

Gouvernance
Game Over pour les DSI
Par La rédaction, publié le 15 septembre 2025
Le DSI ne vaut plus par ses serveurs, mais par sa vision. Sans réinvention, il ne sera plus qu’un gestionnaire de factures SaaS. Est-ce la fin des DSI, ou le début d’une nouvelle ère ? La fonction DSI peut elle survivre à la banalisation des technologies numériques quand chacun dans l’entreprise se voit déjà son propre DSI ?
Parole de DSI / Par Thomas Chejfec, Directeur des systèmes d’information
Toujours à la recherche d’idées originales pour illustrer ces chroniques, je suis tombé cet été sur un article prometteur, titré “La fin des DSI“. Après quelques recherches, je me suis aperçu que le sujet devenait prégnant. Soit, la fin des DSI. Parle-t-on de l’homme ou de la fonction ? Dans ces cas-là, on pose le cerveau, on prend papier et crayon pour schématiser l’ensemble.
Pourquoi ma profession disparaîtrait ? Soyons objectifs : il y a toujours eu des directeurs financiers, à toutes les époques. L’informatique est certes plus récente, mais pourquoi serais-je voué à l’oubli ? Cela dit, je reste méfiant. Les constructeurs de diligences ont bien disparu, et Kodak aussi.
Il faut dézoomer sur la profession, prendre du recul pour analyser la trajectoire. Que voit-on alors ? Dans les années 1970, une informatique de cave avec des spécialistes à qui l’on donne un « calcul » à rentrer dans la machine. Années 1980, les premiers PC arrivent en entreprise, c’est la première émancipation des utilisateurs. Dans les 90’s, Internet se pointe, permettant de communiquer en se passant des « DSI » naissantes. Années 2000, voilà le BYOD, et l’utilisateur devient agnostique vis-àvis de sa plateforme, accédant partout aux mêmes services, sous réserve de quelques contraintes techniques. Dix ans plus tard, c’est l’explosion des applications SaaS, on ne revient pas dessus. Et aujourd’hui, le couplage IA + cloud, qui combine toutes les révolutions précédentes et permet de se passer presque totalement d’une DSI.
Il y aura bien un moment où cette facilité à concevoir, entretenir, exploiter le numérique va se retourner – ou pas – contre nous, DSI. Où l’on n’aura plus besoin de nous. Alors que faire pour rester dans le game ? Ce n’est pas une question d’ego, je suis assez fataliste. Mais si ma profession doit disparaître ou se réincarner en simple pourvoyeuse de commodités technologiques, où apporterai- je de la valeur ? Comment la réinventer ?
Surtout que nous présentons une autre faiblesse, plus insidieuse : c’est que notre métier n’a jamais eu de véritable légitimité institutionnelle. Il existe des écoles de commerce pour former des PDG, des grandes écoles d’ingénieurs pour former des directeurs industriels, des cursus de droit et de finance pour former des DAF. Mais une école de DSI ? Ça n’existe pas.
Nous sommes une profession née par hasard, bricolée au fil des décennies, constituée de profils venus de l’ingénierie, du support, du développement, parfois même de l’opérationnel. Cela fait notre richesse, mais aussi notre fragilité. Nous n’avons pas de corps reconnu, pas de statut académique, pas ce socle qui rend notre place au Comex incontestable. Nous y sommes tolérés tant que nous apportons de la valeur, mais rapidement contestables dès que la technologie semble s’auto-gérer. Or l’histoire est cruelle avec les professions contingentes : elles finissent toujours par être absorbées ou dissoutes.
Il y a heureusement une porte de sortie et elle est claire : le DSI qui survivra aura su devenir stratège digital. Il devra se réinventer en chef d’orchestre de la transformation. Ce n’est plus sur les questions d’infrastructures ou de logiciels que son avenir se joue, mais sur sa capacité à aligner data, IA, process et culture pour créer un avantage compétitif. Le DSI qui embrasse ce rôle devient chief digital officer, chief transformation officer, membre à part entière du Comex, influençant la stratégie business au même titre que la direction commerciale ou financière. La technique devient un levier, pas une fin. Le métier, c’est désormais de piloter la mutation de l’entreprise dans son ensemble – vite, et surtout plus vite que les autres.
À l’inverse, celui qui ne s’adaptera pas est condamné à une lente marginalisation. Le danger qui le menace ? Se transformer en gestionnaire de contrats SaaS, en chief contract officer. Dans ce scénario, le DSI n’est plus un acteur de la stratégie, mais un simple responsable de back-office, chargé de signer, renégocier et auditer des abonnements que les métiers ont choisi sans lui. Un rôle de greffier technologique, sans vision ni influence. Là oui, on peut parler de régression et sans doute à terme de disparition, via une absorption par la DAF ou par les achats.
Alors la mort des DSI ? C’est sans doute non, mais certainement la fin d’une ère. Comme les écrivains publics du Moyen Âge, notre légitimité reposait sur la rareté : nous savions manipuler une langue ou une machine inaccessible au commun des mortels. Cette rareté a disparu, et avec elle notre monopole sur le sujet. Aujourd’hui, tout le monde a une IA dans la poche, tout le monde peut s’abonner en deux clics à un SaaS, tout le monde peut bricoler sa propre automatisation.
Le vrai tournant qui nous est proposé ? Disparaître comme gestionnaire du passé, ou renaître comme architecte d’avenir !
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