y en a pas, tout dépend du contexte, mais je peux juste apporter un élément de structure qui me paraît être le plus important si l’on veut satisfaire nos clients. Notre activité, c’est comme un iceberg, pour reprendre cette image très répandue. 10% dépassent, 90% sont immergés. De notre activité, les utilisateurs n’en voient que 10% et, excusez-moi du terme, se foutent de savoir ce qu’il y a en dessous. Pour moi la clé est là. Être un « bon » DSI, c’est en partie savoir se focaliser sur les 90% avec ses équipes tout en étant à même de faire en sorte que les 10% du dessus fonctionnent. Oui, le travail sous la surface n’est pas facile, et représente beaucoup de contraintes et de difficultés pour nous et nos équipes. Mais au final, ce que les utilisateurs retiennent, c’est votre capacité à être sur les sujets du 10%. L’excuse typique du DSI empêtré dans ces affres va être de justifier la non-atteinte des objectifs du 10% par la difficulté à gérer les 90%. Entendez par là : pas assez de collaborateurs, pas assez de CAPEX, ouh là là, c’est compliqué, je n’ai pas les bons spécialistes, les technologies changent vite, on ne peut pas avancer sans faire des procédures… Vous sentez les arguments ? Ce sont les vôtres ? Attention à la ligne rouge alors.

Qu’y trouve-t-on dans ces fameux 10%, au fait ? Tous les recruteurs m’ont mentionné les deux points suivants. D’abord « la prise en compte d’une participation à l’élan digital ». Mais attention ! D’après eux, certains DSI veulent tout contrôler sous prétexte que ça touche à la technologie. Et ça, ils n’aiment pas. Le Digital (avec un grand D) c’est du Business (avec un grand B) : c’est peut-être une réponse technologique, mais c’est surtout une disruption dans les business model des entreprises.

Ensuite, « la relation DSI-Métiers ». Ah, ces vieux démons que les problèmes de communication entre DSI et métiers. Ces derniers expliquant aux premiers qu’ils ne sont pas entendus sur leur besoin et résument cette problématique à « je te dis ce que je veux, tu m’expliques très logiquement pourquoi tu ne pourras pas le faire ». C’est ici, avant tout, un état d’esprit à avoir vis à vis de nos utilisateurs, consistant à les associer à la démarche de la DSI, par des instances de gouvernance, des ateliers, des travaux conjoints, etc., un peu comme dans « la vraie vie des entreprises », à savoir associer les clients à la démarche innovation…

Donc, si vous voulez que j’arrête de passer des entretiens, vous savez ce qu’il vous reste à faire dans vos DSI respectives ? Avoir un sens du client interne – nouer des contacts, les entretenir -, ne pas être le bureau des pleurs et, surtout, ne pas être un département connexe au reste de l’entreprise. Sinon, vous connaissez l’issue…

(*) Mathieu Flecher est le pseudonyme d’un DSI bien réel.
mathieu.flecher at gmail.com

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