Gouvernance
Dette technique ou patrimoine : une question d’équilibre avant tout
Par François Jeanne, publié le 25 octobre 2022
AS/400, un avenir calé sur celui des mainframes ?
Trente-trois ans après son lancement, le serveur à l’époque départemental d’IBM est toujours bien présent dans nombre d’entreprises françaises. Et même si les interrogations enflent concernant la disponibilité de professionnels compétents, la machine (plusieurs fois rebaptisée entre temps) continue de profiter d’une belle image de robustesse et de stabilité. Sans compter la disponibilité d’outils qui permettent aujourd’hui d’en moderniser l’environnement sans fragiliser le patrimoine applicatif.
Les moins de 50 ans ne peuvent pas le savoir, mais le lancement de l’AS/400 a constitué l’événement de l’année 1988, sinon de la décennie. En tous cas pour les entreprises « pro-IBM » de l’époque. Époque aujourd’hui révolue… Il ne viendrait plus à grand monde aujourd’hui, l’idée de se ranger derrière les couleurs d’un constructeur informatique.
Pour autant, on peut encore parler de « comptes AS/400 – iSeries ». C’est ainsi que le serveur s’appelle désormais, après des évolutions successives qui en ont fait une machine de plus en plus puissante et de plus en plus ouverte sur les technologies « modernes » : un nouvel OS (IBM i), RPG Free Form pour le langage, SQL pour la base de données DB2, intégration de composants open source, accès via les services web, les API, etc.
Un must pour les applications maison
La liste des améliorations successives est longue et prouve au moins une chose : IBM n’a pas lâché l’affaire et cela fait bien celle de ses nombreux clients qui se réjouissent de concert de disposer d’une plateforme fiable et robuste, avec la pérennité des investissements du constructeur en plus. « Nous avons retenu l’AS/400 pour héberger notre application de gestion des congés payés pour le bâtiment », explique ainsi Didier Stefanelli, à la tête de la DSI de 120 personnes de l’UCF CIBTP. Le réseau des caisses CIBTP a dû en effet réécrire et surtout mutualiser une solution métier complexe, pour laquelle aucune alternative n’existait vraiment sur le marché.
C’est d’ailleurs la marque de nombreux clients de l’AS/400 aujourd’hui. Ils seraient environ 4 000 en France et se recrutent dans tous les secteurs de l’économie, et pas seulement dans les PME industrielles – et supposées vieillottes. C’est ainsi que des entreprises comme Geodis, la Fnac, Orange – malgré une tentative avortée de les remplacer avec le projet inabouti COME –, le groupe Bolloré (voir encadré) et de nombreux acteurs dans l’assurance partagent ce point commun.
« Quand je suis arrivée à la tête de la DSI d’Albingia – spécialiste de l’assurance des entreprises, NDLR –, j’ai retrouvé un parc d’AS/400 », explique par exemple Florence Devambez. Ayant déjà eu l’occasion de gérer un parc similaire par le passé, elle ne s’est pas laissée impressionner. « Cet environnement n’est plus du tout synonyme d’écrans verts. Il existe par exemple des outils comme l’AGL Adelia Web Studio qui permettent de réaliser des écrans “windows-like”. Et comme nos principales applications métiers tournent dessus, je les considère comme des éléments essentiels de notre patrimoine ». Même constat de Didier Stefanelli : « La plupart de mes développeurs ne voient que leur interface Adelia Web Studio ou SQL, sans savoir s’il y a du RPG ou du Cobol qui tourne derrière. »
Sortir de l’isolement via les API
L’AS/400 et ses successeurs sont aujourd’hui très souvent positionnés en back-office, avec des frontaux en Windows voire des écrans web d’accès, y compris pour des clients externes à l’entreprise ou des partenaires. « C’est important pour la survie de cet environnement qu’il s’insère bien dans l’écosystème de l’entreprise, et heureusement, il existe de plus en plus de solutions pour le connecter avec l’extérieur, comme les API ou les services web », explique ainsi Laurent Coutellec, responsable du pôle Transformation du SI chez Hardis Group. Cette ESN fait référence dans le monde de l’AS/400 avec notamment le seul atelier de développement encore supporté, Adelia (200 clients environ en France).
Moderniser ou remplacer, that is the question
L’autre enjeu pour l’avenir de l’AS/400, c’est sa capacité à relever les défis business de l’entreprise. Comme il héberge souvent et a minima les données métiers essentielles de l’entreprise, mais aussi, dans de nombreux cas, des applications sur mesure développées et transformées au fil des années, la question « moderniser ou remplacer » le code se pose quasi en permanence.
C’est la question du time-to-market qui fait la différence. Et la bonne nouvelle pour les aficionados de l’AS/400, c’est que la décision penche encore très souvent de son côté. « Vous avez le cas de certaines applications maison très spécifiques, qui n’auront jamais d’équivalent chez des éditeurs » décrit par exemple Laurent Coutellec. « Mieux vaut alors les faire évoluer, avec des outils modernes de développement. » Par exemple, la solution Arcad for DevOps d’Arcad Software, qui propose une couche – composants Gits inclus – en surplomb des outils classiques de programmation. « Il n’y a pas de raison de renoncer à industrialiser la production de code dans le monde AS/400 », explique son PDG fondateur Philippe Magne. « En plus, cette industrialisation concerne aussi la partie tests et, de plus en plus, la sécurité. » À noter qu’Arcad Software intervient aujourd’hui chez Orange pour reprendre du code développé antérieurement avec l’AGL Synon – aujourd’hui plus supporté – et le transformer en RPG Free Form.
Une offre cloud encore timide
Reste que le risque de manquer de compétences dans ces environnements est réel et que certaines entreprises s’en séparent de ce fait (à regret ?). Les nouvelles offres d’hébergement dans le cloud pourraient-elles changer la donne, au moins concernant l’ingénierie système ? « Elles sont encore timides et en particulier peu présentes au catalogue des grands providers, fait remarquer Laurent Coutellec. Mais d’ici deux ans et via les clouds privés, les services managés et les offres de PRA, cela devrait bouger positivement. »
Bolloré Transport & Logistics se résout à quitter l’AS/400
Présent dans 109 pays avec 35 000 collaborateurs, Bolloré Transports & Logistics est depuis longtemps un client de l’AS/400 et de ses successeurs. « C’est une machine qui a parfaitement convenu à notre ADN, et notamment en Afrique où nous devions équiper plusieurs dizaines de filiales », explique Fabrice Couvreux, directeur des Solutions Energy. L’entreprise, qui a compté jusqu’à une cinquantaine de serveurs, s’en est servi pour héberger des applications maison, développées avec Synon, Adelia et en RPG, ainsi que quelques progiciels du marché (Iris, JdE).
Et c’est bien ce patrimoine applicatif qui pose question aujourd’hui. « Du côté du serveur, il ya une grande fiabilité. Côté Run et MCO, on ne se pose pas de questions. Ça libère la pensée. » En revanche, Fabrice Couvreux admet son inquiétude face aux demandes d’évolution fonctionnelle des métiers et aux exigences réglementaires. « Les applications ont beaucoup bougé. Cela, combiné à la pénurie de compétences sur les langages et le périmètre fonctionnel, va nous amener à quitter la plateforme pour aller vers des solutions du marché. Seuls resteront quelques logiciels très spécifiques que nous ré-organiserons. »
