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L’IA remporte une première victoire dans son « Fair Use » des livres copyrightés
Par Laurent Delattre, publié le 26 juin 2025
Une décision historique vient d’être rendue dans l’affaire opposant trois auteurs américains à Anthropic, créateur du chatbot Claude. Le juge William Alsup du tribunal fédéral de Californie du Nord a tranché en faveur de la startup conceptrice de l’IA « Claude » sur la question centrale du “fair use” (usage équitable), tout en maintenant des poursuites pour l’utilisation de millions de livres piratés. A San Francisco, un autre juge a pris également une décision similaire.
Un premier juge californien vient donc de trancher : entraîner un grand modèle de langage sur des ouvrages protégés relève du « fair use » dès lors que les exemplaires ont été acquis légalement. « La technologie en cause est l’une des plus transformatrices que nous verrons de notre vivant », écrit le juge William Alsup, estimant que Claude, le LLM d’Anthropic, ne se substitue pas aux livres originaux mais les réinterprète. Pour lui, le processus d’apprentissage de l’IA est similaire à celui d’un « lecteur aspirant à devenir écrivain », utilisant les œuvres « non pas pour les reproduire ou les remplacer, mais pour s’en inspirer et créer quelque chose de différent ».
Cette décision, la première à appliquer concrètement la notion de fair use aux modèles génératifs, fait écho à un autre jugement rendu également cette semaine en faveur de Meta dans une plainte similaire : là aussi, faute de preuve d’un impact économique, les auteurs plaignants ont été déboutés. Le Juge Vince Chhabria de San Francisco estime que les plaignants n’ont pas su démontrer que la conduite de Meta était illégale en regard de la Loi sur le Copiright. « Cette décision n’établit pas que l’utilisation par Meta de matériaux protégés par le droit d’auteur pour entraîner ses modèles de langage est légale », explique Vince Chhabria. « Elle établit seulement que ces plaignants ont présenté les mauvais arguments et ont échoué à constituer un dossier étayant leur bon droit. »
Ces décisions interviennent dans un contexte de multiples litiges similaires impliquant OpenAI, Meta, Microsoft et d’autres géants de l’IA. Mais elles pourraient influencer significativement l’évolution du cadre juridique et surtout la décision des autres juges car ces autres tribunaux devront nécessairement les considérer.
Si l’affaire Meta aura probablement un second acte, l’affaire Anthropic est en revanche toujours ouverte car la startup, si elle l’emporte sur l’argument « fair use » subit en revanche un échec sur ses pratiques. La société devra comparaître en décembre pour avoir stocké plus de sept millions d’e-books piratés dans une « bibliothèque centrale ». Le magistrat rappelle qu’« acheter ultérieurement un livre déjà volé n’efface pas l’infraction » et ouvre la voie à des dommages pouvant atteindre 150 000 $ par titre ! Dit autrement, l’utilisation de copies illicites reste attaquable et pourrait coûter cher à Anthropic et probablement à tous les acteurs de l’IA ayant entraîné de vastes LLM.
Anthropic se félicite d’un usage jugé « spectaculairement transformateur » mais « conteste » l’ouverture du procès sur la piraterie. De leur côté, l’Authors Guild et d’autres auteurs saluent la reconnaissance judiciaire du « caractère scandaleux » du pillage de bibliothèques numériques. Les observateurs voient déjà poindre un possible examen par la Cour suprême, tant les enjeux économiques dépassent le seul secteur de l’édition.
Au-delà du prétoire, l’enquête a mis au jour la logistique d’Anthropic : au-delà des ebooks téléchargés, des millions de livres papiers ont également été achetés puis littéralement démantelés, leurs pages ayant été découpées, scannées et… jetées. Objectif assumé de ce « carnage » : réunir « tous les livres du monde » pour nourrir Claude. Cette numérisation destructrice, certes couverte par le droit d’épuisement, illustre une nouvelle fois l’appétit insatiable des modèles pour des données de qualité.
Les législations essayent à posteriori de s’adapter à cette révolution de l’IA. En Europe, l’AI Act autorise le « text-and-data mining » (disposition juridique qui permet, sous certaines conditions, d’extraire automatiquement des informations de textes ou de données à des fins d’analyse, pour entraîner des IA) et impose d’offrir un « opt-out » aux ayants-droit (qui peuvent donc refuser en le signalant explicitement que leurs œuvres soient utilisées pour du text-and-data mining). Aux USA, le GenAI Copyright Disclosure Act actuellement en discussion envisage de forcer les entreprises à dévoiler les œuvres utilisées pour l’entraînement de modèles LLM. Au Tenesse, le Elvis ACT protège déjà les artistes contre une utilisation, une « synthèse vocale », non consentie de leur voix.
La stratégie de conformité risque donc de rapidement devenir un exercice d’équilibriste pour les entreprises internationales, même si les grands acteurs comme Microsoft et Google ont garanti de défendre et payer les amendes des entreprises condamnées pour violation de copyright en utilisant leurs IA. Suite aux prochains épisodes…
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