

Gouvernance
L’innovation, victime de l’urgence
Par Thomas Chejfec, publié le 13 octobre 2025
Toujours plus vite, toujours plus fort : l’entreprise carbure à l’urgence. Mais pendant qu’on éteint les feux, qui prépare le terrain ? À force de foncer tête baissée, on oublie ce qui pourrait vraiment faire gagner du temps. L’innovation, c’est le cheat code qui transforme la pression en performance.
Parole de DSI / Par Thomas Chejfec, Directeur des systèmes d’information
Dans l’entreprise, le temps court est roi. Les métiers vivent au rythme du chiffre d’affaires quotidien, de la satisfaction client immédiate, des opérations qui ne peuvent souffrir d’aucune rupture. La logistique, la finance, la production : chacun a le nez collé sur l’urgence. Et quand la pression monte, l’IT est sommée de répondre vite, parfois dans l’instant.
C’est légitime. Sans temps court, pas de résultat. Sans résultat, pas d’entreprise. Mais ce temps court a un défaut : il ne laisse aucune place… au temps long. Or c’est ici que se pensent l’innovation, la transformation, et que se prépare l’avenir.
L’innovation est souvent la première victime de l’urgence. Quand les agendas sont saturés par l’opérationnel, elle devient suspecte. On la regarde comme un luxe, un terrain de jeu pour consultants, ou pire : comme une perte de temps. « Il y a des clients à livrer, pas des POC à tester. »
Ce réflexe a tué bien des idées qui auraient, quelques mois plus tard, sauvé du temps ou de l’argent. La vérité, c’est que l’absence d’innovation fabrique de la dette… mais bon, tant qu’on fait tourner l’Excel du jour, tout va bien, n’est-ce pas ?
Pourtant et contrairement aux idées reçues, l’innovation n’est pas ce luxe qui nous détourne de nos priorités. Elle est l’alliée du temps court. Chaque automatisation réduit la pression du quotidien. Chaque refonte applicative supprime des irritants et rend le travail plus fluide. Chaque usage de la data ou de l’IA accélère la prise de décision et fiabilise le pilotage. Autrement dit, l’innovation ne ralentit pas l’entreprise : elle accélère son quotidien. Encore faut-il accepter de lever les yeux pour voir qu’elle est là – exercice parfois aussi difficile qu’un clic droit pour certains.
L’innovation n’est pas un gadget pour séminaire. Elle est un multiplicateur d’efficacité. Elle permet aux métiers de respirer quand la pression devient étouffante, d’anticiper plutôt que de subir, d’agir avant que la crise n’éclate. Mais pour que ce rôle soit reconnu, encore faut-il la rendre légitime. Trois leviers sont essentiels.
D’abord mesurer : pas de slogans, des faits. Même un petit gain – une heure économisée, un taux d’erreur réduit de 5 %, une décision prise deux fois plus vite – suffit à prouver la valeur.
Ensuite acculturer : le temps long n’est pas une lubie de DSI, mais une assurance pour les métiers. Leur montrer que l’effort d’aujourd’hui allège la fatigue de demain, installe une vision partagée.
Enfin sanctuariser : l’innovation doit avoir ses espaces protégés, en temps, en budget et en gouvernance. Sinon, elle sera toujours sacrifiée aux urgences.
Ce triptyque – mesurer, acculturer, sanctuariser – garantit le contrat qui transforme l’innovation en investissement accepté, et non en luxe contesté.
Au fond, l’équilibre est là : il ne s’agit pas d’opposer temps court et temps long. Le premier permet de vivre aujourd’hui, le second garantit qu’on vivra demain. L’entreprise qui réussit est celle qui sait conjuguer les deux : traiter les urgences tout en construisant l’avenir. Une heure d’innovation aujourd’hui, ce sont dix heures de crises évitées demain. La vraie articulation des temps ? Une stratégie lucide qui relie l’immédiat au durable.
À LIRE AUSSI :

À LIRE AUSSI :
