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Un classement des ESN/ICT 2025 très bouleversé
Par Laurent Delattre, publié le 20 octobre 2025
Secoué mais pas abattu, le secteur des ESN françaises choisit l’offensive. L’IA, les services managés et la vitesse d’exécution deviennent les leviers d’un marché en pleine recomposition. Place aux acteurs capables de livrer vite, fort et avec impact. Numeum et KPMG publie leur très attendu classement 2025 des ESN et ICT françaises. Voilà ce qu’il faut en retenir…
La semaine dernière, Numeum et KPMG publiaient le premier volet de leur enquête « Grand Angle ESN & ICT ». Cette semaine, ils officialisent le second volet de cette enquête, à savoir le toujours très attendu classement annuel des ESN et ICT françaises. Le secteur français des ESN et du conseil traverse une zone de turbulences, mais choisit l’offensive plutôt que l’attentisme. Face à une demande ralentie, les acteurs misent sur la valeur plutôt que le volume, accélèrent sur l’IA et renforcent leurs alliances. Après une année 2024 marquée par un ralentissement, 2025 se révèle encore tendue : près de 60 % des dirigeants anticipent une baisse de la demande et un tiers redoutent une contraction de leur chiffre d’affaires.
Pourtant, la filière refuse de subir et choisit de se réinventer. L’intelligence artificielle s’impose comme le levier central de cette mutation. Déjà utilisée dans le delivery, le recrutement ou l’administration, elle est désormais citée comme première opportunité de croissance par 70 % des acteurs, devant la transformation digitale et la cybersécurité. Sa contribution au chiffre d’affaires reste encore modeste — autour de 5 % en moyenne — mais son potentiel est jugé décisif pour les prochaines années.
Dans le même temps, la bataille des talents demeure vive, entre salaires, flexibilité et formation, tandis que la RSE et la sobriété numérique s’imposent comme critères stratégiques.
C’est dans ce paysage qui espère un rebond au premier semestre 2026, que Numeum & KPMG officialise donc leur classement annuel des ESN et ICT françaises. Et ce classement est pour le moins plein de surprise.
ZOOM sur le TOP 10
Derrière l’indétrônable Capgemini en première position (malgré un CA en repli de 3,5%), deux acteurs sortent comme les grands gagnants de ce classement 2025. Le premier n’est autre que SCC France qui s’impose à la seconde place devant Accenture et Sopra Steria. Ce dernier est d’ailleurs l’un des grands perdants de cette édition 2025 (avec un CA en recul de 13,1%, le plus fort taux du TOP 10), lui qui s’était fait remarquer l’an dernier en chipant la seconde place à Accenture. Sopra Steria retrouve une quatrième place qu’il avait déjà en 2023. D’une manière générale, le classement 2025 ressemble d’ailleurs davantage à celui de 2023 qu’à celui de 2024, preuve qu’après une année 2024 déroutante, certains équilibres ont été retrouvés en 2025.
Pour revenir à SCC France, qui passa de 2,72 à 2,93 Md€ et du 4e au 2e rang, l’intégrateur-distributeur a bien capté la réorientation des budgets vers l’exécution : renouvellements massifs de postes et de serveurs liés à la fin de vie de Windows 10, premiers déploiements de PC “IA”, modernisation réseaux/edge et remises à niveau datacenter. Son modèle, qui combine puissance logistique, capacité d’intégration multi-constructeurs et services managés, colle au besoin dominant des DSI : des programmes concrets, à ROI rapide, livrés à l’échelle. La dynamique profite aussi de la normalisation des chaînes d’approvisionnement et des projets Copilot/M365 qui tirent périphériques, sécurité et connectivité.
Le second grand gagnant n’est autre qu’IBM France qui avait disparu du classement en 2024 suite à la scission IBM/Kyndryl. Désormais les deux entreprises figurent dans le TOP 20 avec une 20 ème place pour Kyndryl et une 7 ème place pour IBM France portée par les services autour du cloud hybride (et Red Hat) ainsi que l’IA (avec ses offres watsonx). C’est aussi le signal d’un marché qui privilégie l’industrialisation : modernisation mainframe et plateformes de données, hybrid cloud fondé sur Red Hat/OpenShift, sécurité managée et premiers déploiements IA au-delà du stade expérimental. Dans ce contexte, l’offre « plateformes + services de transformation » d’IBM colle bien aux arbitrages actuels des DSI, surtout dans les secteurs régulés où les contrats pluriannuels structurent le run.
Autre progression notable, celle d’Orange Business France qui rejoint le TOP 5 qui semble avoir bien tiré profit des tractions sur les services managés (connectivité Cloud, WAN/SASE, sécurité opérationnelle à l’ère de NIS2) et lui permet de passer devant ATOS probablement ici handicapé par sa restructuration et sa nécessaire stabilisation opérationnelle pour regagner du terrain.
Ce que raconte le reste du classement TOP 50
Entre la 11e et la 50e place, ce cru 2025 nous raconte finalement l’histoire d’un marché IT qui s’industrialise et se recentre sur l’exécution. L’étage “milliardaire” ouvre avec Computacenter (1,16 Md€) et Inetum (1,03 Md€) : la mécanique d’intégration-distribution et des services managés profite à ceux qui savent livrer vite et à grande échelle, dans un cycle porté par les refresh postes/serveurs, les projets réseaux/SASE et les remises à niveau datacenter.
Computacenter conserve ainsi sa 11ème place sans profiter des effets qui ont porté SCC France cette année.
Inetum est sans doute l’une des déceptions de ce classement 2025, puisque l’ESN quitte le TOP 10 et perd 2 places, autre signe d’une année où les budgets ont privilégié l’infrastructure et le run managé au détriment des projets de transformation. La pression sur les TJM, l’allongement des cycles de décision et la poussée des intégrateurs-distributeurs sur les grands chantiers expliquent l’effet de ciseaux. L’ESN garde pourtant de solides atouts : base installée dans le public et les secteurs régulés, maillage territorial et centres de services. On peut s’attendre à un rebond en 2026.
Deux signaux faibles devenus forts : Cegedim (592,9 M€) et Spie ICS (553 M€) confirment la vigueur des portefeuilles récurrents, quand Kyndryl (520 M€) illustre la pression sur l’outsourcing historique, entre renégociations de contrats et bascule vers des modèles plus flexibles.
Dans le même temps, Docaposte recule à 825 M€ (-8,8%) et glisse de la 12ème à la 13 ème place pendant que OVHcloud à l’inverse, progresse de 442,5 M€ à 486,0 M€ (+9,8 %) mais cède d’un rang (passant de la 23e à la 24e) du fait des nombreuses entrées au classement.
Des entrées…
Les entrées du TOP 50, justement, parlons-en. Elle confirme le virage opérationnel du marché. Tessi (23e, 488 M€) s’installe haut dans le tableau en profitant du BPO documentaire et transactionnel, dopé par l’e-facturation et les exigences de conformité. Inop’s (25e, 462 M€) capte l’appétit des DSI pour une capacité d’exécution flexible via des communautés d’experts et des talents “on-demand”. Solutions30 (27e, 450 M€) illustre le retour en grâce du “field & edge” : déploiements sur site, modernisation des postes, réseaux et IoT tirent la demande d’industrialisation au plus près du terrain. L’arrivée de DXC France (28e, 441 M€) rappelle que les grands internationaux reprennent de la visibilité “base France” sur des périmètres clarifiés, notamment autour d’infogérance et de transformation applicative cadrée.
Plus bas, Heliaq (ex Koesio qui a splitté, 35e, 339 M€) et Inherent (anciennement Tibco Groupe, 37e, 304 M€) matérialisent la saison des rebrandings et carve-outs, où la recomposition des périmètres pèse autant sur les rangs que la croissance organique. Extia (42e, 241 M€) et Hardis Group (48e, 179 M€) signent l’entrée d’acteurs reconnus du delivery et de la supply-chain/Cloud privé, portés par des programmes à ROI court et des services opérés.
… et des sorties
Effet mécanique, ces arrivées compriment le milieu de tableau : certains historiques reculent d’un rang malgré une progression de chiffre d’affaires. Mais elles éclairent aussi et surtout les sorties du TOP 50. D’autant que le “plancher” du classement est passé de 135 M€ (50e en 2024) à 175 M€ (50e en 2025), soit près de 30 % de plus : un simple maintien ne suffisait donc plus à conserver une place dans le TOP 50.
Dans ce contexte, des acteurs comme Claranet (de 46e à 53e), Groupe INTM (de 47e à 52e), Synchrone (de 48e à 57ème), Consort Group (de 49e à 54e), Smile (de 50e à 60e) sortent non pas forcément par contre-performance, mais parce qu’ils sont dépassés par une vague d’entrées très orientées exécution et récurrence (BPO, terrain/edge, managed services) et par des changements de périmètre “base France” qui rehaussent mécaniquement le milieu de tableau.
La demande 2025 privilégie les programmes à ROI court (refresh postes/serveurs, réseaux/SASE, cloud/hosting local, conformité) au détriment des portefeuilles trop “projets” ou des modèles d’outsourcing legacy pas encore totalement transformés. S’ajoutent des effets de M&A, de rebranding et de reclassement comptable qui déplacent des volumes sans refléter la réalité opérationnelle chez les clients.
Au passage on notera la disparition de Devoteam du classement (autrefois 21ème) probablement parce que, avec sa sortie de bourse, l’entreprise ne publie plus ses résultats. Koesio disparait suite au split de ses activités (qui ont conduit à la création d’Heliaq, 35ème). Visiativ disparait également du classement après l’OPA de septembre 2025 et sa radiation d’Euronext.
Au-delà des mouvements de rang, ce classement entérine un changement de cycle que le rapport publié la semaine dernière mettait en avant. 2025 récompense l’industrialisation, la récurrence et la capacité à livrer vite des programmes à ROI court, quand les portefeuilles trop “projets” ou trop dépendants de l’outsourcing historique peinent à convertir l’intention en chiffre d’affaires. Si le marché espère un redressement au premier semestre 2026, il ne profitera qu’à ceux qui auront déjà transformé leur delivery en produits de services. 2024 a été déroutante, 2025 est sélective ; 2026 sera exigeante.
LE CLASSEMENT 2025 DES ESN & ICT FRANCAISES
Classements ESN & ICT — 2025 et 2024
# 2025 | Entreprise | CA 2024 (k€) | # 2024 | CA 2023 (k€) |
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Astuce : cliquez sur une ligne pour ouvrir le détail (variations de CA et de rang).