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Le numérique crée-t-il vraiment des emplois ? Une question qui dérange

Par La rédaction, publié le 18 septembre 2013

Si tout le monde s’accorde à considérer le numérique comme un levier de croissance, est-il aussi un eldorado pour la création d’emplois ?

Si tout le monde s’accorde à considérer le numérique comme un levier de croissance, est-il aussi un eldorado en termes d’emplois ? Ces derniers mois, des voix se sont élevés pour mettre en garde contre cette idée, faisant valoir que si le choix du numérique était vital et le futur prometteur, cela ne s’accompagnerait pas nécessairement des créations d’emplois espérées.

Dans un billet comme d’habitude très fouillé, Olivier Ezratty montre que s’il y a création d’emplois, elle s’accompagne également d’une destruction et qu’on est tout sauf sûrs qu’au final le bilan s’équilibre. Même son de cloche chez Louis Naugès : le numérique aura besoin de beaucoup de main-d’œuvre en direct, mais au détriment de la fonction informatique au sein des entreprises. Qu’en penser ? Fait-on fausse route ou surévalue-t-on le potentiel de l’économie numérique dans une tentative désespérée de s’accrocher à la seule bouée de sauvetage en vue ?

Le numérique détruit des emplois. Beaucoup d’emplois.

Premier constat, et autant démarrer par celui qui inquiète le plus, le numérique détruit des emplois. Premièrement parce qu’il est le support de modes de travail plus efficaces. En permettant des modes de travail, de coordination et de management plus efficaces, plus en phase avec notre temps, le numérique signe la fin des « jobs à la con ».

Enfin potentiellement, seulement. Selon l’adage selon lequel vous n’avez aucun retour sur investissement tant que vous ne vendez pas plus ou que vous ne licenciez personne, on peut penser que la digitalisation de l’entreprise et des modes de travail sera largement destructrice d’emplois, mais la vérité est plus nuancée. Beaucoup de sociétés décident, pour des raisons parfois légitimes, de passer deux fois à la caisse. En investissant fortement dans le numérique d’un côté et n’en tirant pas les conséquences et continuant à travailler comme avant avec les mêmes personnes et les mêmes jobs « à la con ».

Ensuite parce qu’il induit des business models concurrents à ceux existant et substituant l’activité d’un réseau au travail de salariés. On parle là, notamment, de l’économie collaborative qui, pour une large part, apporte des solutions concurrentes aux modèles existant mais font levier sur des réseaux communautaires et non plus sur des personnes tirant un revenu salarié de leur activité. Le succès des acteurs de l’économie collaborative entraînera souvent une baisse l’activité des acteurs traditionnels sans pour autant générer les emplois qui vont avec. Souvent, mais pas toujours : tout dépend qu’elle se développe sur un marché mûr ou pour lequel le potentiel de croissance en complément, et non en remplacement, des acteurs traditionnels existe.

Le numérique détruit des emplois. Peu d’emplois.

A côté de cela, le numérique est également créateur d’emplois. Chaque nouvelle entreprise qui se lance pour explorer et exploiter ce terrain nouveau dont on commence à peine à percevoir le potentiel crée des emplois. Le fait que le Web devienne une véritable plate-forme a également des conséquences : il va bien falloir du monde pour concevoir et faire fonctionner ces environnements nouveaux et les infrastructures qui les supportent. Mais là encore les limites existent.

Combien de salariés chez Google par rapport aux leaders de l’ère industrielle ? Combien chez les leaders de l’économie collaborative ? Infiniment moins que chez leurs concurrents actuels. La raison est double. D’abord la technologie qui se simplifie, devient une commodité : on a besoin aujourd’hui de moins de monde pour lancer un produit leader. Si l’on ne fait même que comparer les montants des levées de fonds des années 90 et 2000 à celles de l’ère web2.0/cloud les différences sont saisissantes et la raison simple à comprendre : on peut faire beaucoup plus qu’avant avec beaucoup moins.

A côté de cela, si les emplois informatiques, comme le prédit Louis Naugès, quittent les entreprises pour retourner à terme directement chez les opérateurs techniques de l’économie numérique, le taux de remplacement ne sera jamais de un pour un. Si 1 000 PME passent leur IT dans le cloud et se séparent, globalement, de 1 000 personnes (hypothèses d’école), combien faudra-t-il de personnes pour opérer les services concernés. 500 ? 100 ? 50 ? Car si le cloud tire nombre de ses avantages de la mutualisation des infrastructures, il mutualise également les emplois.

Enfin, comme déjà dit plus haut, les acteurs du numérique ont un ADN numérique. Adeptes du modèle Lean Startup, centrés sur leur cœur de métier, ils reposent sur réseaux et communauté pour une grande partie de leurs opérations. Pas besoin de milliers de salariés pour réaliser des centaines de millions de chiffre d’affaires. Ces entreprises tirent également profit de la « seconde économie » de milliers, voire de millions de personnes dont l’activité sert leur business model sans aucune forme de contrepartie.

Quand valeur ne rime plus avec emploi

Nous voilà à un moment unique de notre histoire. Traditionnellement, chaque révolution économique, industrielle, a créé davantage d’emplois que l’économie qu’elle remplaçait peu à peu. Traditionnellement création de valeur rimait avec création d’emplois. Ce n’est plus le cas.

L’économie numérique a un potentiel quasi infini de création de valeur mais le fera avec peu d’emplois. Et n’espérons pas mieux du coté de la digitalisation des secteurs traditionnels. De nombreux articles Andrew McAfee du MIT nous montrent que dans la plupart des secteurs la reprise, souvent due en partie à la révision des business models et des efforts dans l’investissement technologique, ne se traduit pas par des embauches. Le numérique permet en effet des effets d’échelle, une “scalabilité” qui permet dans une large mesure de rendre le volume de production peu dépendant des effectifs.

Un modèle qui génère beaucoup de richesses avec de moins en moins d’emplois nous pose deux questions :
– est il viable ? La seconde économie, le participatif, fonctionnent à condition qu’à coté les participants aient une source de revenus principale. Faute de travail continueront ils à participer ou se réorienteront ils vers la satisfaction de besoins vitaux ?
– doit on penser à inventer de nouveaux modèles liant non plus revenus et emploi mais revenus et activité ? Où existe-t-il d’autres alternatives du type “tous micro-entrepreneurs” ?

La question des emplois numériques est pertinente et mérite d’être posée mais elle n’est pas centrale dans les évolutions auxquelles nous allons devoir faire face dans les années à venir. Des modèles de création de valeur distribués, contributifs et participatifs vont nous demander de trouver des modes de distribution de la valeur créée adaptés sous peine de gripper toute la chaine.

Bertrand Duperrin

Bertrand Duperrin

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