Gouvernance

Saint-Gobain met ses processus sous supervision automatisée

Par Thierry Parisot, publié le 21 février 2024

Pour améliorer ses missions d’audit interne et mieux contrôler l’efficacité de ses processus, Saint-Gobain a déployé un système de process mining. Celui-ci permet de détecter les éventuels dysfonctionnements, d’en analyser les causes, puis de définir des actions de correction. D’autres domaines devraient suivre.

Chaque année, Saint-Gobain réalise environ 120 audits internes, pour gérer les problématiques de conformité dans ses entités, en regard notamment des différents niveaux de risques (géopolitiques, environnementaux, éthiques, sociaux, etc.), et pour détecter d’éventuelles inefficacités. Jusqu’en 2017, ces audits duraient entre un et deux mois, et mobilisaient chacun six à sept personnes, dépêchées au sein des entités concernées. « Il était fréquent que les équipes de ces entités fassent preuve de résistance, se plaignant des perturbations que la récolte d’informations et les contrôles sur le terrain causaient à leur activité », raconte Matthieu Leviste, directeur du centre d’excellence du groupe. Plus grave, « en plus de leur caractère intrusif et chronophage, ces audits n’étaient pas exhaustifs ni totalement objectifs, puisque basés sur une approche par échantillonnage ».

Pour remédier à ces problèmes tout en « faisant mieux et en moins de temps », le directeur alors en charge de l’audit, des risques et du contrôle interne s’est intéressé aux mécanismes de process mining dont il avait entendu parler en échangeant avec des confrères en Allemagne. Il a alors découvert Celonis, l’un des pionniers dans la spécialité. « À la croisée du data mining et du business process management, cette approche analytique nous promettait d’obtenir une vision exhaustive et objective des processus audités à partir de données factuelles, récupérées dans les systèmes », explique Matthieu Leviste, précisant que « c’était aussi l’occasion de digitaliser le processus d’audit lui-même, en l’encadrant et en le sécurisant ».

À l’époque, la première étape du projet consiste à connecter l’outil data analytics de Celonis aux ERP des différentes entités du groupe, principalement des instances de SAP, et à mettre en place les mécanismes chargés de récupérer et de traiter les données opérationnelles au fil de l’eau. S’ensuit une année consacrée à la sélection des KPI et au paramétrage à partir des données du passé exploitées à l’aide d’un « starter kit », puis à un premier niveau d’analyse.
« Les “cartographies spaghettis” proposées par Celonis révèlent alors une série d’inefficiences, donnant une visibilité aux entités auditées sur la performance de leurs processus, sans aucun parti pris », explique Matthieu Leviste.

Avant d’envisager son extension à d’autres domaines, le process mining a permis d’améliorer le travail des auditeurs, qui disposent de données et d’analyses plus poussées sur tous les processus de l’entreprise, et la performance du processus d’audit lui-même.

Depuis le démarrage du système, en fonction des processus, les données des ERP sont déversées toutes les nuits ou toutes les quatre heures dans un data lake centralisé. Une fois récupérées dans cet entrepôt de technologie Snowflake, elles sont alors automatiquement transformées et brassées par l’outil Celonis, puis aussitôt analysées pour détecter les écarts, en identifier les causes et définir des plans d’actions. Les mécanismes de process mining ont de ce fait apporté des bénéfices à deux niveaux. Ils ont d’abord permis d’améliorer le travail des auditeurs, en passant d’une approche par échantillonnage à une approche exhaustive, et en les rendant beaucoup plus pertinents sur les recommandations. « En plus des gains de performance obtenus grâce aux actions correctives, la perception de l’audit interne a également changé, complète Matthieu Leviste. Auparavant perçu comme le gendarme qui contrôle, il est aujourd’hui considéré comme un partenaire commercial qui permet aux équipes d’obtenir de meilleurs résultats. »

Le process mining a aussi permis de fluidifier et d’accélérer le processus d’audit lui-même, puisque les auditeurs ne sont plus dépendants des éléments envoyés par les audités et sont libérés de nombreuses opérations manuelles (consolidation et croisement de données, revues de document, etc.). « L’outil Celonis et “l’approche data” de manière générale leur permettent d’être autonomes et indépendants, en se basant sur des analyses construites pour pointer les sujets importants et des pistes d’optimisation », insiste le responsable.

Matthieu Leviste

Directeur du centre d’excellence chez Saint-Gobain

« Fort des résultats obtenus sur le périmètre de l’audit, le groupe a décidé d’étendre l’utilisation du process mining à d’autres domaines potentiellement concernés. »


Concrètement, la durée de chaque mission d’audit a été réduite d’une à deux semaines en moyenne, soit environ 20 à 25 % de gains de temps, pour une économie d’environ 240 semaines par an. Le nombre d’auditeurs mobilisés sur chaque mission a aussi pu être réduit dans les mêmes proportions.

Mi-2022, fort de ces résultats et des gains financiers en découlant, le groupe Saint-Gobain a décidé d’appliquer son approche à d’autres services potentiellement concernés. Un « proof of value » a alors été mené pendant trois mois dans deux domaines : le processus comptable de la relation fournisseurs au Royaume-Uni, et le processus commercial de la relation clients en Argentine. « Ces deux domaines, retenus pour leur impact sur les objectifs financiers du groupe et pour leur maîtrise par Celonis ont été rapidement validés, avec des garanties en termes de retour sur investissement », justifie Matthieu Leviste.

Il a alors été décidé d’étendre le périmètre d’utilisation de Celonis, d’abord en allant plus loin sur celui de la relation fournisseurs et clients, pour couvrir tout le processus procure-to-pay (de la demande d’achats au paiement), et tout le processus order-to-cash (de la commande à l’encaissement). Saint-Gobain a aussi jugé utile de créer un « centre d’excellence » dédié, chargé du déploiement de l’outil, du support et de l’accompagnement.
Dans cette dynamique, d’autres domaines sont à l’étude, à commencer par la gestion des stocks, un « vrai sujet porteur de valeur » car trop souvent en excès ou en tension. Certes, « le déploiement du process mining nécessite un investissement conséquent, en technologie et surtout en ressources, reconnaît Matthieu Leviste. Mais le jeu en vaut vraiment la chandelle. »


Le marché du process mining toujours très dynamique

Alors que les entreprises ont pris conscience de la difficulté à optimiser des processus dont l’inefficience n’est pas révélée, le process mining a le vent en poupe depuis quelques années.
Selon Gartner, le marché mondial des outils dédiés aurait ainsi progressé de 46 % en 2021 et pourrait atteindre 2,3 Md$ en 2025, sur la base d’un taux de croissance annuel moyen de 33 % sur cinq ans. Parmi les pionniers de la spécialité, Celonis était jusqu’ici surtout mis en concurrence avec Abby, Appian ou IBM. Dans le dernier Magic Quadrant du cabinet d’études, datant de janvier 2023, sa plateforme est désormais talonnée par celle de Software AG et par SAP Signavio.


Le projet en chiffres

120 missions d’audit interne menées chaque année

1 à 2 semaines économisées sur chaque mission grâce au process mining

12 personnes au sein du centre d’excellence


L’entreprise Saint-Gobain

Activité : Production, transformation et distribution de matériaux
Effectif : 168 000 collaborateurs
CA : 51,2 Md€ (2022)



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