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Quantique et simulation : une synergie technologique au cœur de l’ingénierie de demain
Par La rédaction, publié le 13 août 2025
Quand le quantique s’appuie sur la simulation et la renforce, l’ingénierie franchit un seuil décisif, ouvrant la voie à des systèmes plus rapides, précis et interconnectés. Au croisement du HPC, du cloud et du quantique, la simulation devient un socle stratégique pour modéliser, valider et accélérer les architectures de demain.
De Prith Banerjee, Chief Technology Officer, Ansys
L’informatique quantique fascine autant qu’elle promet. Simulation de molécules, conception de matériaux, optimisation industrielle : les applications envisagées laissent entrevoir des gains de performance inédits. Mais derrière cette révolution encore en gestation, une autre technologie, bien ancrée dans le quotidien de l’industrie, joue un rôle discret mais déterminant : la simulation numérique.
C’est elle qui permet de modéliser les composants quantiques, tester les architectures, anticiper les comportements physiques à l’échelle nanométrique. Bien plus qu’un simple outil de support, la simulation rend possible l’ingénierie quantique. Longtemps cantonnée aux bureaux d’études, elle devient aujourd’hui un socle stratégique pour toute la filière.
Simulation numérique : une infrastructure invisible mais essentielle
La simulation numérique consiste à modéliser mathématiquement des systèmes physiques complexes pour prédire leur comportement, tester des scénarios et optimiser des conceptions en réduisant les besoins en prototypes physiques. Elle repose sur des modèles mathématiques (comme les équations de Maxwell ou de Navier-Stokes), des méthodes numériques avancées (éléments finis, volumes finis, solveurs multigrilles) et des ressources de calcul intensif (HPC, GPU, cloud). Déjà présente dans tous les grands secteurs industriels, de l’aéronautique aux semi-conducteurs, elle devient aujourd’hui indispensable au développement du quantique.
Concevoir du quantique grâce à la simulation multiphysique
Dans le cas d’architectures à qubits d’ions piégés, comme ceux développés par IonQ, acteur clé du secteur, la simulation permet de modéliser finement la géométrie des pièges électromagnétiques, les guides photoniques, les effets de bruit thermique ainsi que les réponses mécaniques de l’assemblage.
Cette approche multiphysique garantit la stabilité des qubits, la qualité des opérations logiques, et la mise à l’échelle des systèmes. Sans simulation, aucun cycle d’itération rapide n’est envisageable sur ces composants extrêmement sensibles. IonQ utilise également la simulation pour optimiser ses réseaux quantiques et composants photoniques de nouvelle génération.
Miraex : relier les qubits pour construire le réseau quantique
Autre exemple remarquable, celui de la startup suisse Miraex, qui conçoit des interconnexions RF-photoniques pour relier plusieurs ordinateurs quantiques entre eux. La simulation multiphysique a permis à l’équipe d’équilibrer finement les pertes de circuit, les vitesses de propagation et le couplage optique dans ses dispositifs de conversion micro-ondes / optique. Des logiciels de simulation électromagnétique haute fréquence et de simulation optique photonique ont été utilisés pour corréler les vitesses de propagation électrique et optique, tandis que des simulations électrostatiques ont permis d’ajuster le chevauchement des champs. Résultat : une réduction significative du temps de préparation et un prototype prêt à être industrialisé.
Alice & Bob : simuler la robustesse des qubits à chat
Enfin, le cas d’Alice & Bob, startup française qui développe des qubits dits « à chat de Schrödinger », montre que la simulation est aussi indispensable pour concevoir des architectures intrinsèquement tolérantes aux erreurs. Ces qubits exigent une modélisation fine des interactions quantiques et des mécanismes de décohérence. L’équipe évalue différentes configurations en amont grâce à des outils de simulation avancés, ce qui garantit à la fois reproductibilité et fiabilité.
Quand le quantique accélère la simulation elle-même
Ces cas d’usage illustrent également un basculement progressif : le quantique ne bénéficie plus seulement de la simulation, il commence aussi à la renforcer. En 2025, une démonstration industrielle menée avec IonQ a montré que ses systèmes pouvaient accélérer une simulation opérationnelle : la modélisation d’une pompe sanguine. Réalisée avec un solveur hybride quantique, cette simulation de dynamique des fluides a permis un gain de 12 % en temps de calcul par rapport à l’approche classique, sur un modèle atteignant 2,6 millions de sommets et 40 millions d’arêtes. Ce jalon marque l’intégration concrète du quantique dans les processus d’ingénierie industriels.
Au-delà de cet exemple, des algorithmes quantiques comme VQE ou QAOA sont déjà employés pour résoudre des sous-problèmes complexes au sein de simulations classiques. Dans certaines plateformes, un module quantique peut intervenir pour traiter une matrice Hamiltonienne particulièrement difficile, avant de réintégrer ses résultats dans le pipeline global. Ce modèle laisse entrevoir une nouvelle génération de solveurs hybrides, combinant spécialisation algorithmique et accélération quantique.
Une convergence orchestrée : IA, cloud, API
Cette convergence se joue aussi dans l’infrastructure. Le cloud permet d’exposer à grande échelle des simulateurs haute-fidélité. L’intelligence artificielle (notamment via des modèles génératifs ou du « reinforcement learning ») assiste la configuration des cas d’usage, optimise le maillage, ou prédit des comportements. Des interfaces Python unifiées permettent d’appeler, dans un même environnement, des solveurs multiphysiques, des modules IA et des backends quantiques. Ce n’est plus de la prospective : c’est déjà de l’ingénierie appliquée.
Vers une ingénierie hybride, accessible, souveraine
L’Europe a bien compris l’importance stratégique de ces convergences. À travers le Quantum Flagship (1 milliard d’euros sur 10 ans), et des initiatives comme EuroHPC ou le projet HPCQS, elle finance une montée en puissance conjointe du calcul haute performance et du quantique. La France, de son côté, porte une ambition claire via son Plan Quantique lancé en 2021 : 1,8 milliard d’euros pour développer un écosystème souverain, dont une partie est dédiée à la simulation et à l’intégration industrielle. Ce soutien stratégique souligne l’importance croissante de la simulation comme interface entre la recherche fondamentale, l’ingénierie matérielle et les applications industrielles.
L’ingénierie numérique du futur ne se résumera pas à choisir entre simulation classique ou calcul quantique. Elle sera hybride, modulaire, interconnectée. La simulation rend les systèmes quantiques possibles. Le quantique, lui, repousse les limites de la simulation. L’avenir se jouera donc à leur intersection.
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