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« 51 % des entreprises cumulent entre 100 et 300 applications SaaS »
Par Laurent Delattre, publié le 12 août 2025
L’inflation des solutions SaaS en entreprise continue. Le dernier rapport Nintex alerte sur une déferlante qui grève l’efficacité. Quand chaque semaine amène un nouvel outil, l’agilité promise par le SaaS se transforme en casse-tête d’intégration et en bombe à retardement budgétaire.
Une entreprise sur deux opère désormais avec 100 à 300 applications SaaS. Ce seuil, qui aurait semblé extravagant il y a quelques années, est devenu la nouvelle normalité des organisations de 250 à 2 500 salariés. Et la vague continue de monter : 41 % des entreprises ajoutent un nouvel outil – ou plus – toutes les trois semaines, quand ce n’est pas toutes les semaines.
Le résultat de cette effervescence qui côtoie le Shadow IT ? Des intégrations incomplètes, des ressaisies manuelles sources d’erreurs, des validations qui s’enlisent et, au final, des processus qui perdent en fluidité alors qu’ils étaient censés gagner en vélocité. Telles sont les grandes leçons du « SaaS Sprawl Snapshot 2025 » publié par Nintex, à l’issue d’une enquête menée auprès de 2 000 décideurs IT dans quatre pays et centrée sur les entreprises de taille intermédiaire.
Le constat global est plutôt tranchant. Malgré une confiance affichée dans la « bonne intégration » des briques logicielles, seules 35 % des organisations disent disposer d’un stack entièrement intégré. Et 90 % estiment l’intégration « au moins majoritairement » effective, un optimisme vite douché par la réalité opérationnelle : 46 % se heurtent à des retards de workflows et d’approbations, 46 % subissent des saisies et duplications de données, et 34 % peinent à passer à l’échelle.
Le coût n’est pas neutre : 87 % des responsables IT signalent un impact budgétaire allant de modéré à majeur. Sans surprise, 96 % jugent le sujet prioritaire, et 55 % le considèrent comme une part centrale de leur mission .

4 Pays, 4 mauvaises pratiques…
La photographie n’est pas strictement européenne — la France n’est d’ailleurs pas incluse dans le panel — mais elle intéresse directement les DSI du Vieux Continent notamment via le miroir britannique. Au Royaume-Uni, 93 % des organisations affirment avoir intégré leurs outils SaaS, mais elles ne sont que 34 % à revendiquer une intégration complète. Le parc applicatif reste fourni : 31 % utilisent 51 à 100 applications, tandis que plus d’un quart ajoutent de nouveaux outils toutes les deux à trois semaines.
Face à cette dispersion, 61 % des entreprises britanniques classent la lutte contre le « sprawl » parmi leurs priorités élevées, près d’une sur deux recourant déjà à l’IA et à la consolidation sur plateformes pour reprendre la main .
Pour les DSI français, ces chiffres n’ont rien d’exotique : ils amplifient des tensions familières liées aux silos, à la conformité et à l’orchestration inter-systèmes, dans un contexte européen où la pression réglementaire et la souveraineté des données renforcent la nécessité d’architectures maîtrisées.
La situation américaine, elle, illustre jusqu’à la caricature la dynamique d’abondance… et ses effets collatéraux. Plus de la moitié des entreprises s’y situent entre 51 et 200 outils, et près d’un tiers ajoutent de nouvelles solutions chaque semaine, un record du panel. 88 % des décideurs y constatent un impact financier substantiel, et 24 % pointent des dépenses redondantes. Autre paradoxe : alors que 98 % jugent leurs outils « intégrés », un tiers admettent une orchestration inefficace, et près d’un sur deux dit manquer de stratégie et de ressources pour traiter le problème.
L’Australie offre un autre visage du même défi : 49 % des organisations y gèrent 51 à 200 applications et 91 % rapportent un impact financier tangible. Les risques de sécurité et de conformité remontent chez 41 % des répondants, les duplications de données chez 39 %. Signe d’un empilement non maîtrisé, 58 % jugent inefficaces leurs efforts actuels d’orchestration des processus, quand la moitié ajoute un nouvel outil toutes les deux à quatre semaines. Paradoxalement, la riposte technologique y est plus vive qu’ailleurs : 92 % déclarent mobiliser l’IA pour contenir l’inflation logicielle… sans que cela règle, à lui seul, la question des processus.
Aux Émirats arabes unis, la course à l’IA bute sur un socle encore fragile : 60 % des organisations utilisent entre 201 et 300 outils ; 78 % affirment l’intégration, mais seules 31 % la revendiquent « de bout en bout ». L’addition budgétaire est lourde pour 82 % des DSI, tandis que 61 % jugent leurs pratiques d’orchestration inefficaces. Plus préoccupant encore, à peine 35 % exploitent l’IA pour adresser le sprawl, signe d’un décalage entre ambition et exécution.
Des leçons à en tirer
Derrière ces chiffres, le défi des DSI est d’abord celui de la cohérence. La facilité d’adoption des outils SaaS a déplacé la rareté : ce ne sont plus les fonctionnalités qui manquent, mais la capacité à orchestrer des flux de travail transverses, à gouverner les données et à rationaliser des parcs hétérogènes. Le marché promet que l’IA comblera les brèches mais cette étude rappelle à qui veut bien l’entendre qu’elle n’est pas une baguette magique. « Aucun volume d’IA ni de solutions SaaS ne peut réparer un processus cassé », résume Niranjan Vijayaragavan, Chief Product Officer de Nintex. « Poursuivre l’efficacité avec un stack tentaculaire, c’est bâtir sur du sable ; les gains d’aujourd’hui deviennent les risques de demain » .

Que faire, alors ? Les réponses les plus citées dans l’enquête sont la consolidation, les plateformes intégrées, les achats centralisés, les audits d’usage, la montée en compétences, et l’usage ciblé de l’IA pour cartographier les applications, analyser les licences et automatiser les intégrations. Autant de solutions qui dessinent un cap à suivre, à condition de les articuler autour d’un chantier de fond : la redéfinition des processus. C’est à ce prix que l’IA devient levier, et non cache-misère. Pour les DSI européens, l’enjeu est d’autant plus aigu que la conformité et les exigences de résilience imposent des architectures sobres, traçables et maîtrisées, où chaque nouvelle brique s’insère par design, pas par habitude.
Reste une certitude, martelée par l’étude : la dispersion logicielle n’est plus seulement un irritant IT, mais un frein business qui pèse sur la productivité, la croissance et l’expérience client. La bonne nouvelle, c’est que l’urgence est comprise et que les priorités se réalignent. Le passage de l’inflation d’outils à l’orchestration des processus ne relève pas d’un grand soir technologique, mais d’une discipline continue. Ou, pour reprendre la formule de Nintex, « le véritable progrès exige plus que des outils : il faut repenser les processus et les politiques, orchestrer intelligemment les workflows, et bâtir une base intégrée » .
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